Soupçons de radicalisation : des cartons de djellabas retrouvés dans un club de foot de l’Essonne

Cet été, le club de football de Lisses, près d’Evry, a été fermé, officiellement pour des problèmes de comptabilité. Mais soupçonnée de radicalisation, l’association était dans le viseur des autorités.

 Lisses, le 6 septembre 2019. Une cinquantaine d'enfants du FC Lissois se sont entraînés sur le parking du complexe Stéphane-Diagana, le club ayant été dissout par la municipalité.
Lisses, le 6 septembre 2019. Une cinquantaine d'enfants du FC Lissois se sont entraînés sur le parking du complexe Stéphane-Diagana, le club ayant été dissout par la municipalité. LP/ J.M.

    La commune de Lisses, dans l'Essonne, 7500 habitants, a un nouveau club de foot depuis cet été. Créé voici 50 ans, le précédent, qui comptait près de 600 licenciés, a été officiellement fermé cet été pour... problèmes de comptabilité. Sauf que la raison réelle est toute autre. Cette association était soupçonnée de communautarisme et même de radicalisation depuis la reprise en main de la structure par deux personnes de confession musulmane, dont Mickaël Romain, 38 ans, Antillais converti.

    Dès les premiers soupçons en 2018, lors de contrôles, des infractions ont été répertoriées par les services communaux. Durant près d'un an, le FC Lissois a subi un véritable travail de sape de la part des forces de l'ordre et des collectivités. Bilan de ces visites lors des entraînements : la découverte d'un vestiaire transformé en bar à chicha et d'un tapis de prière dans le club house. Lors des tournois, la nourriture servie était exclusivement halal, sans que les licenciés soient au courant.

    «Des parents nous avaient dit que leur enfant parlait de l'islam en rentrant du foot»

    «Des parents nous avaient dit que leur enfant parlait de l'islam en rentrant du foot, ça nous a surpris, et ces alertes se sont renouvelées », indique une source proche du dossier. Ce qui a motivé ces inspections, jusqu'à la fermeture définitive en juillet 2019. «Lorsqu'on a récupéré les locaux, on a trouvé des cartons remplis de djellabas, témoigne Thierry Lafon, le maire (DVD) de Lisses. C'est peut-être un hasard, mais ça n'avait rien à faire là. Et dans le football, sport populaire par excellence, on doit être prudent.»

    Car comme dans la plupart des cas de soupçons de radicalisation au sein d'une structure sportive, difficile de prouver ce basculement idéologique et de le justifier sur le plan légal. La municipalité a donc épluché les comptes et dénoncé une « gestion administrative devenue floue ». Le type de méthode qui a mis fin à la carrière d'Al Capone : le roi de la pègre de Chicago avait été arrêté en 1931 pour... fraude fiscale.

    Face à la menace djihadiste, les forces de l'ordre ont désormais pour consigne «d'utiliser les moyens de la démocratie», selon le préfet Frédéric Rose, secrétaire général du Comité interministériel de prévention de la délinquance et de la radicalisation (SG-CIPDR).

    Le ministre de l'Intérieur Christophe Castaner a d'ailleurs demandé voici quelques semaines aux autorités locales de «combattre l'islamisme et le communautarisme en s'appuyant sur tout l'éventail de l'arsenal juridique, qui va du contrôle de la législation du travail, à celle de la réglementation régissant les débits de boissons en passant par les lois contre les discriminations, les atteintes à l'égalité femmes/hommes.»

    De son côté, Mickaël Romain, directeur technique du FC Lissois, se montre perplexe face aux motifs évoqués. «On a compris qu'on nous reprochait d'être radicalisés quand on a demandé aux communes voisines s'il y avait des terrains de libre, pour que notre club poursuive son activité ailleurs, lâche-t-il. On nous a répondu qu'on avait la réputation d'être une cellule de Daesh.»

    «Chez moi j'ai de l'alcool pour mes invités. Et dans notre club de foot, on a fêté Noël»

    Lui se défend de tout prosélytisme. Malgré tout, au lendemain de l'attentat de la préfecture de police de Paris en octobre, une de ses publications sur son compte Facebook a été signalée pour apologie du terrorisme sur les plate-formes dédiées. Il y écrit : «Cette excuse ( NDLR : dire qu'un tueur a crié Allah akbar ) c'est la meilleure pour tout justifier. A nous de devenir plus influents. C'est notre pays [...], il faut maintenant qu'on s'organise et qu'on s'unisse pour se faire entendre. »

    Au lendemain de l’attentat à la préfecture de police de Paris, une des publications sur la page Facebook du principal dirigeant du club de Lisses. DR
    Au lendemain de l’attentat à la préfecture de police de Paris, une des publications sur la page Facebook du principal dirigeant du club de Lisses. DR LP/ J.M.

    Quant aux objets retrouvés, là encore le directeur technique avance des éléments. Le tapis de prière, Mickaël Romain pense que c'est le sien. «Et puis, on trouve ça dans tous les clubs, balaye-t-il. Mais on n'a pas de prière organisée, chacun est libre de la faire dans son coin. Et les cartons de djellabas, ce sont des collectes de vêtements que nous avions fait auprès des licenciés pour les distribuer aux SDF. Et au même titre que le boubou, ce n'est pas un vêtement islamique, c'est un vêtement qu'on trouve dans les pays arabes.»

    Lors des événements festifs, pour éviter d'avoir des pertes dans les produits périssables, le directeur technique a privilégié le halal : «Tout le monde peut en prendre comme ça», justifie-t-il.

    «Et je n'ai jamais parlé d'islam au foot, ni fait l'apologie du terrorisme, reprend Mickaël Romain. Je ne suis pas radicalisé. Chez moi j'ai de l'alcool pour mes invités. Et dans notre club de foot, on a fêté Noël.»