Le 12 décembre, un combattant de Daech s’est fait exploser à Samarra tuant sept membres d’une milice irakienne. Une semaine plus tard, dans la même province, les forces de sécurité irakiennes ont tiré des roquettes sur des militants de Daech. Peut-on parler d’un retour de l’État islamique en Irak ?

Adel Bakawan : Oui, indéniablement. Il ne se passe pas un jour sans une attaque de Daech dans les territoires disputés autour de Mossoul et de Kirkouk, ou dans les provinces de Salah ad-Din ou Diyala. Les autorités irakiennes ont officiellement proclamé leur victoire en décembre 2017, mais depuis, Daech se réorganise. Ses chefs ont digéré leur défaite, ils ont compris qu’elle était due à leur perte de contrôle du territoire du califat et sont donc passés à une nouvelle phase dans leur lutte.

Daech est de retour d’une autre manière : il a adopté la méthode d’Al Qaida, c’est-à-dire les explosions, les enlèvements, les prises d’otages et les opérations-suicides utilisées pour épuiser l’armée irakienne, les Peshmergas (NDLR : milices kurdes) comme les milices irakiennes. On sait même où il se cache : dans les monts de Hamrin, à la jonction entre le Kurdistan et l’Irak arabe.

Le temps des démonstrations de grandes brigades et de files de pick-up est révolu. Désormais, les attaques sont menées par des équipes de trois à cinq hommes au maximum qui s’auto-organisent : elles planifient elles-mêmes leurs opérations, choisissent la cible, comme la méthode, sans lien avec un commandement général. Le message s’adresse aussi à la population : « Nous sommes présents mêmes si vous ne nous voyez plus ».

L’organisation État islamique a-t-il encore des armes ?

A. B. : Daech n’a aucun problème économique. Dans une région marquée par les rapports de force entre Arabie saoudite, Turquie, Qatar, Russie, etc., il y a toujours de l’argent qui arrive : Daech peut servir les intérêts de l’un contre l’autre.

Le mouvement dispose encore d’un important stock d’armes et a les moyens de le compléter. N’oublions jamais que beaucoup de ses responsables sont d’anciens cadres supérieurs du parti Baas. Dans un pays aussi corrompu que l’Irak ou n’importe qui peut n’importe quoi, il utilise ses agents au sein de l’armée, de l’administration et même des milices.

Dispose-t-il encore d’un certain soutien de la part de la population sunnite ?

A. B. : Depuis 2017, la population de Mossoul et celle de la province de Ninive souffrent de la présence des milices chiites, qu’elle considère plus comme une force d’occupation que de libération. L’affichage de portraits géants de l’ayatollah Ali Khamenei (le Guide spirituel iranien, NDLR) à Mossoul, ville sunnite est perçu par ses habitants comme une transgression symbolique permanente. Ces milices se rendent également coupables d’enlèvements, de torture, etc.

Dans la province majoritairement chiite de Babylone, au sud de Bagdad, la ville autrefois sunnite de Jurf al-Nasr a été entièrement vidée de ses habitants pendant la guerre contre Daech. Depuis, aucun d’entre eux n’a le droit d’y revenir. Les milices chiites ont investi les lieux et transformé Jurf al-Nasr en centre de formation et d’entraînement. Ce ne sont que des exemples mais qui montrent le ressentiment de la population sunnite que Daech est susceptible d’exploiter.

S’ils savent où se trouvent les combattants de Daech, pourquoi l’armée irakienne et les peshmergas kurdes ne s’allient-ils pas pour les éliminer ?

A. B. : Les chefs des peshmergas sont clairs : ils ne veulent pas donner des milliers de « martyrs » pour la lutte contre Daech, pour défendre des territoires qui seraient ensuite occupés par des milices chiites. Ils veulent d’abord un accord politique. Or, le gouvernement à Bagdad _par ailleurs occupé à gérer le soulèvement populaire dans le sud du pays_, refuse de négocier.

Les membres de la Coalition internationale contre Daech ne sont pas plus mobilisés. Dans ses discours, le ministre français des affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian, reconnaît que Daech « demeure une menace permanente » et met en garde contre des « résurgences en Syrie » ou ailleurs. Mais sur le terrain, les peshmergas ne voient rien venir.

Certains généraux kurdes se demandent même si le retour de Daech, en affaiblissant les milices chiites, ne sert pas les intérêts des États-Unis, qui souhaiteraient leur démantèlement. En attendant, Daech a les mains libres.