Cela faisait plus de dix ans que les informateurs de la police espagnole parlaient de sous-marins acheminant de la drogue au large de la Galice – la principale porte d’entrée de la cocaïne en Europe, dans le nord-ouest du pays.

“Les trafiquants se donnent rendez-vous en haute mer pour transférer la marchandise et l’équipage sur une autre embarcation, en général un hors-bord ou un bateau de pêche, qui décharge sa cargaison à terre, expliquent les services de police. Avant de quitter le sous-marin, ils ouvrent une voie d’eau dans la coque et le laissent sombrer.”

L’interception dimanche 24 novembre du premier “narco sous-marin” venu d’Amérique latine avec 3 000 kilos de cocaïne à bord – pour une valeur de 100 millions d’euros – pousse les policiers à penser que “d’autres sous-marins de ce type” ont été coulés au large des côtes galiciennes.

Une formation sommaire

Selon les enquêteurs, ces sous-marins sont construits en cachette dans la jungle du Suriname ou de Guyane : “Ils mesurent environ 22 mètres de long et n’ont besoin que d’un équipage de deux ou trois personnes.” Les transporteurs reçoivent une formation sommaire avant d’entamer une traversée de 8 000 kilomètres à travers l’Atlantique pour rejoindre l’Espagne. “Ce sont des sous-marins à usage unique qui coûtent 1,5 million d’euros”, soulignent les policiers.

Après avoir été prévenus par la DEA (l’agence américaine de lutte antidrogue), des agents de la police nationale, de la garde civile et des douanes se sont postés en embuscade sur la plage de Hío, à Cangas do Morrazo (Pontevedra).

Ils voulaient prendre les trafiquants sur le fait pendant le transfert de la drogue sur un autre bateau. Mais peut-être à cause du mauvais temps ou d’une panne, ou même parce qu’ils avaient été avertis qu’ils seraient attendus, les trafiquants ont décidé de précipiter l’opération et de débarquer sur cette partie de la côte. “Ils ont essayé de s’échapper à la nage”, expliquent les policiers, qui ont réussi à arrêter deux des trois membres de l’équipage, deux hommes d’origine équatorienne. Le troisième [espagnol] est toujours en fuite [il a finalement été capturé vendredi 29].

Aucune trace en revanche des destinataires de la marchandise, sur lesquels se concentre désormais l’enquête. Car la police nationale veut maintenant savoir qui a organisé cette livraison. Les premiers soupçons portent sur “les grandes organisations criminelles qui continuent d’opérer en Galice”.

“Période de discrétion”

Les enquêteurs précisent qu’“à partir de 2006” ils ont entendu grâce aux écoutes téléphoniques des allusions à ces sous-marins, qui ont commencé à être utilisés après la chute des narcotrafiquants galiciens historiques, comme celle, en 2004, de José Ramón Prado Bugallo, dit “Sito Miñanco”.

Il y a ensuite eu “une période de discrétion”, où une sorte de silence épais entourait les nouveaux capos galiciens qui avaient pris la relève.

Les agents des “stups” sont sûrs d’une chose :

Le trafic n’a jamais cessé en Galice – où beaucoup de livraisons à destination d’autres pays européens ont été organisées – parce que c’est là que les contacts avec les cartels colombiens ont été établis. Ces liens se sont renforcés avec le temps et existent toujours aujourd’hui.”

L’ostentation dont les barons de la drogue d’autrefois faisaient preuve avec une apparente impunité, les courses-poursuites en hors-bord dans les rías [bras de mer] et les gros coups de filet ont été remplacés par la prudence, la circonspection et des sous-marins sabordés.

Tous les espoirs de prouver l’existence de ces transporteurs de drogue submersibles qui étaient presque devenus légendaires se sont concentrés en 2014 sur un témoin protégé par la justice espagnole : José Luis Fernández Tubío. C’était lors du procès contre Óscar Manuel Rial Iglesias, dit “El Pastelero”, et José Constante Piñeiro Búa, alias “Costiñas”. Ils ont tous les deux été acquittés.

José Luis Fernández Tubío, un marin qui disait avoir travaillé pour les trafiquants sur lesquels portait l’enquête et avoir servi d’intermédiaire avec les fournisseurs de cocaïne, était sous la protection des autorités espagnoles depuis plusieurs années et était prêt à témoigner. “Il avait parlé aux policiers d’un sous-marin qui acheminait la drogue”, racontent les enquêteurs.

Un procès qui tourne au fiasco

Mais ce fameux Tubío a disparu brusquement la veille de son audition devant le juge, transformant ce qui devait être un procès historique contre le gang des Pasteleros en un énorme fiasco. Au final, 25 inculpés ont été condamnés, mais seulement 3 des 15 hommes arrêtés par les douaniers sur le San Miguel, le bateau qui transportait la drogue.

Depuis, les services chargés de la lutte contre la drogue en Galice essaient en vain de rassembler des preuves de l’existence de liens entre certains des trafiquants présumés mis en cause dans ce procès et les envois de drogue en provenance d’Amérique latine qui ont pu être interceptés.

L’opération internationale du 24 novembre a révélé l’existence d’un système de transport de cocaïne par sous-marin depuis la Colombie. Les enquêteurs pensent qu’“au moins deux livraisons de ce type ont été effectuées chaque année”. Et ils n’excluent pas qu’un narcotrafiquant galicien historique ait organisé la dernière depuis sa prison.

Selon des sources proches de l’enquête, la rumeur courait depuis plus d’un mois “dans les milieux pénitentiaires” qu’un narco galicien connu préparait l’envoi de 3 000 kilos de cocaïne, soit la quantité qui aurait coulé avec le sous-marin – désormais renfloué – devant la plage de Hío.