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Alex MacLean : "L’élévation du niveau de la mer est irréversible"
Seaside Heigts dans le New Jersey, après le passage de l'ouragan Sandy.
Impact, Alex MacLean

Alex MacLean : "L’élévation du niveau de la mer est irréversible"

Ecologie

Propos recueillis par

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Dans "Impact", son dernier livre, Alex MacLean, pilote d’avion, photographe et militant écologiste, alerte sur la montée des eaux liée au réchauffement climatique.

Voir c’est croire, disait Paul Virilio, qui était urbaniste et architecte. Voir, c’est aussi montrer et faire entendre, pour Alex Maclean qui est pilote d’avion, photographe, militant écologiste, et a lui aussi une formation d’architecte. Il a le compas dans l’œil, et photographie le territoire américain, comme nul autre. Pour en saisir la fragilité et l’obscénité, la vulnérabilité et la beauté. C’est un lanceur d’alerte, discret et persévérant. Nous l’avons rencontré à l’occasion de la sortie de Impact*, son dernier livre, consacré aux effets dévastateurs du réchauffement climatique.

Marianne : "Visions aériennes d’une zone assiégée avant la montée des eaux", tel est le sous-titre de votre nouveau livre. Pourquoi avoir choisi de montrer cet aspect du réchauffement climatique ?

Alex MacLean: Impact est mon troisième livre sur le changement climatique. Il revêt une importance primordiale pour le bien-être de nos enfants et la survie de notre espèce. Je me suis concentré sur l’élévation du niveau de la mer car il s’agit d’un indicateur indéniable du réchauffement climatique qui ne peut pas être considéré comme une anomalie, comme c’est souvent le cas pour d’autres indicateurs tels que les incendies de forêt, les sécheresses et les inondations. L’élévation du niveau de la mer est le résultat direct de la fonte des calottes glaciaires et de la dilatation thermique des eaux océaniques. L’élévation du niveau de la mer est universelle et irréversible. Les images du livre, quelquefois violentes, aident à mieux visualiser cet état de fait dont le public n’a pas encore réellement conscience.

Il est important de documenter la force et la puissance de ces tempêtes, ainsi que les ravages et les destructions qu’elles provoquent

Vos photographies nous font voir et sentir la vulnérabilité de la côte est de votre pays. Avant de la survoler, en aviez-vous conscience ?

J’étais conscient de la vulnérabilité côtière, mais pas autant que je le suis maintenant après avoir survolé la côte est et le golfe du Mexique dans le cadre de ce projet. Ce que j’ai mieux compris, au cours de cette étude, c’est la différence entre le littoral – là où la mer rencontre la terre – et la réalité de la vaste zone côtière qui s’étend à l’intérieur des terres, et qui inclut toutes les masses d’eau connectées à l’océan, celles des estuaires, des marais et des rivières. J’ai fini par apprécier l’étendue de la zone directement touchée par les eaux de marée. Cela englobe un territoire beaucoup plus étendu que je ne le pensais au départ, par exemple de nombreuses grandes villes, comme Philadelphie, pourtant situées à 100 kilomètres à l’intérieur des terres.

Sandy à New York, Harvey au Texas, et bien d’autres. Les ouragans dont vous photographiez les effets catastrophiques ont l’air de vous fasciner ?

Il est important de documenter la force et la puissance de ces tempêtes, ainsi que les ravages et les destructions qu’elles provoquent. Ces images sont la preuve de la vulnérabilité des communautés côtières face aux ondes de tempête. Les images témoignent de l’ampleur de la souffrance des personnes et des familles sinistrées lorsque la tempête se produit, aussi bien que des communautés entières touchées par la perte d’infrastructures qui leur sont vitales et qu’il faudra remplacer.

Vous êtes urbaniste et architecte de formation, cela se sent dans vos prises de vue dont certaines font office de plans ?

Je pense certainement que de nombreux problèmes de vulnérabilité et de stratégies d’adaptation peuvent être montrés de la même manière que les dessins d’architectes et de planificateurs. J’en suis conscient. Depuis mes études à Harvard, j’ai toujours aimé raconter des histoires avec des images qui sont prises à différentes échelles et sous diverses perspectives.

L’impact du réchauffement climatique est énorme sur les conditions de vie des habitants. Comment la résilience peut-elle être renforcée ?

J’en suis venu à la conclusion que l’une des meilleures stratégies de résilience viendra de l’utilisation de systèmes naturels pour atténuer l’impact de l’élévation du niveau de la mer et de l’érosion des côtes. Une des raisons est que les défenses naturelles peuvent se développer avec le temps. Par exemple, les dunes de sable construites sur le littoral se renforceront avec la croissance de la végétation superficielle et racinaire, et les récifs, ensemencés de mollusques grossiront également lorsque le niveau de la mer montera, et peuvent aider à atténuer l’action des vagues.

Le gouvernement fédéral est déjà en charge de nombreux programmes d’infrastructure à grande échelle, comme la construction des autoroutes, des aéroports, des ports

Vous dites que la solution viendra des investisseurs, des banques, des assureurs, etc. qui ne voudront plus souscrire à un tel style de vie. N’est-ce pas désespérant de la nature humaine d’être à la solde des investisseurs pour prendre conscience des véritables problèmes ?

C’est pourtant bien le cas. De nombreux fronts sont ouverts face au changement climatique, depuis le désinvestissement dans les combustibles fossiles jusqu’aux actions individuelles cumulatives. Mais effectivement, le marché des capitaux sera une force motrice du changement car les investisseurs, les banques et les compagnies d’assurances, ne voudront plus prendre le risque face à la montée des mers, aux tempêtes plus fréquentes et plus violentes et à l’exposition des rivages. C’est un processus déjà engagé, d’évaluer les investissements non pas en fonction des risques actuels, mais des risques projetés. Pratiquement, il est déjà difficile d’obtenir une hypothèque sur 30 ans ou une assurance pour une maison dans une zone à haut risque.

En Europe, nous avons l’impression que toute forme d’activité aux États-Unis est privée. Pourtant, vous dites que l’État fédéral finance des milliards de dollars de programmes de sauvegarde. Est-ce un changement d’attitude parce que l’individu à lui seul ne peut pas se battre avec ses propres armes tant la menace est réelle ?

Le gouvernement fédéral est déjà en charge de nombreux programmes d’infrastructure à grande échelle, comme la construction des autoroutes, des aéroports, des ports. De la même façon il existe des programmes de secours après les tempêtes et les catastrophes naturelles. Mais en cas d’élévation du niveau de la mer, les dépenses seront tellement importantes que des décisions devront être prises et des choix opérés sur les endroits à protéger en priorité. Il est probable que le gouvernement privilégiera les grandes zones métropolitaines denses par rapport aux plus petites communautés côtières.

Il est difficile de comprendre pourquoi tant d'Américains ont voté contre leurs propres intérêts

On dit que les habitants de l'île de Tangier seront les premiers réfugiés climatiques du XXIe siècle. Pourtant, ils ont voté Trump à 90% en 2016. Comment expliquez-vous cela ?

Sur l’île de Tangier, la majorité de la population a effectivement voté pour Trump, un négationniste du climat. Il est difficile de comprendre pourquoi tant d'Américains ont voté contre leurs propres intérêts. Aussi difficile que cela puisse paraître, de nombreux Américains ne croient pas que le réchauffement climatique a été provoqué par l'activité humaine. Cela est dû en partie au système d’éducation publique des États-Unis, qui est, pour de nombreuses raisons, extrêmement inéquitable.

Traduit par Dominique Carré.

* Alex MacLean, Impact, éditions la Découverte / Dominique Carré, 336 pages, 55 euros.

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Natacha Polony, directrice de la rédaction de Marianne