Le modèle québécois repose sur une logique d’investissement social. Pouvez-vous nous expliquer en quoi celle-ci consiste ?

Julien Damon : Ce qu’on appelle investissement social au Québec est quelque chose à la fois de très banal et de très stratégique aujourd’hui. C’est tout d’abord banal puisque ce n’est jamais qu’une traduction récente de deux vieux principes : « les femmes et les enfants d’abord » et « mieux vaut prévenir que guérir ». L’idée est de dire qu’il vaut mieux investir précocement plutôt que de chercher à réparer des problèmes sociaux plus tard. Dans une certaine mesure, les fondements de la protection sociale à la française reposent déjà sur cette idée.

L’enfant peut-il donc être vu comme un investissement rentable ?

J. D. : Oui ! Le rendement de la dépense dans le champ de la petite enfance est économiquement intéressant. C’est pourquoi un des grands pionniers de l’investissement social, de mon point de vue, est Victor Hugo quand il écrit « Ouvrez des écoles, vous fermerez des prisons. » La fameuse courbe de Heckman, du nom d’un prix Nobel d’économie libéral, toujours citée dans les études d’économétrie, ne fait au fond que dire la même chose en chiffres. En effet, elle montre de façon spectaculaire que plus tôt on dépense, plus l’investissement est rentable.

Mais dire cela ne suffit pas à dire quel est le bon investissement. Cette question donne lieu à des bagarres légitimes. En France, la question peut même fâcher, entre les tenants des allocations familiales et ceux du développement de l’investissement dans les modes de garde. Ce n’est pas consensuel.

Comment peut-on évaluer par l’économie cet impact humain ?

J. D. : Il est très difficile de dire si telle prestation est plus performante que telle autre. Il existe donc un risque de tomber dans une pathologie de l’évaluation à outrance et en permanence, tant des professionnels eux-mêmes que des équipements, etc. D’autre part, certaines dépenses sont difficiles à évaluer. Ainsi, je défie quiconque de dire véritablement quelle est l’efficacité des allocations familiales. À l’inverse, l’efficacité des modes de garde est plus simple à cerner, en termes de reprise d’activité, de bien-être des enfants, etc.

Je me méfie donc des études qui assènent des vérités faussement simples du style « 1 dollar investi rapporte 7 dollars de dépenses évitées à terme ». Cela provient d’études qui, sans être biaisées techniquement, permettent de soutenir la cause. Soyons clairs. Il y a aussi des questions éthiques derrière tout ça. Je me permets une question polémique : faut-il désinvestir dans la vieillesse dès lors qu’elle ne rapporte rien ? Surtout si 1 € investi dans les Ehpad représente un risque de perdre 7 € par la suite parce que les personnes vont vivre plus longtemps ? On voit là les limites du seul raisonnement économique.