"Nous avons créé notre propre système bancaire"

Comment des femmes de la banlieue dakaroise s'organisent pour éviter les taux d'intérêts élevés des structures de microfinance?

Caisse d'autofinancement

Une alternative aux banques

Elles sont sur leur 31 car ce jour est important.

Ces femmes de Guédiawaye ont vêtu leur plus beaux artours car en ce 15 du mois d'Octobre, elles vont recevoir des prêts: c'est le jour de l'ouverture des coffres de la Caisse d'autofinancement qu'elles ont créée.

Les montants empruntés peuvent sembler dérisoires mais pour ces femmes, basées à Wakhinane Nimzatt, dans la banlieue dakaroise, cela représente beaucoup.

L'activité s'appelle Caisse d'Auto-Financement. Nous nous réunissons une fois par mois. Nous empruntons de l'argent. Il y a aussi l'achat d'actions qui nous permet de renforcer la caisse et de prêter de fortes sommes aux femmes. Nous avons également une caisse de solidarité. "
Khoudia Lo Sy, présidente de la Caisse

La Caisse d'autofinancement, communément appelée CAF, réunit 59 femmes autour d'un objectif commun: se libérer de l'emprise stressante des mutuelles d'épargne et de crédit.

Selon elles, c'est parce que les structures de microfinance appliquent des taux d'intérêts élevés qu'elles ont mis en place leur propre système.

Il fonctionne comme une banque et une bourse avec la possibilité d'emprunter et d'acheter des actions.

En plus de la possibilité d'investir dans une activité génératrice de revenus, les sommes empruntées leur permettent d'être autonomes.

Khoudia Lo Sy, agent communautaire de santé travaillant dans différentes structures sanitaires de la banlieue dakaroise, a été formée par une ONG espagnole à cette approche de finance solidaire.

Fort de ces compétences, elle a invité plusieurs femmes à créer des caisses d'autofinancement.

Elle a ainsi installé plusieurs caisses dans son quartier et dans les quartiers environnants.

En ce 15 octobre, l'achat des actions a permis de collecter 614 000 francs CFA.

Ce montant sera additionné aux remboursements des prêts qui s'élèvent à 2 700 000 francs CFA.

Ces sommes collectées seront prêtées aux femmes qui souhaitent investir dans des activités génératrices de revenus.

Elles sont nombreuses à en solliciter et les prêts varient entre 50000 et 400 000 francs CFA.

Les remboursements se feront avec un taux d'intérêt de 5% étalé sur plusieurs mois.

Fonctionnement

Actionnaires: chaque membre de la caisse est une actionnaire. Chaque mois, il y a la possibilité d'acheter des actions de 1000 francs à 20 000 francs CFA.

Compteurs: au cours de leurs réunions, deux femmes sont chargées de compter l'argent. Elles collectent les sommes recueillies de l'achat d'actions, les montants de remboursements des prêts et les intérêts sur les prêts.

Gardienne de la caisse: un coffre en fer de couleur verte est posé devant une des dames. Elle est la gardienne de la caisse c'est à dire la trésorière. Malgré son statut, elle ne touche pas l'argent. Elle ne s'occupe que du coffre.

Sécurité et transparence: le coffre contenant l'argent est sécurisé avec trois cadenas dont les clés sont détenues par trois gardiennes de caisse. Elles sont minutieusement choisies pour éviter tout conflit d'intérêt ou possibilité de détournement. Les gardiennes de la caisse ne se fréquentent pas et n'ont pas d'affinités. Ce mécanisme est mis en place pour éviter les détournements fréquents dans les tontines de banlieue.

Présidente: la présidente n'a pas accès à l'argent et ne garde pas la caisse. La présidente modère l'assemblée et est chargé de faciliter les travaux de la caisse.

Secrétaire générale: elle est en charge de la gestion des prêts. Elle les enregistre dans les carnets de crédits.

Taux d'intérêt: un taux d'intérêt de 5% est appliqué sur les sommes empruntées. Une aubaine pour ces femmes souvent découragées par les taux élevés des structures de microfinance.

Caisse de Solidarité: elle est alimentée par des cotisations mensuelles de 1000 francs pour parer aux dépenses de prestiges lors des fêtes religieuses. Cet argent va permettre d'acheter le même tissu à toutes les femmes qui vont se retrouver pour faire la fête.

Partage: au terme des dix mois d'exercice, la caisse sera clôturée. Ces femmes vont donc se partager les intérêts après remboursements de tous les prêts. En 2018, les intérêts cumulés et les actions achetées ont dépassés 6 millions de francs CFA.

Avantages

Cette caisse d'autofinancement permet à ces femmes de financer leurs activités économiques. La plupart d'entre elles gère une activité commerciale.

Avant, elles s'endettaient auprès des structures de microfinance, mais depuis la création de cette caisse, elles ont tourné le dos aux banques.

J'ai un magasin de vente de produits alimentaires. Les prêts de la caisse m'aident beaucoup à accroitre mon business. Avant, nous travaillions pour les banques. Elles te prêtaient de l'argent mais au bout d'un mois, elle te mettait la pression et tu étais complètement stressée et à leur merci. C'est comme si tu travaillais pour eux car tout ton bénéfice te filait entre les doigts dans la mesure où leurs mensualités sont élevées."
Maimouna Diagne, femme d'affaires

Amy Diop, l'une des membres de la Caisse, fait du commerce import-export entre la Mauritanie et le Sénégal. Elle affirme que les prêts lui permettent de rendre son commerce florissant et de renouveler constamment son stock.

"Cette caisse est une aubaine pour nous. J'emprunte de 200 000 à 400 000 francs CFA par mois. Et à chaque fois, je voyage pour acheter des marchandises. Les banques nous mettent une pression terrible. Ici, nous avons la solidarité et l'entraine et nous n'avons pas de pression pour rembourser"
Amy Diop, commerçante

En plus de la possibilité de financer leurs activités sans pression, ces femmes admettent que la Caisse les aide à maintenir un climat de paix au sein de leur ménage.

"Quand tu dépends totalement de ton mari, les rapports sont souvent conflictuels surtout quand les moyens ne suivent pas. Avec leurs activités, les femmes arrivent à se prendre en charge entièrement, à aider leurs maris dans les dépenses quotidiennes et aussi à mieux gérer les frais d'éducation des enfants".
Sokhna Seck, gardienne de Caisse

Texte et Image : Ndèye Khady Lo et Rose Marie Bouboutou