Devant les grilles du SAIME (Service administratif d’identification, de migration et des étrangers) de San Bernardino, au centre de Caracas, une soixantaine de personnes font la queue dans la rue. José Manuel, 74 ans, attend avec son épouse qu’on les appelle pour récupérer leur « prolongation » de passeport, collée dans le document périmé, et que l’État vénézuélien délivre depuis 2017, faute de matériel. À condition, toutefois, de pouvoir se connecter à un serveur régulièrement en panne…

« On a mis un mois avant de pouvoir accéder au site Internet du SAIME car la page buggait, déplore José Manuel. Normalement, pour s’en sortir, il faut payer quelqu’un. Nous avons été heureux de réussir sans payer de pot-de-vin ! »

La corruption d’un agent du SAIME, étape obligée

Mais tout le monde n’a pas cette chance : Diego, 28 ans, a dû payer 100 dollars (89 €) à une « facilitatrice » pour débloquer sa situation. « Évidemment, c’est compliqué de payer en dollars ici, car on ne trouve pas de devises », dit-il. S’il avait fini, après plusieurs semaines d’essais infructueux, par mener à terme la démarche, il n’a jamais reçu le mail de confirmation lui permettant d’aller chercher son document…

La seule solution qu’il a trouvée a été de passer par un tiers pour corrompre un fonctionnaire du SAIME. « Sincèrement, je suis chanceux car je connais des gens qui ont dû payer entre 400 et 800 dollars (357 et 714 €), juste pour obtenir la prolongation », précise-t-il.

Selon des sources proches de cette administration, la corruption fait loi au sein de l’institution, et aucune antenne ne semble marcher normalement. Une situation qui peut notamment s’expliquer par les faibles revenus des fonctionnaires, un salaire minimum mensuel qui n’atteint pas les 10 €.

Faute de passeport, un exil encore plus précaire

Or, à l’heure de l’exode, ne pas avoir de passeport peut entraîner des conséquences dramatiques au Venezuela : le nombre des réfugiés et migrants vénézuéliens a atteint les 4,6 millions en novembre, et devrait dépasser les 6,5 millions fin 2020, d’après l’Organisation internationale pour les migrations.

« Les Vénézuéliens qui n’ont pas de passeport n’ont pas d’autre choix pour sortir que de traverser la frontière à pied vers la Colombie ou le Brésil, ou d’être clandestin dans les autres pays », affirme Marino Alvarado, avocat et coordinateur à Provea, ONG vénézuélienne de défense des droits de l’homme.

C’est dans ce contexte que le SAIME a annoncé, en fin d’année, des hausses répétées de ses tarifs : un passeport neuf coûte désormais 8 millions de bolivares, et la prolongation environ la moitié – soit respectivement 176 € et 88 € (1).

« Cela va compliquer l’obtention d’un passeport pour les plus pauvres, ceux qui ont émigré le plus en 2018 et 2019. Généralement, ce sont des foyers où, si on fait la somme des revenus, on arrive péniblement à quatre ou cinq salaires minimums, c’est-à-dire entre 26 et 31 € par mois », poursuit Marino Alvarado.

Une hausse des prix pour lutter… contre les pots-de-vin

Attendant son tour devant le SAIME, José, chauffeur de 43 ans, se félicite d’avoir fait la démarche avant ces dernières vagues d’augmentation. Quant à Oriana, jeune médecin de 26 ans, elle peste contre l’institution : « ces nouveaux tarifs c’est de la folie, personne ne peut payer ça ici ! Même si l’objectif de cette augmentation est d’améliorer la qualité du service et de lutter contre les pots-de-vin, je ne pense pas que la corruption s’arrête. »

Constat partagé par Marino Alvarado : « La corruption va continuer, car c’est quelque chose de structurel dans le SAIME. Tant que les fonctionnaires toucheront des salaires de misère, ils chercheront des mécanismes illégaux pour augmenter leur revenu. »

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Imbroglio au Parlement autour de la réélection de Juan Guaido

Juan Guaido a été réélu dimanche 5 janvier président du Parlement vénézuélien, au terme d’une journée mouvementée. « Je jure devant Dieu et le peuple du Venezuela de faire respecter » la Constitution en tant que « président du Parlement et président par intérim », a déclaré après le scrutin Juan Guaido, qu’une cinquantaine de pays reconnaissent comme président du Venezuela par intérim depuis près d’un an.

Le vote a été organisé au siège du journal El Nacional, non dans l’hémicycle, car les forces de l’ordre ont empêché toute la journée Juan Guaido, des députés d’opposition et des journalistes d’accéder au Parlement. À la mi-journée, en l’absence de Juan Guaido à l’Assemblée, Luis Parra, un député rival mais se disant toujours dans l’opposition, avait empoigné un mégaphone depuis le perchoir et s’était déclaré nouveau chef de l’hémicycle dans une cohue indescriptible.

(1) Selon les tarifs publiés par le SAIME au 7 décembre.