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Athénée Agri St Georges: le professeur de religion islamique aurait-il du être suspendu plus tôt ?

Athénée Agri St Georges : le professeur de religion islamique aurait-du être suspendu plus tôt ?

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Par Barbara Schaal

Il y a quelques jours, un professeur de religion islamique était écarté de son école secondaire, l’athénée Agri, à Saint-Georges dur Meuse. Cet enseignant, Talal Magri, a relayé sur les réseaux sociaux une vidéo de haine, un appel au djihad et à l’extermination des juifs.

Les positions radicales de cet enseignant étaient pourtant connues. Il était un militant actif du parti Islam, un parti politique qui voudrait faire de la Belgique un état islamique, régit par les lois de la Charia. Aux dernières élections communales, Talal Magri était tête de liste à Liège et a coordonné la campagne wallonne pour son parti.  

Pourtant, depuis les années 1990, cet enseignant a donné cours dans plusieurs établissements de la région liégeoise, sans jamais être inquiété. Aujourd’hui, c’est donc la diffusion de cette vidéo antisémite qui a conduit à sa suspension.

Comment Talal Magri, dont les opinions étaient connues, a-t-il pu rester en poste aussi longtemps ?  

" Je suis sidéré par l’attitude de ce monsieur qui endossait la responsabilité de transmettre des connaissances, mais aussi des valeurs à des enfants ", s’indigne Radouane Attiya, le directeur de l’Institut de promotion des formations sur l’Islam. " Cette suspension était urgente. Elle a été immédiate. Je pense que c’est la décision qu’il fallait prendre ", poursuit-il.

Plus sévère, Michaël Privot, islamologue lui aussi et militant pour " un islam européen " se questionne : comment cet enseignant a-t-il pu donner cours aussi longtemps, sans que personne ne s’inquiète de ses opinions et du message qu’il a peut-être véhiculé auprès de ses élèves ? Michaël Privot est le seul de nos interlocuteurs qui ose formuler tout haut cette question. D’autres préfèrent garder le silence par peur de réactions haineuses.

" On peut faire un parallèle entre le parti Islam et le parti Nation ", analyse Michaël Privot. " C’est un parti d’extrême droite, communautaire. Je crois que si on avait un autre professeur d’un cours philosophique, militant d’un parti comme Nation, la hiérarchie se serait inquiétée de savoir ce qu’il dit dans ses cours. Pour des cours aussi sensibles, on a le droit de se poser certaines questions. Ici rien, aucun signal ne semble avoir été tiré. "

Dans le passé, Talal Magri a en réalité fait l’objet d’un signalement et d’un rapport. Rapport manifestement resté sans suite. Selon Michaël Privot, il y a donc eu " défaut de diligence " et les torts sont partagés. Le pouvoir organisateur -en l’occurrence la communauté française- a sa part de responsabilité. Mais l’islamologue pointe aussi l’Exécutif des musulmans de Belgique. Jusqu’à très récemment c’est en effet cette instance qui était chargée de l’inspection des cours de religion musulmane.

Y a -t-il eu défaillance dans le recrutement des professeurs de religion musulmane ?

D’après nos interlocuteurs, les profils problématiques se retrouvent surtout dans une même génération d’enseignants, ceux qui ont commencé à exercer il y a une trentaine d’années.   

Pour comprendre, il faut remonter au début des années 1980, au moment où les cours de religion islamique ont été introduits dans l’enseignement.  A l’époque, l’exécutif des musulmans de Belgique n’existait pas. C’est alors le Centre islamique et culturel de Belgique, association qui a longtemps géré la grande mosquée de Bruxelles, qui prend en charge ces recrutements. Cette association est connue pour ses liens très étroits avec l’Arabie Saoudite.

Dans ces années-là, aucune formation d’enseignant en religion islamique n’existe. Le maître mot, c’est donc l’improvisation. " A cette époque quiconque connaissant trois sourates et deux propos du prophète pouvait devenir professeur de religion islamique ", estime Michaël Privot. Puis, "dans les années 90, cahin-caha, ils ont essayé de structurer le processus. Il fallait connaître quelques éléments clé de l’Islam et avoir de toutes petites notions de pédagogie. Mais il n’y avait toujours pas de programme. Il faut bien se rendre compte que pendant 30 ans, les enseignants étaient livrés à eux-mêmes. Donc, ça n’est pas étonnant que dans ces circonstances, des enseignants avec des idées problématiques aient pu passer à travers les mailles du filet et diffuser des propos graves : antisémites, racistes ou sexistes "

Y-a-t-il "d’autres Talal Magri" dans les écoles francophones du pays ?

" La majorité des professeurs de religion islamique fait un travail d’encadrement exceptionnel au quotidien ", tient à rappeler Michaël Privot. Néanmoins, il le craint : le cas de Talal Magri n’est pas isolé. " Au vu de cet héritage du passé, on peut raisonnablement faire l’hypothèse qu’il y a quelques cas supplémentaires dans la nature ".  

D’autres partagent son constat. " Dans la dernière vague de départs à la retraite que j’ai observée, plusieurs profils me paissent problématiques ", indique un de nos interlocuteurs, sous couvert de l’anonymat.

Comment remédier au problème ?

Des changements sont en marche en matière d’organisation des cours de religion. Jusqu’à très récemment, les professeurs de religion, étaient désignés par l’autorité de leur culte. Le pouvoir organisateur des écoles ne pouvait qu’avaliser ou non le choix du professeur. Chaque culte était aussi responsable du recrutement de ses inspecteurs et du contrôle des cours de religion.

Depuis 2016, dans le cadre de la réforme des titres et fonctions, le système évolue progressivement. Les pouvoirs organisateurs des écoles ont à présent une marge de manœuvre plus importante pour la désignation des professeurs et le contrôle des cours de religion.

Le changement est positif selon Michaël Privot, mais pour lui il est urgent d’encadrer plus strictement encore les cours de religion islamique. Il plaide pour un programme bien défini et commun à tous les enseignants. Il souhaite aussi des inspections de classes plus fréquentes et surtout inopinées.

L’islamologue insiste enfin sur l’importance des manuels utilisés en cours. " Aujourd’hui, le seul livre en français est édité par des personnes liées à la Diyanet, le service des affaires religieuses turques. Cela pose un gros problème. Il faut des livres en rapport avec notre réalité européenne. "

Talal Magri est pour l'instant suspendu de ses fonctions. En plus d'une procédure disciplinaire, un dossier pénal est ouvert par le parquet de Liège.  

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