Sportives de haut niveau, elles ont dominé des hommes : «Les battre pour les faire taire»

Comme Fallon Sherrock, première femme à remporter un match dans un Mondial de fléchettes mardi, elles ont réussi à battre des hommes dans leur sport. Elles nous racontent.

 Michèle Mouton, ici à droite avec sa copilote Annie Arrii au Tour de Corse en 1980, s’est imposée dans un milieu d’hommes.
Michèle Mouton, ici à droite avec sa copilote Annie Arrii au Tour de Corse en 1980, s’est imposée dans un milieu d’hommes. AFP/STAFF

    Ce n'est pas n'importe quel jet dans l'histoire des fléchettes. En réussissant un double 18, Fallon Sherrock a battu son adversaire Ted Evetts mardi, mais la Britannique est surtout devenue la première femme à dominer un homme dans un Mondial de ce sport. Un événement qui a rendu fou le public londonien de l'événement.

    « J'ai prouvé quelque chose pour les fléchettes féminines, que les femmes peuvent jouer contre les hommes et les battre, alors croisons les doigts, c'est un pas dans la bonne direction. » À 25 ans, la jeune femme intègre le club des sportives de haut niveau à avoir battu un adversaire masculin en compétition. Trois d'entre elles nous racontent comment elles ont vécu la chose.

    Samantha Davies, skipper, quatrième du Vendée Globe en 2009

    Sam Davies s’alignera sur le prochain Vendée Globe2018./AFP/Damien Meyer
    Sam Davies s’alignera sur le prochain Vendée Globe2018./AFP/Damien Meyer AFP/STAFF

    « La course au large s'est ouverte aux femmes grâce à des pionnières comme Florence Arthaud (notamment vainqueur de la Route du Rhum en 1990 et décédée en mars 2015). Elles ont permis de vaincre le machisme dans notre discipline et je n'ai pas eu à le subir. Maintenant, on respecte notre niveau et ce qu'on arrive à gagner. Moi, si je peux inspirer des filles et leur famille en gagnant des courses et en battant des hommes, c'est tant mieux et ça me motive dans mes courses. Quand j'étais ado, c'était le premier équipage 100 % féminin sur la Volvo Ocean Race qui m'a convaincue que je pouvais faire quelque chose dans ce sport.

    Parfois, on a des distinctions à part. Il y a un an et demi, j'ai gagné une course devant Isabelle Joschke et Yann Eliès. J'ai eu droit au trophée de la course et à celui de meilleure femme. Yann n'a pas eu celui de meilleur homme (rires). Ça n'est pas négatif, ça veut dire qu'on n'est pas encore assez nombreuses au haut niveau et qu'il faut en attirer d'autres.

    Ça serait beau qu'une femme gagne le Vendée Globe maintenant (NDLR : elle participera à la prochaine édition, sponsorisée par Initiatives Cœur). Mais aujourd'hui, si une entreprise se dit « Je vais mettre de l'argent pour gagner cette course », il y a peu de chances qu'elle appelle l'une d'entre nous. On doit conquérir ce statut de se voir proposer un bateau neuf. Et pas pour le symbole, mais parce qu'on l'aura mérité. »

    Mickaëlle Michel, jockey, 72 courses gagnées en 2018

    Mickaëlle Michel est l’une des meilleures jockeys de France./AFP/Lionel Bonaventure
    Mickaëlle Michel est l’une des meilleures jockeys de France./AFP/Lionel Bonaventure AFP/STAFF

    « Quand j'ai gagné ma première course mixte, je ne me suis pas dit : Oui, j'ai battu des hommes. J'étais juste heureuse d'avoir gagné. Mais au début, on a discuté nos victoires à cause de la décharge de poids ( NDLR : les femmes ont eu droit à courir avec 2, puis 1,5 kg en moins ). Moi, j'aimerais qu'on les enlève, mais les mentalités ne sont pas prêtes pour ça. On veut mépriser ce que font les femmes, donc on continue de nous sortir cet argument. C'est un problème de mentalité humaine et française, qui dépasse de loin le cadre de l'hippisme et que l'on retrouve trop souvent dans notre monde.

    Au départ de certaines courses, j'entends encore : Tiens, il y a des filles ici. Je n'y fais pas attention, je veux les battre pour les faire taire. Moi, je ne veux pas qu'on se dise que je les bats en tant que femme, mais en tant que jockey. Quand je les bats une fois, ils voient la femme. Quand je les bats dix fois, ils voient le jockey. »

    Michèle Mouton, vice-championne du monde de rallye en 1982

    Michèle Mouton en 1984./AFP/Dominique Faget
    Michèle Mouton en 1984./AFP/Dominique Faget AFP/STAFF

    « Quand j'étais au volant, je ne me demandais pas si je battais des hommes ou des femmes, je me disais que je gagnais. Ce sont plus les gens autour qui vous en parlent. Dans le milieu du rallye, c'est plus simple. L'avantage, c'est qu'on se bat contre le chrono. Dans les courses en circuit, c'est plus facile d'envoyer une concurrente dans le sable pour la refroidir. Plusieurs pilotes féminines ont souffert de ça.

    Au début, certains pouvaient être un peu vexés que je les batte, les mêmes qui appuient sur l'accélérateur dans leur voiture en ville quand ils se font doubler par une conductrice. En amateur, où on ne vérifie pas les voitures, on disait : Mouton, on lui trafique son moteur sinon elle ne battrait pas des hommes. Sauf qu'au Tour de Corse en 1975, on vient analyser ma voiture. Et tout était en règle…

    Parfois, j'entendais les spectateurs lâcher : La pauvre femme, elle lutte contre des hommes. Mais moi, ils ont appris à me respecter pour ce que je faisais. Aujourd'hui, ce sont les enfants des hommes qui m'ont vu gagner sur le bord des routes qui viennent me voir. Ils me disent : Mon père m'a raconté que vous étiez une sacrée pilote. C'est encore quelque chose qui me touche. »