Contrairement aux apparences, les Rothschild et le Parti communiste chinois ont un certain nombre de points communs. D’abord leur amour pour le rouge, même si une bouteille de Château Lafite sur un drapeau chinois ferait tache. Ensuite leur goût du secret dès qu’il est question d’argent. Enfin leur vision à long terme. C’est sans doute là que le pays et le grand vin de Pauillac se rejoignent. Pas moins de dix ans ont été nécessaires à la famille pour produire leur premier vin chinois. Entre-temps, le baron Eric de Rothschild a passé la main à sa fille, Saskia. Mais les efforts du patriarche n’ont pas été vains.
Dix ans après avoir commencé à travailler les premiers arpents de vigne dans le Shandong –qui sont loués pour cinquante ans –, une province côtière située au sud-est de Pékin, connue pour ses vergers mais aussi de plus en plus pour ses vignes, les Rothschild ont officiellement inauguré le domaine de Long Dai et mis en vente les premières bouteilles le 19 septembre. Ce vin chinois de 30 hectares, dont le joli nom signifie « montagne ciselée comme une tablette de jade », vient donc s’ajouter aux autres domaines de la famille – les châteaux bordelais Lafite, Duhart-Milon, Rieussec et L’Evangile, le Château d’Aussières (Languedoc), Vina Los Vascos (Chili) et Bodegas Caro (Argentine).
Parvenir à produire un des meilleurs vins de Chine n’aura pas été une sinécure. Le terroir a certes été choisi après de multiples expertises mais, avec ses 360 terrasses, dont chacune a sa propre personnalité, il est extrêmement complexe à gérer. Et les Rothschild savent qu’ils ne pourront certainement pas l’étendre car la vallée de Qiu Shan, où il se situe, abrite déjà six autres domaines, la province du Shandong misant désormais à fond sur la viticulture et l’œnotourisme.
Vignes françaises importées
Nécessaires en raison de la médiocrité des cépages et raisins locaux, les importations de vignes françaises ont constitué un véritable casse-tête, tout comme l’envoi depuis Bordeaux de matériel agricole ou de barriques usagées. La Chine interdit en effet l’entrée sur son sol de machines d’occasion. Pour les Chinois, seul ce qui est neuf a de la valeur, alors que pour les viticulteurs, c’est souvent l’inverse. Par ailleurs, dans ce royaume de la contrefaçon, les vins haut de gamme constituent une cible toute désignée. Même vide, une bouteille étiquetée Château Lafite vaut de l’or. Comme parade, celles de Long Dai sont équipées d’un dispositif NFC (Near Field Communication), qui permet aux distributeurs et aux consommateurs de vérifier, sur leur smartphone, que la capsule placée sur la bouteille n’a pas été falsifiée. Enfin la météo de la politique chinoise n’a pas été toujours clémente : en 2018, le conglomérat financier public Citic a revendu les 30 % du capital de l’entreprise aux Rothschild, les contraignant à un investissement supplémentaire. En ces temps de croissance économique ralentie et de lutte contre la corruption, ce projet n’avait plus la cote à Pékin.
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