Jonathan Safran Foer : “Rien ne montre que l’écologie soit élitiste”
Que puis-je faire, moi simple citoyen, de significatif pour le climat ? Manger moins de viande, répond l’écrivain américain Jonathan Safran Foer, dans son nouvel essai L’avenir de la planète commence dans notre assiette. Nous l’avons interrogé.
Qu’espérez-vous d’un événement comme la COP25, qui se tient à Madrid du 2 au 13 décembre ?
Jonathan Safran Foer : La COP21 entendait relever les défis de notre siècle, nous en sommes à présent à la COP25… Le moins que l’on puisse dire est que le XXVe siècle semble assez éloigné et qu’il est difficile d’imaginer à quoi ressemblera la planète. Ce qui me donne quelque espoir, c’est de constater à quelle vitesse les mentalités changent sur la question climatique. Il y a un an, personne n’avait entendu parler de Greta Thunberg, les gens ne faisaient pas le lien entre l’alimentation et le réchauffement, les étudiants du monde entier n’organisaient pas de marches pour le climat et un mouvement comme Extinction Rebellion était inimaginable. Donc la prise de conscience progresse vite. Pour revenir au XXVe siècle, je peux imaginer un monde dans lequel une révolution écologique aurait eu lieu, mais tout aussi bien un monde privé d’espoir, parce que les dirigeants politiques, économiques, mais aussi les individus n’auront rien fait pour maintenir un certain équilibre des écosystèmes terrestres.
À l’échelle individuelle, qu’est-il possible de faire ?
Il y a principalement quatre leviers d’action : ne pas posséder de voiture, ne pas prendre l’avion, avoir moins d’enfants, arrêter de manger de la viande. Pour ma part, je suis végane au petit-déjeuner et au déjeuner, et végétarien le soir. Je ne prends plus l’avion pour les vacances mais seulement pour raisons professionnelles. J’ai deux enfants et n’en veux pas d’autres. Je ne m’autorise que trois trajets en voiture par semaine. Voilà mon histoire. [Il montre une liste de résolutions manuscrite qu’il a photographiée et qui s’affiche sur son smartphone.] Dernier point : je consacre une journée de travail chaque semaine à l’ONG 350.org.
Pourquoi considérez-vous que le végétarisme est une décision clé ?
D’abord, j’insiste sur ce point parce que les gens n’en ont pas assez conscience. Al Gore ou Greta Thunberg sont véganes, mais personne n’en parle, on dirait que c’est presque un secret. La plupart des climatologues que j’ai rencontrés étaient végétariens. Ensuite, je pense que c’est un choix accessible à tous, même à ceux qui ont besoin de leur voiture pour travailler. Enfin, c’est le seul choix qui a un impact sur les émissions de méthane – gaz qui a un effet de serre six fois plus puissant que le carbone. L’élevage est responsable de 14 % du réchauffement global, voire de 51% selon l’estimation la plus haute. Tout dépend de la comptabilisation, ou non, de la déforestation pour les pâturages et les fourrages. Le dernier rapport du Giec d’août affirme qu’il faut diminuer drastiquement la consommation de viande.
Vous appartenez à l’intelligentsia new-yorkaise. Pensez-vous que la préoccupation écologique soit surtout importante chez les élites ?
C’est un cliché… Je ne connais aucune étude montrant qu’il y a une corrélation positive entre la richesse et la préoccupation écologique. Les gens qui gagnent moins de 30 000 dollars par an ont deux fois et demi plus de chances d’être végétariens que ceux qui gagnent plus de 75 000. Les gens de couleur sont beaucoup plus végétariens que les Blancs. Prenez la crise des « gilets jaunes » : si Emmanuel Macron avait annoncé une taxe de 1 % sur tous les revenus de plus de 10 millions d’euros par an pour réduire les émissions de carbone en plantant des forêts ou en implantant des bornes pour voitures électriques sur l’ensemble du territoire, pensez-vous qu’il y aurait eu ces émeutes ? Sa mesure de taxe carbone ne ressemblait pas à une révolution verte mais au choix délibéré de punir les pauvres.
Expresso : les parcours interactifs
Épicure et le bonheur
Sur le même sujet
Alexandre Lacroix : “Nos sexualités sont encore cadenassées par un script sexuel dominant”
Dans son nouvel essai Apprendre à faire l’amour (Allary Éditions, 2022), le philosophe, écrivain et directeur de la rédaction de Philosophie…
Alexandre Lacroix : “Ce que les enfants apportent à l’adulte, c’est l’accès au présent”
Dans son nouveau livre, La Naissance d’un père (Allary Éditions), le directeur de la rédaction de Philosophie magazine Alexandre Lacroix fait le…
Jonathan Châtel: “ La qualité sensible d’un spectacle passe par une forme d’intellection et de perte”
Qui suis-je moi qui dis je? Partant de cette question, le metteur en scène Jonathan Châtel présente une adaptation inspirée du “Chemin de Damas”…
L'esthétique environnementale face au changement climatique
La déplétion des écosystèmes terrestres et le réchauffement climatique secouent l’esthétique environnementale, une discipline méconnue qui a pris son essor il y a quelques décennies. Et posent une question de fond : notre…
Les élites, les jeunes et la “mort de l’âme”
Dans une vidéo diffusée par le gouvernement allemand, les jeunes sont appelés à rester chez eux durant le confinement et sont célébrés comme des…
"Écofascismes" : comment l'extrême droite s'est emparée de l’écologie
Le concept d’« écofascisme », né dans les années 1970, s’impose de plus en plus dans le paysage de la pensée écologique. Souvent confus,…
Dominique Bourg / Peter Singer : l’écologie en pratique
Comment mettre en pratique ses engagements théoriques en matière d’écologie ? Quelques réponses avec deux philosophes : Dominique Bourg, penseur franco-suisse, partisan d’une « écologie intégrale », et Peter…
“Barbaque” : le cannibalisme à l’heure du véganisme
« Et si l’on montait un élevage de végans ? » Sophie Pascal (Marina Foïs) est une commerçante pleine d’idées. Pour sauver la boucherie artisanale qu…