"Je me sens en insécurité sans mon téléphone"

La nomophobie ou la peur d'être séparé de son portable et déconnecté ©Getty
La nomophobie ou la peur d'être séparé de son portable et déconnecté ©Getty
La nomophobie ou la peur d'être séparé de son portable et déconnecté ©Getty
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Les technologies numériques nous rendent toujours plus connectés et sont la cause de nouveaux maux : nomophobie (peur d'être séparé de son mobile, de l'anglais "no mobile-phone phobia"), fomo (peur de manquer, de l'anglais "fear of missing out"). Témoignages recueillis par Maxime Tellier.

Depuis l'arrivée du premier iPhone en 2007, les smartphones ont envahi nos poches et nos vies jusqu'à inventer de nouvelles pathologies.

Edmée, 25 ans, "je me sens en insécurité sans mon téléphone"

Edmée appartient à une génération connectée en permanence, "j'ai toujours mon portable dans ma poche ou à proximité". "Accro", la jeune femme l'était déjà en 2013 ; alors étudiante à l'école de journalisme de Toulouse, elle s'est lancée un défi : écrire un blog pour raconter sa semaine sans portable et deviser sur les travers de l'époque. Trois ans après, Edmée arrive à se passer de son téléphone lorsqu'elle est en vacances ou que la batterie est à plat. Elle affirme même apprécier ces "périodes déconnectées" et ne se considère pas comme nomophobe. Même si...

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"je garde systématiquement mon portable, il ne me quitte jamais, même la nuit, je le charge sur la table de chevet à côté de moi. Je me sens en insécurité sans mon téléphone... Car aujourd'hui, c'est plus qu'un téléphone : c'est une boite mail, un moyen de se connecter sur Facebook, d'écouter de la musique, de prendre des photos, c'est un GPS et encore 20.000 autres trucs ! C'est triste à dire mais c'est presque une extension de ma main", Edmée.

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Une journée classique pour Edmée : "entre deux et trois heures d'appel, un peu plus d'une centaine de textos... C'est pas normal... Mais si c'est normal en 2016 !"

Antoine Lannuzel, journaliste et guetté par la nomophobie

Antoine Lannuzel est rédacteur en chef de la revue We Demain, "un magazine qui raconte le changement d'époque que l'on vit et le numérique en fait partie". La nomophobie est l'un des thèmes qu'il traite dans son travail mais c'est aussi un mal qui le menace : "je ne suis pas épargné ! Notre rédaction fait travailler de nombreux pigistes en France et à l'étranger et je dois rester en contact permanent avec eux : je fais partie des ces Français qui consultent leur téléphone portable très rapidement le matin, qui vont sur leur boîte mail très régulièrement et qui sont tentés de répondre tout de suite quand ils ont un message".

"Au réveil, nous sommes 42% à consulter notre portable dans les 30 premières minutes de la journée. Et la tendance est accentuée pour les plus jeunes, les 16-30 ans utilisent leur téléphone 23 heures par semaine... Soit l'équivalent d'un jour sur sept", Antoine Lazurel citant une étude TNS Sofres de novembre 2015.

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Dans le numéro 15 de "We Demain" paru en septembre 2015 : un reportage sur les "camps chinois de rééducation pour addicts aux écrans".

Etienne, 37 ans, formateur au contact de la "génération connectée"

Documentaliste dans un CFA (Centre de formation par l'apprentissage) depuis 13 ans, Etienne Lambert nous a contacté via son compte Twitter pour témoigner sur la relation qu'entretiennent les 15-25 ans avec leur téléphone, une relation qui a changé avec le temps :

"Les premières années (2004-2007), les usages étaient minoritaires : peu d'apprenti(e)s disposaient de terminaux mobiles de type smartphones et l'usage principal était le SMS sous la table. Puis arrivèrent les premiers tactiles (2007-2009) et avec eux l'amélioration des capacités photos et de stockage, les jeunes commencèrent donc à vouloir utiliser leur portable pour photographier des extraits d'ouvrages ou des éléments au tableau plutôt que de les copier (...)."

En 2009, j'ai envisagé un temps de demander un brouilleur à la demande des enseignants puis les ai convaincu du bien fondé de ne pas le faire (usant moi-même de mon smartphone pour prendre des photos de l'avancée du chantier).

"Même si le règlement intérieur de l'établissement interdit leur usage, j'autorise les apprenants à l'utiliser de manière raisonnée et raisonnable. En effet, de simple combiné et outil de communication par SMS, avec l'avènement de la miniaturisation et les capacités décuplées faisant converger les smartphones vers la puissance des ordinateurs (...surtout dans un établissement public avec l'amortissement du matériel sur 5 ans), ils sont devenus de véritables couteaux-suisses et à mon sens des outils utiles à la formation à l'heure de l'#EcoleNumerique."

Sur son compte Twitter, Etienne a retweeté ceci :

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Lors d'une sortie scolaire avec son fils qui est en CM2, l'un des enfants l'a interpellé : "monsieur pourquoi vous êtes tout le temps sur votre téléphone alors que nous on a pas le droit d'en avoir ?"

"Comment lui répondre ? "tu sais mon grand, ce n'est pas qu'un téléphone, c'est un lien avec mes amis et le monde via @twitter et @WhatsApp ou @skype, c'est une boite à outils multimédia avec mes multiples applis photo et vidéo et audio, c'est mon gestionnaire @moodle, c'est #mycanal, @netflix la TV d'orange... ; c'est les e-books via @kobo et @amazonbooks, les audiobooks d'@audible, les #podcast de @franceinter (#FrédericFromet, @andremanou, @GMeurice), les photos que je prends de votre sortie qui se synchronisent via @joomeo etc." donc je l'ai simplement liké 🏽et j'ai rangé le téléphone dans ma poche pour profiter du moment présent avec eux. P.S. ce billet n'a pas été écrit depuis mon smartphone car comme pour les livres, la sensation du clavier est irremplaçable. Je ne suis donc pas #nomophobe mais #smartophile donc du bon côté de la force (...)."

Serge Tisseron, psychiatre : "ados et salariés sur-investis sont les plus menacés"

Serge Tisseron
Serge Tisseron
© Radio France

Serge Tisseron : "Sur le plan psychiatrique, il n'y a pas de consensus sur l'existence d'une addiction au téléphone mobile, pas plus qu'il n'existe de consensus sur une addiction aux écrans. Le mot "addiction" est lié à une époque où il désignait des consommations de substance toxique et l'idée actuellement est plutôt de le garder pour ce domaine : l'alcool, le tabac, la drogue. En revanche, c'est vrai qu'on assiste à l'émergence de nouvelles pathologies... Comment les appeler ? Pourquoi pas la nomophobie en effet. Mais très souvent, les outils numériques révèlent des pathologies déjà existantes : les gens qui avaient toujours peur d'être abandonnés n'avaient pas un outil pour essayer de se rassurer. Le fait qu'ils l'aient aujourd'hui ne doit pas nous faire confondre avec l'apparition d'une nouvelle pathologie."

France Culture : Y'a-t-il un profil de personnes plus sensibles à la nomophobie ?

Serge Tisseron : "Les personnes qui vont être le plus "accro" à leur téléphone portable seront les personnes qui craignent le plus de rater un contact ou un lien, il peut s'agir d'un employé soumis au stress de son patron mais aussi d'un adolescent qui craint toujours de rater un lien de camaraderie. Ce qui caractérise l'adolescent, c'est à la fois un désir très fort de relations et en même temps une très forte crainte d'être instrumentalisé, donc le téléphone est un outil parfait pour qu'il arrive à gérer ses communications : le téléphone lui permet d'appeler quand il veut, d'envoyer des messages, de toujours se rassurer sur le fait qu'il y a quelqu'un qui fait attention à lui mais en même temps, le téléphone mobile protège l'adolescent d'un investissement trop important et notamment le risque que des SMS "chaud brûlant", s'ils étaient échangés en face à face, amènent des réactions imprévisibles de l'interlocuteur. Donc le téléphone mobile est l'outil sur mesure pour que l'ado arrive à gérer son désir de rapprochement et son extrême inquiétude. Mais à l'âge adulte, il y a beaucoup d'autres raisons pour qu'on soit accro à son téléphone : la pression professionnelle notamment, c'est pour cela que beaucoup d'entreprises posent des balises sur les moments où les employés sont libérés de leur obligation de consulter leur boite mail.

Serge Tisseron : "les outils numériques révèlent des pathologies déjà existantes"

3 min

EN PLUS : Le droit à la déconnexion figure dans la loi travail adoptée en 2016. Les salariés sont de plus en plus connectés en dehors des heures de bureau : à partir du 1er janvier 2017, les entreprises auront l'obligation d'entamer des négociations et de signer une charte pour s'entendre sur des périodes où le salarié ne pourra pas être sanctionné s'il ne répond pas à ses mails, pendant les weekends, la nuit, en vacances.

L'hyperconnexion, un sujet de société

La technologie numérique et les changements qu'elle entraîne sont devenus un sujet de société dont s'emparent les journalistes ou les chercheurs mais pas seulement. Artistes et humoristes également. Florilège non exhaustif ci-dessous à commencer par ce clip tiré du dernier album de Moby : ici le numérique rime avec solitude.

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Que serait la vie sans portable ? Vidéo réalisée par Qualcomm, entreprise californienne spécialisée dans la vente de puces et de logiciels pour téléphones :

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Babycakes Romero est un phographe londonien qui a consacré une partie de son travail aux effets du portable. "La mort de la conversation" est le sujet de l'un de ces reportages dont voici une photo sur son compte Instagram :

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La vidéo humoristique qui vante les mérites du "No phone air", un téléphone qui n'existe pas mais que l'on peut réellement acheter ici : il s'agit d'un bel emballage vide.

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Vos témoignages et réactions sur les réseaux sociaux

Comme chaque semaine, Hashtag fait appel à vos témoignages sur Facebook et Twitter. Mais la nomophobie fait aussi l'objet de publications spontanées, comme la chanteuse Louane sur son compte Instagram :

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Quelques-unes de vos réactions :

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A lire : Mon mobile et moi (notre Pixel à ce sujet en septembre 2012)

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