
Grosse tête bardée de diplômes, bûcheur sans étiquette politique, soutien des premiers jours de la révolte antisystème et idéaliste autoproclamé qui rêve de « changer le monde » : Hassan Diab, 60 ans, un universitaire peu connu du grand public, s’est vu confier par le président libanais, Michel Aoun, la tâche de succéder à Saad Hariri, le premier ministre renversé fin octobre par la rue. Sur le papier, il arbore un profil idéal. Celui du technocrate indépendant, en phase avec les manifestants qui réclament depuis plus de deux mois, pour faire face à la crise économique, un gouvernement d’experts, épuré de la classe politique traditionnelle.
Dans les faits, la situation est infiniment plus complexe et Hassan Diab, qui est l’un des vice-présidents de l’Université américaine de Beyrouth, après avoir été ministre de l’éducation entre 2011 et 2014, a peu de chances d’être l’homme providentiel. D’ailleurs, à peine son nom était-il connu que des centaines de protestataires, massés dans le centre de Beyrouth, ont commencé à le conspuer. Son CV-autobiographie de 136 pages, qui a circulé à toute vitesse sur Internet, et dans lequel il vante son « sens inné de la sagesse », ses « onze livres », « cent cinquante publications » et « trente distinctions nationales et internationales », n’a pas constitué la plus efficace des introductions.
« Politique politicienne »
Mais c’est surtout la manière dont il a été désigné qui suscite la colère des indignés libanais. L’homme a été choisi au cours d’une réunion à huis clos entre Gebran Bassil, le ministre des affaires étrangères, chef du Courant patriotique libre (CPL), la principale formation chrétienne, et Nabih Berri, le président du Parlement, dirigeant du parti chiite Amal et fidèle allié du puissant mouvement Hezbollah, de confession chiite également. Saad Hariri avait annoncé, mercredi, son refus définitif de se succéder à lui-même. « Des apparatchiks qui se réunissent en coulisses et sortent un nom de leur chapeau : c’est emblématique de cette politique politicienne, dont la rue ne veut plus », souligne Karim Emile Bitar, professeur de sciences politiques à l’Université Saint-Joseph de Beyrouth.
L’autre péché originel, qui promet de compliquer la tâche d’Hassan Diab, tient au fait que sa nomination n’a été soutenue que par 69 députés sur 128 : le bloc constitué du Hezbollah, d’Amal et du CPL et quelques électrons plus ou moins libres. Alors que la règle, au Liban, veut que le gouvernement soit dirigé par un sunnite – le chef de l’Etat étant chrétien, et le chef du Parlement, chiite –, le nouveau premier ministre n’a pas obtenu le soutien du principal représentant de cette communauté, le Courant du futur, de Saad Hariri. Celui-ci s’était résolu à jeter l’éponge après que Gebran Bassil et le tandem chiite ont opposé une fin de non-recevoir à son souhait de former un gouvernement composé exclusivement d’indépendants.
Les premiers pas de Diab sur la scène politique, le pedigree des ministres qu’il recrutera dans son cabinet et l’orientation générale qu’il donnera à son équipe seront scrutés à la loupe, aussi bien en interne qu’à l’étranger. Un gouvernement monocolore, soutenu uniquement par le Hezbollah et ses alliés, ferait courir au pays le risque de retomber dans la polarisation confessionnelle, à rebours des efforts des manifestants pour rompre avec le communautarisme politique. « Ça peut régénérer le schisme sunnite-chiite, ce qui ferait l’affaire des partis traditionnels », s’inquiète Ali Mourad, professeur de droit public à l’Université arabe de Beyrouth.
« Un pays qui fout le camp »
« C’est très grave, on est en train de s’installer dans une logique de confrontation, totalement déconnectée de la réalité d’un pays qui fout le camp, avec le bras de fer Etats-Unis-Iran en arrière-plan, renchérit l’économiste Charbel Nahas, l’une des figures de la contestation. La feuille de route économique et sociale que l’on avait réussi à imposer est en train de repasser au second plan. » Les urgences ne manquent pourtant pas. La dégringolade de la livre libanaise face au dollar sur le marché parallèle a réduit le pouvoir d’achat de la population de 20 % à 30 %. La Banque mondiale, qui prévoit une récession d’au moins 0,2 % en 2019, redoute qu’en l’absence de sursaut des autorités, le taux de pauvreté grimpe de 30 % à 50 % dans les prochains mois.
Si Hassan Diab ne parvient pas à doter son gouvernement d’une assise politique plus large que celle qu’il a pour l’instant obtenue, le nouvel exécutif aura les plus grandes difficultés à prendre les décisions impopulaires que la situation économique exige. L’enjeu est également diplomatique. La communauté internationale a conditionné toute mesure de sauvetage financier à la formation d’un cabinet réformateur. Un gouvernement dominé par le Hezbollah, parti sous sanctions des Etats-Unis qui le considèrent comme une organisation « terroriste », risquerait de compliquer l’accès à cette aide.
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