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Le Brésil est toujours en flammes, mais la police harcèle les écolos

Arrêtés pour motifs fallacieux, emprisonnés, privés de leurs passeports et même tondus... En Amazonie brésilienne, membres d’ONG ou pompiers bénévoles sont harcelés par la police. Les feux, eux, brûlent toujours.

Le 26 novembre à 7 h du matin, l’historien et chercheur Paulo Lima est arrivé au siège de l’ONG Saúde e Alegria (Santé et Joie) dont il est un des coordinateurs. Mais ce ne fut pas un jour comme les autres pour lui et ses collègues de l’organisation qui se consacre à la santé, à l’éducation et à la culture depuis trente ans dans la ville amazonienne de Santarém, au nord du Brésil.

Dès que M. Lima est entré dans le bureau, il est tombe sur une scène qui pourrait figurer dans un roman de Kafka. Tel que le personnage Josef K, dans Le Procès, qui se réveille un matin et constate qu’il est accusé d’un crime non précisé, M. Lima s’est retrouvé sous les ordres d’une dizaine d’officiers de police armés de mitraillettes. Ils ont confisqué des documents et des ordinateurs affirmant que l’ONG était l’objet d’une enquête, sans donner beaucoup plus d’explications.

Le coordinateur de l’ONG Saúde e Alegria a été « traité comme un criminel ».

« Nous avons été traités comme des criminels. Les officiers nous ont empêchés de nous déplacer dans notre bureau, ils ont pris nos affaires et ils ont presque arrêté l’un de nos employés qui essayait de comprendre ce qui se passait », dit M. Lima à Reporterre.

Des pompiers bénévoles ont été accusés d’avoir provoqué les incendies qu’ils combattent

Le même matin, quatre pompiers volontaires de la Brigada de Alter do Chão, eux-aussi à Santarém, ont été arrêtés et accusés d’avoir commis le crime qu’eux-mêmes combattaient : les incendies dans la forêt amazonienne. Parmi eux, un employé de l’ONG Saúde e Alegria. Pourquoi auraient-ils provoqué ces incendies, selon la police ? Pour prendre des photos des scènes de lutte contre l’incendie et ainsi collecter des fonds auprès des ONG telles que l’organisation mondiale de protection de l’environnement WWF. Des courts extraits d’écoute téléphonique ont été présentés comme preuves.

« Les conversations ont été décontextualisés et seuls quelques extraits de dialogues ont été inclus pour faire croire au juge que les pompiers étaient responsables des incendies », dit à Reporterre Michell Durans, l’un des avocats des accusés. Dans un extrait, l’un des volontaires explique à une amie que, lorsqu’elle arrivera à Alter do Chão, il y aura « beaucoup de feu ». Pour la police, cela suffit pour affirmer que les pompiers sont à l’origine des incendies, bien qu’ils ne soient pas rémunérés et effectuent ce travail depuis 2017.

La fragilité des accusations et les répercussions internationales de l’affaire ont permis aux quatre volontaires d’être libérés 72 heures après leur arrestation. Cependant, c’est loin d’être une fin heureuse. João Romano (que Reporterre avait interviewé en septembre au sujet des incendies), Daniel Gutierrez Govino, Marcelo Aron Cwerver et Gustavo de Almeida Fernandes sont toujours en liberté provisoire, ce qui signifie qu’ils ont dû remettre leurs passeports aux autorités et qu’ils ne peuvent pas quitter la ville. De plus, ils sont obligés de rester chez eux la nuit et les jours de congé jusqu’à ce que la procédure pénale soit terminée.

Pendant leur incarcération, les quatre hommes ont été tondus. Lors d’une conférence de presse le 1er décembre, M. Romano a déclaré que ce geste l’avait bouleversé — il ne s’était pas coupé les cheveux depuis deux ans. « C’était très dur pour moi, je ne savais pas si ma fille qui a dix mois me reconnaîtrait », a-t-il dit avec émotion.

Les quatre pompiers bénévoles ont été tondus lors de leur incarcération.

Les incendiaires auraient-ils provoqué le feu avec le soutien de la police ?

Les quatre volontaires ont également déclaré lors de la conférence de presse qu’ils collaboraient depuis septembre avec la police dans des enquêtes sur les incendies. Ils n’ont jamais été informés qu’ils étaient soupçonnés du crime. « Nous avons collaboré et tout à coup nous avons été menottés et emmenés en prison. C’était comme un film, une fiction. C’était révoltant de se rendre compte que nous étions suspectés d’avoir fait le contraire de ce que nous croyons », a dit M. Cwerver.

Pourquoi la police a-t-elle agi de la sorte ? Un message audio publié le 1er décembre par nos confrères de Reporter Brasil apporte un indice : dans l’enregistrement réalisé en septembre, le maire de Santarém, Nélio Aguiar, raconte au gouverneur de l’État du Pará, Helder Barbalho, que l’incendie à Alter do Chão a été causé par « des personnes qui ont mis le feu à la forêt pour ensuite vendre le terrain à l’immobilier et ce sont des gens qui ont le soutien de la police ». Interrogé par Reporter Brasil, le maire confirme qu’il a envoyé ce message audio au gouverneur, mais essaye d’adoucir ses mots : « Je n’ai pas dit que quiconque avait causé l’incendie, j’ai dit que c’était une zone de conflit depuis 2015. Une zone dangereuse, une zone de conflit et qu’on pouvait suspecter que l’incendie était criminel. » Une raison bien plus plausible que la vente de photos pour collecter de l’argent auprès des ONG.

Plus plausible aussi que les déclarations du président Jair Bolsonaro, qui sur les réseaux sociaux a de nouveau accusé les ONG d’être responsables des incendies, accusant bizarrement cette fois l’acteur Leonardo DiCaprio d’être impliqué dans l’affaire. « WWF fait une campagne contre le Brésil et a contacté DiCaprio. Il a donné 500.000 dollars », accuse le chef de l’État sans donner aucune preuve. 

Les bénévoles, lors de leur libération.

Le procureur de l’État du Pará a déclaré qu’il n’y a aucune preuve que des ONG ou des bénévoles aient participé à des crimes contre l’environnement et a ajouté que l’accaparement de terres est une des raisons invoquées pour expliquer la dégradation de l’environnement à Alter do Chão.

Une plainte a été déposée contre le président Bolsonaro pour « incitation au génocide et attaques systématiques contre les peuples autochtones »

Des dizaines d’organisations se sont prononcées contre les arrestations et les poursuites contre les bénévoles et l’ONG Saúde e Alegria. Parmi elles figure Amnesty International, qui, le jour-même des arrestations, avait publié un rapport sur les relations entre la déforestation et les violations des droits humain en Amazonie. « Entre avril et août 2019, Amnesty International a visité deux réserves extractivistes — un type d’unités de conservation de l’environnement où les populations locales vivent de la gestion durable des forêts — et trois terres autochtones en Amazonie brésilienne : la terre autochtone Manoki (État du Mato Grosso), les terres autochtones Karipuna et Uru-Eu-Wau-Wau (Rondônia) et les réserves extractivistes de Rio Jacy-Paraná et Rio Ouro Preto (également à Rondônia). Amnesty International a documenté le pâturage de bétail dans les cinq zones protégées. Selon la loi brésilienne, l’élevage de bovins dans les réserves extractives et les terres autochtones est illégal. Depuis l’arrivée au pouvoir du président Jair Bolsonaro en janvier 2019, certains éleveurs et accapareurs de terres ont intensifié leurs efforts pour reprendre illégalement des terres dans des zones protégées et y élever du bétail », dit le rapport.

Dans quatre des cinq zones visitées par Amnesty International, l’accaparement illégal de terres s’accompagnait de menaces et d’actes d’intimidation contre ceux qui s’y opposaient, notamment les peuples autochtones, les habitants de réserves extractives et les responsables gouvernementaux chargés de la protection de l’environnement et des terres indigènes.

Des faits tels que ceux rapportés par Amnesty International ont incité les organisations de défense des droits humains du Brésil à déposer une plainte contre le président Jair Bolsonaro devant la Cour internationale de justice à Haye, réclamant une « enquête préliminaire » sur les actions du président pour « incitation au génocide et attaques systématiques contre les peuples autochtones ». Fatou Bensouda, procureur au tribunal international, va maintenant demander des informations aux gouvernements des États du Brésil et d’autres pays, aux Nations Unies, à d’autres organisations intergouvernementales, à des ONG et à d’autres sources pour décider s’il doit demander une autorisation d’ouvrir une enquête.

Alors que toute cette histoire kafkaïenne se poursuit, la forêt ne cesse de brûler. Depuis l’article publié par Reporterre fin septembre, le nombre de départs de feu dans tout le Brésil a augmenté de 35 %. L’Amazonie concentre près de 50 % des cas. Tout cela sans l’aide d’aucune star d’Hollywood.

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