Pédophilie : au moins 276 sportifs victimes de l’omerta

Une vaste enquête journalistique pointe la « faillite de tout un système ». La ministre des Sports, Roxana Maracineanu, est elle-même épinglée pour ne pas avoir lancé d’enquête administrative dans son club de natation, à Clamart, où un entraîneur est accusé d’agression sexuelle.

 La ministre a indiqué ne pas avoir lancé d’enquête administrative sur un cas touchant son propre club de natation de Clamart (Hauts-de-Seine).
La ministre a indiqué ne pas avoir lancé d’enquête administrative sur un cas touchant son propre club de natation de Clamart (Hauts-de-Seine). LP/Fred Dugit

    Au moins 276 victimes, des enfants âgés de moins de 15 ans au moment des faits, sont recensées. Une vaste enquête journalistique, publiée mercredi par un collectif de médias, révèle des « dysfonctionnements majeurs » dans 77 affaires de pédophilie dans le monde du sport depuis 1970.

    « Football, gymnastique, équitation, athlétisme mais aussi tir à l'arc, roller ou échecs… 28 disciplines sportives sont concernées », rembobinent les journalistes du collectif We Report.

    Réalisée par Disclose, en partenariat avec plusieurs médias français - Mediapart, Rue89 (Bordeaux, Lyon, Strasbourg), L'Équipe, Le Télégramme, La Revue Dessinée, Envoyé Spécial, Brut et Binge - l'enquête évoque notamment le cas du club de natation de Clamart (Hauts-de-Seine), où est licenciée la ministre des Sports, Roxana Maracineanu.

    La ministre épinglée

    Dans cette affaire, un entraîneur est mis en examen depuis août 2017 après une plainte pour agression sexuelle sur mineure d'une ancienne nageuse du club, âgée de 14 ans au moment des faits présumés, et qui en a aujourd'hui 22.

    La ministre, qui se veut en pointe sur ces questions de violences sexuelles dans le sport et avait dénoncé « une omerta », deux mois après sa prise de fonction, a indiqué ne pas avoir lancé d'enquête administrative : « Je ne pense pas, moi, en tant que parent, qu'il y a lieu aujourd'hui d'ouvrir une enquête sur ce club, je trouve qu'il fonctionne bien », répond l'ancienne championne de natation dans l'Equipe.

    Le ministère a ensuite précisé à Disclose qu'une enquête administrative avait été lancée en 2018, avant la prise de fonction de Maracineanu au ministère, sur le club de Clamart « concernant des faits potentiels d'agressions sexuelles », en parallèle de l'enquête judiciaire contre l'entraîneur. Le ministère a ajouté que l'entraîneur faisait l'objet d'une interdiction d'exercer auprès des mineurs dès 2017.

    Une affaire sur deux est un cas de récidive

    Les auteurs de l'enquête dénoncent, dans les 77 affaires, de graves manquements à différents échelons – fédérations, clubs, collectivités locales, État, justice — et mettent en avant cinq types de défaillances, à commencer par le suivi judiciaire des délinquants sexuels.

    « D'après nos données, près d'une affaire d'infractions sexuelles sur deux est un cas de récidive », expliquent-ils, précisant se baser sur la « définition courante et non judiciaire » de la récidive.

    Ils pointent notamment le « vide juridique et administratif source de sérieux problèmes de récidive » entourant les 3,5 millions de bénévoles dans le sport amateur, pour lesquels la vérification du casier judiciaire ou l'examen du Fichier judiciaire automatisé des auteurs d'infractions sexuelles et violentes ne sont pas obligatoires.

    Les agresseurs non inquiétés

    Autre donnée inquiétante : dans 59 des 77 affaires, « l'agresseur a soit poursuivi son activité malgré une procédure judiciaire en cours, soit retrouvé un poste dans le milieu sportif après une condamnation pour une infraction à caractère sexuel ».

    L'absence de signalement aux autorités (18 affaires), le soutien à l'agresseur (18) souvent accompagné « d'un mépris pour la parole des victimes, voire de tentatives d'intimidation », ou encore la négligence de signaux forts (9) sont également mis en avant comme failles.

    Enfin, Disclose souligne que la mobilité géographique des agresseurs d'une région ou d'un club à un autre, leur permet de passer sous le radar. Un phénomène qui concerne un quart des 77 cas.