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Alzheimer : « l'hypothèse prion »

Une étude française vient de prouver le caractère transmissible, de cerveau à cerveau, de la maladie d'Alzheimer. Ses auteurs sont d'accord avec le prix Nobel de médecine Stanley Prusiner, découvreur des maladies à prion, pour dire que cette démence pourrait en faire partie.

Mars 2013 : Vieillesse, autonomie et dépendanceRaymonde, 90 ans, seule dans sa maison. Son mari (95 ans) est hospitalisé dans une unité de soin et de réadaptation.Douai, Nord (59), France.March 2013: Old age autonomy and dependenceRaymonde, 90 years, alone in his house. Her husband (95 years) hospitalized in a care unit and rehabilitation.Douai, Nord (59), France.
Mars 2013 : Vieillesse, autonomie et dépendanceRaymonde, 90 ans, seule dans sa maison. Son mari (95 ans) est hospitalisé dans une unité de soin et de réadaptation.Douai, Nord (59), France.March 2013: Old age autonomy and dependenceRaymonde, 90 years, alone in his house. Her husband (95 years) hospitalized in a care unit and rehabilitation.Douai, Nord (59), France. (NICOLAS MESSYASZ/hans Lucas)

Par Yann Verdo

Publié le 14 déc. 2019 à 14:00

Et si la maladie d'Alzheimer était à classer dans la catégorie des « maladies à prion », aux côtés de la tremblante du mouton, de la maladie de la vache folle ou encore, chez les humains, de la terrible maladie de Creutzfeldt-Jakob ? C'est une hypothèse sur laquelle se divise la communauté scientifique depuis plusieurs années. Elle vient de gagner en crédibilité avec la publication récente, dans la revue « Acta Neuropathologica Communications » , des travaux d'une équipe de chercheurs du CEA affiliés au centre de recherche préclinique MIRCen (Molecular Imaging Research Center) de Fontenay-aux-Roses. Cette étude, une première mondiale, résulte de sept ans d'investigations méticuleuses sur un délicieux et tout petit primate originaire de Madagascar, le microcèbe.

Les maladies à prion ont une histoire étonnante, dont l'origine nous entraîne du côté d'une île de Papouasie-Nouvelle-Guinée où, dans les années 1950, un chercheur américain du nom de Daniel Carleton Gajdusek (qui recevra pour cela le prix Nobel de médecine) s'intéressa au mal mystérieux qui frappait alors une tribu d'aborigènes, les Fore, pratiquant des rites anthropophages. Cette maladie neurodégénérative, le kuru, frappait surtout les femmes et les enfants qui se voyaient donner à manger les viscères et autres bas-morceaux - dont le cerveau - des défunts de leur tribu (les hommes, auxquels étaient réservées les parties nobles que sont les muscles, étaient épargnés). Gajdusek comprit et prouva que le vecteur de l'infection se trouvait dans l'encéphale. Il le démontra en injectant chirurgicalement, dans le cerveau de chimpanzés, des « broyats » de cerveaux humains prélevés sur les guerriers Fore décédés. Les chimpanzés ainsi contaminés tombaient malades du kuru.

On en resta là jusqu'à ce qu'un autre chercheur américain, Stanley Prusiner, découvre l'identité du coupable, responsable non seulement du kuru mais des différentes formes d'encéphalopathies spongiformes transmissibles (tremblante du mouton, maladie de la vache folle, maladie de Creutzfeldt-Jakob) : il pointa du doigt une protéine appelée le prion. Cette découverte fut un coup de tonnerre dans le ciel de la médecine. « Elle mettait à bas le dogme qui prévalait jusqu'ici selon lequel il était exclu qu'une simple protéine, étant dénuée d'acide nucléique (ADN ou ARN), puisse transmettre une maladie », raconte le biologiste du CEA Marc Dhenain, principal auteur de la publication dans « Acta Neurologica Communications » sur la maladie d'Alzheimer.

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Que vient faire cette dernière là-dedans, vous demanderez-vous ? Stanley Prusiner était - et est toujours - convaincu que la maladie d'Alzheimer est, elle aussi, une maladie à prion. Le prix Nobel qu'il a reçu à son tour, en 1997, a donné du poids à ses déclarations. Pour tester cette « hypothèse prion », de premières expériences ont été réalisées sur des souris génétiquement modifiées de telle sorte qu'elles reproduisent certaines caractéristiques pathologiques de la maladie d'Alzheimer, que les rongeurs ne développent pas naturellement. Mais les souris transgéniques constituent des modèles animaux trop éloignés du modèle humain pour permettre d'obtenir des résultats vraiment conclusifs. « Nous nous sommes dit que la seule façon de tester sérieusement l'hypothèse prion était de le faire sur des primates non humains, dont le cerveau se rapproche beaucoup plus de celui de l'homme », raconte Marc Dhenain.

En fait, les chercheurs du CEA ont refait entre 2012 et 2019 avec la maladie d'Alzheimer ce que Gajdusek avait fait dans les années 1950 avec celle du kuru, c'est-à-dire qu'ils ont, pour la première fois, injecté des broyats de cerveaux humains malades (collectés auprès de banques d'échantillons) dans ceux de primates non humains sains, pour observer ce qu'il se passait. Les résultats sont nets. Six mois après les injections, les tests comportementaux réalisés sur les microcèbes ont montré qu'ils commençaient à souffrir de problèmes de mémoire. Mieux : les IRM pratiquées régulièrement ont permis de mettre en évidence l'atrophie de l'hippocampe (siège de la mémoire), ce qui est l'une des signatures cérébrales de la maladie. Mieux encore : lorsque les microcèbes finissaient par être sacrifiés pour qu'on puisse disséquer leur cerveau, les observations au microscope ont révélé la présence de plaques amyloïdes à l'extérieur des neurones et de dégénérescences neurofibrillaires à l'intérieur de ceux-ci, soit les deux lésions caractéristiques de cette forme de démence ! Bref, preuve a été faite que la maladie d'Alzheimer est bel et bien transmissible de cerveau à cerveau (ce qui ne signifie évidemment pas qu'elle soit contagieuse : on n'« attrape » pas la maladie d'Alzheimer au contact d'une personne malade comme on le ferait d'un rhume ou d'une gastro-entérite !). Un élément qui la rapproche beaucoup des maladies à prion avérées.

Configuration 3D

Comment cette « hypothèse prion » a-t-elle émergé ? Dans les maladies à prion, c'est la configuration 3D anormale de cette protéine qui est cause de la maladie : le prion mal replié sur lui-même (mal configuré) agit comme un aimant qui attire à lui les prions sains et les déforme à son contact, entamant une réaction en chaîne. Or, les progrès récents de la biologie cellulaire ont permis peu à peu de faire émerger l'idée qu'un certain nombre de maladies neurodégénératives, dont Alzheimer mais aussi Parkinson, mettent elles aussi en jeu des protéines à la configuration 3D anormale. Dans la maladie d'Alzheimer, les deux lésions microscopiques que sont les plaques amyloïdes et les dégénérescences neurofibrillaires sont dues à deux protéines, le peptide amyloïde et la protéine tau, qui, lorsqu'elles sont saines, participent du bon fonctionnement du cerveau. Mais, alors que, dans un cerveau sain, ces deux protéines se trouvent dans une certaine configuration qui les rend solubles, dans un cerveau malade, leur configuration change et elles cessent d'être dégradables ; elles s'accumulent alors à l'extérieur et à l'intérieur du neurone, qu'elles finissent par tuer.

Par exemple, dans le cerveau d'un malade d'Alzheimer, le peptide amyloïde se replie en une structure appelée le « feuillet bêta-plissé », forme sous laquelle il est insoluble. Et lui aussi se met alors à agir comme un aimant, attirant à lui d'autres feuillets bêta-plissés qui finissent par s'agréger les uns aux autres jusqu'à former les fameuses plaques : un mécanisme qui ressemble beaucoup à celui mis en évidence par Stanley Prusiner dans les maladies à prion. C'est cette analogie qui a mis la communauté scientifique, Prusiner en tête, sur la piste de l'hypothèse prion. « Nous pensons que les protéines amyloïdes et tau sont similaires à des prions », résume prudemment Marc Dhenain.

Et les applications thérapeutiques de telles découvertes ? Nous en sommes encore loin. Malgré l'annonce récente par les laboratoires Biogen d'une première molécule efficace , la communauté médicale reste pour l'instant toujours aussi désarmée face à l'irréversibilité de cette maladie complexe et multifactorielle. Tout comme face aux maladies à prion avérées, comme celle de Creutzfeldt-Jakob. Mais pour pouvoir espérer les contrer un jour, il faut commencer par les comprendre. Les chercheurs de Fontenay-aux-Roses s'y emploient. Avec beaucoup d'autres à travers le monde.

Les « baptistes » et les « tauistes »

Dans les congrès scientifiques, les chercheurs spécialisés dans l'étude de la maladie d'Alzheimer se divisent volontiers eux-mêmes en « baptistes » et en « tauistes ». Comprendre par là : ceux qui concentrent leurs efforts sur le peptide amyloïde (sous sa forme pathologique de feuillet bêta-plissé), et ceux qui étudient plus particulièrement le rôle de la protéine tau. Entre les plaques de peptides bêta-amyloïdes et les dégénérescences neurofibrillaires dues au tau, qui joue le premier rôle dans la maladie ? Par quelle lésion débute-t-elle ? Le consensus qui se dégage aujourd'hui est que les deux lésions sont liées et interagissent. Passé cinquante ans, une personne sur deux, sans souffrir de la maladie d'Alzheimer pour autant, accumule un certain nombre de protéines tau pathologiques dans une partie de son cerveau : un phénomène normal, lié au vieillissement. Tant qu'elles restent cantonnées à cette région située dans le cortex temporal, elles sont alors sans gravité. Mais l'apparition de plaques amyloïdes, pour des raisons encore méconnues, aurait pour effet de propager ces protéines tau pathologiques et les dégénérescences neurofibrillaires qui en résultent hors de cette zone. Ce n'est qu'à ce moment, avec la propagation des dégénérescences neurofibrillaires dans d'autres régions du cortex, qu'apparaîtraient les symptômes de la maladie.

Alzheimer en chiffres

La maladie d'Alzheimer touche 900.000 personnes en France (et 35,6 millions dans le monde).

225.000 nouveaux cas sont recensés chaque année (7,7 millions dans le monde).

2 malades sur 3 sont des femmes.

Des prévisions indiquent que le nombre de cas devrait presque doubler tous les vingt ans.

Yann Verdo 

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