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Emmanuel Giboulot, viticulteur bio : « Il y a une pensée unique sur les pesticides »

Entretien. Condamné pour avoir refusé de traiter ses vignes avec des pesticides, Emmanuel Giboulot continue de remettre en cause l'usage systématique des produits phytosanitaires.

Propos recueillis par 

Publié le 07 avril 2014 à 17h01, modifié le 08 avril 2014 à 18h10

Temps de Lecture 4 min.

French winemaker Emmanuel Giboulot, poses in his domain's wine cellar, on February 24, 2014 in Beaune. Giboulot is being pursued by an arm of the agriculture ministry for not heeding a local directive in Burgundy's wine-growing Cote d'Or area to regularly treat vines against a leaf-hopping insect that causes an infectious disease called

Le viticulteur bio de la Côte-d'Or Emmanuel Giboulot a été condamné, lundi 7 avril, à 500 euros d'amende ferme pour avoir refusé de traiter ses ceps contre une grave maladie de la vigne, la flavescence dorée. Il compte faire appel de ce jugement du tribunal correctionnel de Dijon, qu'il qualifie d'« injustifié », et dénonce une « pensée unique » sur le sujet de l'usage des pesticides dans les vignobles. Entretien avec le vigneron dont l'affaire, très médiatisée, a divisé la profession viticole.

Le Monde : Vous avez été reconnu coupable d'avoir refusé de traiter vos vignes avec des pesticides. Quelle est votre réaction ?

Emmanuel Giboulot : Je ne me sens pas du tout coupable. Je ne suis pas d'accord avec l'analyse du tribunal et j'estime toujours qu'il n'était pas justifié de traiter les vignes contre la flavescence dorée dans le département de la Côte-d'Or en 2013, alors qu'aucun foyer de la maladie n'avait été détecté.

L'amende est seulement symbolique mais elle est de trop. Si le jugement m'avait été favorable, si mon avocat et moi avions été suivis dans notre demande de relaxe, cela aurait permis d'envoyer un signal fort aux services de l'Etat – la Direction régionale de l'alimentation, de l'agriculture et de la forêt (DRAAF) et la préfecture – qui ont appelé à traiter les vignes de la Côte-d'Or. C'est important de dire « non », de ne pas accepter tout et n'importe quoi : on peut traiter dans le cas de foyers avérés de la maladie mais pas en faveur d'un principe de précaution pris à l'envers. Pour protéger préventivement les vignes, on menace la population.

Aujourd'hui, l'ensemble des viticulteurs qui refusent les traitements sont dans une situation de peur : peur de le dire, car peur d'être jugés. Le débat qui est ouvert est large et complexe. J'ai choisi de faire appel du jugement du tribunal pour continuer à remettre en cause les approches systématiques dans l'usage des pesticides.

Si un nouvel arrêté préfectoral était pris cette année pour obliger à traiter contre la flavescence dorée, le respecteriez-vous ?

A ce jour, je n'ai pas de parcelles qui sont dans un périmètre proche des trois ceps qui se sont avérés contaminés en Côte-d'Or. Si on m'obligeait à traiter dans cette situation, je le refuserai de nouveau. Mais si mes vignes étaient à proximité de celles contaminées, là, j'utiliserais des pesticides pour éviter une propagation de la maladie. Cela a toujours été ma position.

Peut-on concilier vignoble bio et lutte contre les maladies de la vigne ?

Il existe un traitement autorisé en agriculture biologique : le Pyrevert, à base de pyrèthre naturel – extrait des fleurs séchées du chrysanthème. Mais cet insecticide n'est pas sélectif : il détruit la cicadelle, l'insecte vecteur de la maladie de la flavescence dorée, mais aussi une grande partie de la faune auxiliaire sur laquelle je m'appuie pour réguler l'écosystème de mon vignoble, que j'exploite en biodynamie. Le Pyrevert détruit par exemple le typhlodrome, un acarien prédateur naturel des araignées rouges qui se nourrissent de la sève de la vigne.

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Cette année, je vais pratiquer un ensemble d'approches alternatives, notamment des pulvérisations de produits à base de silice, qui donnent des résultats intéressants. Ce sont des traitements que l'on utilise déjà en biodynamie, mais pas forcément pour lutter contre la flavescence dorée. Il y aura un suivi technique de ces tests par les autorités.

Vous sentez-vous soutenu par les autres viticulteurs ?

J'ai reçu beaucoup de soutiens, même si tout le monde n'est pas d'accord avec mon approche. Il faut accepter que le débat soit ouvert. C'est comme ça que les choses pourront progresser. J'ai des collègues dans d'autres régions, dans le Jura, l'Alsace, la Champagne, la Loire ou dans la vallée du Rhône, qui s'organisent pour porter une voix différente dans la lutte contre la flavescence dorée.

Le problème de fond aujourd'hui, en tout cas en Bourgogne, c'est que l'on n'a pas de contre-pouvoir technique : les experts et chercheurs qui pourraient exprimer des avis techniques différents de ceux de la DRAAF ou de la préfecture ne sont pas consultés. C'est dommage pour la progression de la connaissance sur la maladie. Il y a une pensée unique sur ce sujet.

Pourtant, une partie de la profession, notamment le Bureau interprofessionnel des vins de Bourgogne, dénonce les « contrevérités » véhiculées autour de votre cas...

On est nombreux, en tant que viticulteurs bourguignons, à mettre en œuvre des pratiques respectueuses de l'environnement, qui se sont beaucoup améliorées ces quinze dernières années. Le problème d'un arrêté préfectoral obligeant à traiter sur l'ensemble du département, c'est qu'il nie la responsabilité et l'engagement de chacun à moins polluer. Il y a une forme de déresponsabilisation qui s'opère dans ces cas-là, qui ne fait pas progresser les pratiques.

C'est dommage que l'interprofession n'entende pas qu'il y a un problème aujourd'hui dans la société, celui de l'impact des pratiques agricoles, et de l'usage des pesticides, sur la qualité des aliments et sur la santé. La Bourgogne, un vignoble d'exception, doit davantage mettre en œuvre des pratiques respectueuses de l'environnement.

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