Écho de presse

15 décembre 1840 : transfert des cendres de Napoléon aux Invalides

le 14/12/2023 par Antoine Jourdan
le 16/12/2019 par Antoine Jourdan - modifié le 14/12/2023
Exhumation des cendres de Napoléon, estampe, 1840 - source : Gallica-BnF
Exhumation des cendres de Napoléon, estampe, 1840 - source : Gallica-BnF

Alors que la question se pose depuis 1830, le deuxième gouvernement Thiers entreprend de rapatrier les cendres de feu l’Empereur, décédé sur l’île de Sainte-Hélène en 1821. Le 15 décembre, un immense cortège amène la dépouille aux Invalides.

Après la mort de Napoléon le 5 mai 1821, la réorganisation du continent européen qui s’est négociée au Congrès de Viennes, et la restauration de la monarchie en France, la mémoire de l’Empereur des Français est un sujet épineux. Dans ses derniers vœux il avait indiqué vouloir être enterré « sur les bords de la Seine, au milieu de ce peuple [qu’il avait] tant aimé », mais ni la couronne légitimiste, ni le peuple ne sont alors particulièrement sensibles aux volontés de celui qui est tenu pour responsable des guerres impériales et de l’échec cuisant de Waterloo.

Cependant, sans tarder, la légende napoléonienne renaît en France, et la question de l’héritage de l’empire devient un sujet d’importance politique.

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En octobre 1830, juste après la révolution qui mène le libéral – et dernier « roi des Français » – Louis-Philippe au trône, le député de Montigny avait présenté à la Chambre une pétition qui demandait que « les cendres de Napoléon soient transportées en France, et déposées sous la colonne de la place Vendôme ». La démarche n’ayant pas abouti, Victor Hugo avait réagi en publiant un poème dithyrambique intitulé Ode à la colonne : « Dors ! nous t’irons chercher ! […] va, nous te ferons de belles funérailles ! ».

Malgré ce premier échec, la monarchie de Juillet se veut conciliatrice, et reconnaît volontiers l’héritage impérial. Dès 1831, une ordonnance royale réinstallait une statue de l’Empereur sur la colonne Vendôme, et, en 1836, Louis-Philippe inaugurait l’arc de Triomphe dont Napoléon avait commencé la construction trois décennies auparavant.

La crise sociale qui explose à la fin des années 1830 − illustrée notamment par insurrection menée par les républicains Barbès et Blanqui en 1839 − pousse Louis-Philippe à trouver de nouvelles façons de reconquérir l’opinion publique. En mars 1840, au moment de la formation du deuxième gouvernement d’Adolph Thiers, pour qui le retour des cendres de Napoléon est une véritable mission personnelle, une autre pétition circule qui va dans le même sens que celle de 1830. Le Commerce pousse la nouvelle équipe ministérielle à mener le projet à bien :

« Le cabinet comprend toute la portée morale du vote de la chambre qui, à l’unanimité, lui a renvoyé la pétition relative aux cendres de Napoléon.

M. Thiers aura-t-il l’intelligence et le cœur assez élevés pour accepter la mission jusqu’au bout ?

Cette réparation sera, pour le ministère qui voudra l’accomplir (il ne faut que le vouloir), une gloire, un souvenir attachés impérissablement à son nom. »

Le 12 mai, le gouvernement annonce son intention de rapatrier la dépouille de l’Empereur. Devant la chambre de députés, le comte de Rémusat, ministre de l’Intérieur de Louis-Philippe, fait un exposé élogieux à la mémoire de Napoléon et dépose un projet de loi qui allouerait une somme considérable à l’expédition. Le Siècle en fait l’écho :

« Messieurs, le roi a ordonné à S. A. R. Mgr le pince de Joinville [le troisième fils de Louis-Philippe, NDLR] de se rendre avec sa frégate à l’île de Ste-Hélène (explosion d’applaudissements) pour y recueillir les restes mortels de l’empereur Napoléon (Bruyantes acclamations). […]

Il fut empereur et roi ; il fut le souverain légitime de notre pays. À ce titre, il pourrait être inhumé à St-Denis. Mais il ne faut pas à Napoléon la sépulture ordinaire des rois, il faut qu’il règne et commande encore dans l’enceinte où vont se reposer les soldats de la patrie et où iront toujours s’inspirer ceux qui seront appelés à la défendre. Son épée sera déposée sur sa tombe. […]

Art. 1er. Il est ouvert au ministère de l’intérieur, sur l’exercice 1840, un crédit spécial de 1 million pour la translation des restes mortels de l’empereur Napoléon à l’église des Invalides, et pour la construction de son tombeau. »

Dans la presse, la réponse est plutôt positive. La plupart des journaux s’accordent pour dire que le gouvernement Thiers met en œuvre la volonté populaire. « Le Roi vient de répondre par un grand acte national, tout à la fois à l’un des derniers vœux de Napoléon mourant, et aux pieux désirs de la France » affirme ainsi Le Constitutionnel au lendemain de la décision. « Le gouvernement vient de réaliser une noble pensée qui, depuis 1830, était entrée dans les vœux de la nation », ajoute Le Siècle.

Cependant, certaines oppositions se font entendre. La Quotidienne, journal monarchiste légitimiste, rappelle l’échec de la pétition de 1830 et dénonce une usurpation de la popularité renaissante de l’Empereur :

« Des habiles ont pensé qu’il fallait tenter par désespoir, ce qu’on avait repoussé par prudence. On a usé sa popularité ; on veut exploiter celle d’autrui.

C’est là tout le secret de cette mesure tardive de glorification des cendres de Napoléon. Nous disons tout le secret ! »

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Et l’autre grand journal légitimiste, La Gazette de France, d’ajouter :

« Pourquoi allez-vous chercher les cendres de Napoléon, quand son sang est proscrit par vous ? Et, d’ailleurs, que veut-on exprimer par l’apothéose de l’empereur ?

Est-ce l’amour du despotisme ? […] Est-ce la reconnaissance de la France pour un grand général ? Mais les victoires de ce général ont amené les deux plus grandes défaites que la France ait jamais subies, Leipsick et Waterloo. »

Néanmoins, appuyé par la Chambre le projet est rapidement mis à exécution. Le 2 juillet, le prince de Joinville quitte le palais des Tuileries pour Toulon. Le 7, à bord de la frégate Belle-Poule, il met le cap sur l’île de Sainte-Hélène où il arrive, après plusieurs escales, le 8 octobre.

Interrogé au moment de son retour, le prince revient sur ses aventures et les difficultés techniques ayant entouré le retrait du cercueil de la première tombe de Napoléon :

« Commencés à minuit et demi, les travaux ont été poussés sans relâche et avec une grande activité pendant plus de neuf heures.

On avait pu craindre qu’en dépit de tous les efforts et malgré les deux opérations tentées simultanément pour arriver jusqu’au cercueil, la plus grande partie du jour ne s’écoulât avant que l’exhumation fût terminée et qu’on ne fût forcé de remettre la translation à demain… »

Finalement, l’exhumation du cercueil se déroule sans accroc et, après une longue cérémonie d’adieu, il est hissé à bord de la Belle-Poule.

Le 18 octobre, l’embarcation entame son retour vers  Cherbourg, où elle arrive le 30 novembre, chargée de la dépouille impériale. S’ensuit une remontée de la Seine au cours de laquelle de nombreux riverains se réunissent afin de voir passer l’impérial cortège. Au sommet de l’État, un impressionnant dispositif se met en place pour organiser le dépôt des cendres à l’Hôtel des Invalides, fixé pour le 15 décembre 1840.

Le 11, le Moniteur universel, organe officiel du gouvernement, publie un long descriptif du déroulement de la cérémonie à venir. Parcours du catafalque, ordre du cortège l’accompagnant, composé de 49 sections distinctes, décorations prévues pour l’avenue des Champs-Élysées, le Pont de la Concorde ou l’allée conduisant de la grille à la cour royale…

Le jour venu, la population parisienne est au rendez-vous : « avant le lever du soleil, par un froid de plusieurs degrés, une population de plus de 700 000 âmes s’est porté vers Courbevoie, Neuilly, l’Arc-de-Triomphe, la place de la Concorde et les Invalides » pour voir défiler le cortège et le cercueil. Parti de l’Est parisien à dix heures et demie, le char impérial travers la ville pendant presque quatre heures avant d’arriver aux Invalides, où une foule l’attend.

Soucieux de s’accaparer l’héritage impérial, le gouvernement de Louis-Philippe a fait en sorte que le spectacle soit imposant, et ce sont ainsi plusieurs dizaines de milliers de personnes qui sont invitées à assister à la cérémonie. La famille royale accueille en personne le corps de Napoléon. « Je le reçois au nom de la France », aurait affirmé Louis-Philippe selon la Gazette Nationale.

Dans son ensemble, la presse non-légitimiste décrit un événement grandiose, permettant aux Français de « revivre » une gloire passée et regrettée. « Le pays se rappelait la splendeur qui lui avait autrefois assigné le premier rang parmi les populations européennes » souligne Le Siècle. Le Constitutionnel, journal bonapartiste, va dans le même sens : le peuple français « se souvient […] du rang qu’il a tenu, du respect qui s’attachait alors au nom de français, et de cette prépondérance européenne que nous avions conquise ».

Même la Gazette de France, qui s’était dans un premier temps opposé au retour des cendres, souligne que Napoléon avait laissé la France « grande au milieu de ses revers et respectée en Europe ».

Il n’y a bien que La Quotidienne, résolument anti-bonapartiste, pour affirmer que la « cérémonie a manqué complètement de grandeur et de dignité » et pour noter que « beaucoup de spectateurs avait gardé leur chapeau sur la tête ».

Le retour des cendres de Napoléon est évidemment un moyen pour Louis-Philippe de détourner la popularité renaissante de l’Empereur vers sa propre personne. En choisissant de l’enterrer aux Invalides au lieu de Saint-Denis, il détourne l’attention du rôle de gouverneur qu’a endossé Napoléon, au profit de son rôle de militaire.

La popularité de la démarche et les foules qui assistent au retour du cercueil soulignent dans le même temps la sorte de fascination que les Français ont conservé pour l’Empereur − sinon pour l’Empire − malgré la défaite de Waterloo et la quantité de sang versée pendant les guerres napoléoniennes.

Le corps de Napoléon repose toujours à l’hôtel des Invalides, dans un immense mausolée imaginé par l’architecte Louis Visconti.

Pour en savoir plus :

Georges Poisson, L’Aventure du Retour des Cendres, Tallandier, coll. « Bibliothèque Napoléonienne », 2004, 288 p.

Gilbert Martineau, Le Retour des Cendres, Tallandier, coll. « Bibliothèque Napoléonienne », 1990, 206 p.

Jean-Marie Homet, « Napoléon : le retour des cendres », in: L’Histoire, 2003, n. 1, p. 80.

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