Articles récents \ Monde \ Afrique Justine Masika Bihamba « En RDC, les milices violent des femmes, tirent dans leurs organes génitaux, y introduisent des objets pointus … »

Justine Masika Bihamba, est coordinatrice de la Synergies des Femmes pour les Victimes de Violences Sexuelles au Congo. Elle  intervient auprès des femmes du Nord Kivu, région de l’Est du Congo et frontalière de l’Ouganda et du Rwanda, historiquement marquée par des violences du fait de conflits ethniques, territoriaux, de la présence de ressources minières et de milices armées nationales et étrangères. Dans cette région, les violences faites aux femmes sont endémiques et utilisées comme armes de guerre. 

Quand est née l’association Synergie des Femmes pour les Victimes de Violences Sexuelles et qu’est ce qui a motivé sa création ?

L’association a été créée en 2002. Je dirais que comme toute personne normale, lorsque j’ai fini mes études en 1990, j’ai trouvé du travail dans une organisation locale qui s’occupait de la promotion des droits des femmes paysannes. Il y a des femmes qui nous disaient que lorsqu’elles allaient aux champs, des personnes abusaient d’elles. Il a fallu comprendre la question, c’est pourquoi nous avons organisé une recherche en collaboration avec Human Rights Watch. Cette enquête a donné lieu à la publication du rapport «La guerre dans la guerre .» Par la suite, nous avons réuni les organisations et personnes que nous avons rencontré au cours de l’enquête afin de réfléchir aux actions possibles. L’une des recommandations était de travailler en synergie puisqu’il est impossible pour une seule organisation de prendre en charge toutes les victimes de violences sexuelles. Et c’est ainsi que nous avons commencé l’action.

Une seconde étape dans notre action a été franchie à la suite d’un événement tragique. Une vieille dame de 90 ans fut violée à Goma. Nous l’avons emmené à l’hôpital mais, une fois arrivée là-bas, les soignant.es ont refusé de la prendre en charge car elle n’avait pas de moyens et elle est décédée. Cela m’a révolté et j’ai envoyé un SOS pour demander des financements car, ayant fait des recherches, nous savions quelles actions nous pouvions mener. La coopération suisse a répondu, c’est le premier bailleur de la Synergie, nous avons alors pu commencer le travail.

Quelles sont les raisons des violences dans le région du Nord Kivu ?

Dans ma province, le Nord Kivu, il y a aujourd’hui plus de 30 groupes armés actifs, étrangers et nationaux. Cela s’explique par la richesse de notre province en minéraux. Votre téléphone vous facilite la vie pour communiquer, mais le coltan tue des gens. 90% des minerais qui se trouvent dans votre téléphone sont exploités dans mon pays.

Quelle est la place des violences sexuelles dans les conflits armés ?

Les violences sexuelles sont faites pour humilier une famille, une communauté, mais aussi pour détruire. Si vous voyez les atrocités avec lesquelles les milices commettent ces violences… En RDC, les milices violent des femmes, tirent dans leurs organes génitaux, y introduisent des objets pointus, pour signifier que plus personne ne doit passer par là !

De nombreuses personnes considèrent la femme comme étant sacrée. Le mari voit sa force à travers son épouse et lorsque celle-ci est victime d’un viol, le mari se sent sans force et c’est ainsi que le viol est utilisé comme arme de guerre puisque, une fois son épouse violée, le mari se sent désarmé.

Peut-on arriver à réduire les violences ?

Oui c’est possible, parfois il y a des accalmies comme en 2015 où la MINUSCO, la mission de l’ONU pour la stabilisation du Congo, avait mené des offensives contre les groupes armés et arrêté des chefs rebelles, ce qui a conduit à une diminution des violences. Mais lorsqu’il y a augmentation des conflits, il y a augmentation des viols et des violences faites aux femmes. Oui il peut y avoir diminution des violences mais plusieurs conditions doivent être réunies : la fin de l’activisme des groupes armés, la traçabilité de l’exploitation des minerais, une bonne gouvernance, des sanctions judiciaires effectives en cas de violences sexuelles.

Quelles actions menez-vous auprès des femmes victimes de violences ?

Nous réalisons une prise en charge globale car être victime de violences sexuelles est un tout. La victime présente beaucoup de problèmes.

Tout d’abord, nous leur proposons une prise en charge médicale car les femmes viennent avec des lésions physiques graves. Ensuite, nous faisons un accompagnement psycho-social puisqu’elles ont des traumatismes aiguës. Le viol n’est pas le problème d’une femme, d’une fille ou d’un homme mais c’est problème social puisqu’il affecte toute la famille. Une fois qu’une membre de la famille est violée, toute la famille est affectée et nous faisons des médiations familiales pour les femmes rejetées.

Par ailleurs se pose le problème des enfants, puisque les viols sont souvent accompagnés de grossesses non désirées. Les enfants ne sont pas accepté.es par leur maman puisque lorsque les femmes les voient, elles se souviennent de ce qu’elles ont vécu.

La communauté est parfois méchante, elle va parfois appeler l’enfant par le nom des agresseurs. Nous essayons de faire de la médiation, de la sensibilisation pour montrer à la communauté que la personne que nous devrions soutenir c’est la victime qui n’a pas voulu ce qui s’est passé. Celui qu’on doit huer, condamner, c’est l’auteur des agressions. 

Nous avons longtemps cherché des solutions aux conséquences des violences, mais aujourd’hui nous voulons mener des actions pour résoudre les causes de celles-ci. Nous travaillons sur quatre causes : l’exploitation illégale des ressources naturelles qui alimente les conflits, la non réforme du système de sécurité (les personnes qui viennent de différents groupes armés sont intégrées à l’armée, la police, sans formation aucune), l’impunité généralisée, les coutumes et traditions qui considèrent les femmes comme inférieures. Nous faisons beaucoup de sensibilisation, nous travaillons avec les communautés, avec les autorités, la jeunesse. Dans notre organisation, un groupe de jeunes  sensibilise d’autre jeunes car cela fait plus de 20 ans que nous sommes en guerre. Il est très facile de rencontrer des jeunes de 20 ans qui n’ont pas eu la chance d’être scolarisé.es et qui sont vulnérables, faciles à manipuler et à enrôler pour intégrer les groupes armés. Nous avons remarqué que le message passait bien entre les jeunes, c’est pourquoi, dans l’association, nous avons un groupe de jeunes qui sensibilise d’autres jeunes afin que celles-ci/ceux-ci deviennent des agents du changement, des agents de la paix.

Quelles sont les actions menées par votre association envers la jeunesse ?

Le groupe de jeunes de notre association travaille sur plusieurs sujets. Premièrement, l’éducation, car nous sommes en guerre, ce qui signifie que beaucoup de jeunes n’ont pas eu la chance de pouvoir étudier. Nous proposons donc des formations accélérées d’alphabétisation. En quarante-cinq jours on apprend à lire et à écrire en Swahili. En trois mois on apprend à lire et écrire le français.

Par ailleurs, le groupe réalise une approche en terme de genre. La majorité des gens croit que le genre c’est le sexe, mais nous voulons montrer à la jeunesse que c’est l’égalité des chances et des droits.

Nous travaillons également sur la question des leaders puisque nous sommes dans un pays où il y a beaucoup de chefs rebelles, et les jeunes ont perdu les repère concernant les leaders, elles/ils identifient ces chefs rebelles comme leur leader. Nous nous intéressons aux questions suivantes : qui est un/une leader ? comment doit-elle/il être ?

Enfin, nous œuvrons pour la consolidation de la paix. Pour cela, nous misons sur l’entreprenariat des jeunes, leur mise en activité afin d’éviter qu’elles/ils ne soient recruté.es par des groupes armés.

Nous avons mis en place un programme qui prévoit de donner deux cents dollars pour un an aux jeunes afin qu’elles/ils entreprennent différentes activités, montent leur entreprise. Ainsi, au bout d’un an elles/ils peuvent commencer à nous rembourser tout en continuant leur activité. 

Nous avons commencé avec 15 jeunes, aujourd’hui nous en avons plus de 3000 qui bénéficient de nos actions, de nos financements, et participent aussi aux actions de sensibilisation dans leurs milieux, universités etc. Nous voulons former une jeunesse qui ait notre mentalité.

Ce programme s’adresse aux filles et aux garçons mais majoritairement aux filles : 85% de filles et 15% de garçons.

Que fait le gouvernement pour la diminution des violences dans la province du Nord Kivu ?

Ce qui est vrai c’est qu’il y a quelques semaines, le gouvernement a lancé une offensive contre les groupes rebelles ougandais (ADF). Le problème c’est qu’il y a eu un plan militaire mais pas de plan humanitaire. Or, lorsqu’il y a des offensives, il y a des populations qui se déplacent et des groupes armés qui profitent de ces déplacements pour prendre les populations civiles en otage, les rallier à leurs camps etc. Le gouvernement congolais et l’ONU doivent travailler ensemble pour mener des offensives contre les groupes armés tout en protégeant la population.

Quelle est son action envers l’égalité femmes/hommes et la progression des droits des femmes ?

Avec le gouvernement actuel il y a des progressions. Par exemple, c’est le premier gouvernement qui compte 17% de femmes. Sur le plan de la scolarité, le gouvernement avait promis la gratuité mais malheureusement il n’a pas eu de moyens.

Le président, Felix Tshisekedi, veut faire des choses mais il est bloqué car il n’a pas la majorité parlementaire. Au final ce n’est pas lui qui dirige, c’est Kabila, l’ancien président qui contrôle tout car il a la majorité dans les chambres législatives et contrôle aussi l’armée.

La communauté internationale doit nous aider afin que Tshisekedi puisse réellement entrer en fonction.

Quelles sont les lois existantes pour lutter contre les violences faites aux femmes ?

La loi sur la répression des violences sexuelles date de 2006. Mais, en 2014, il y a eu une résolution conjointe du gouvernement avec des représentant.es spéciales/spéciaux du secrétaire général des Nations Unis sur les violences sexuelles. Cette résolution a apporté des avancées puisqu’aujourd’hui il y a une stratégie de l’armée nationale congolaise et de la police de lutte contre les violences sexuelles. 

Quel est l’état des droits sexuels et reproductifs en RDC ?

Jusqu’à aujourd’hui, l’avortement est punissable en RDC. En 2018, une loi sur la santé de la reproduction a été votée et accepte l’avortement dans certaines conditions : en cas de viol, d’inceste, si la femme n’a pas toute ses capacités mentales, ou quand la grossesse représente un danger pour la vie de la mère. L’un des blocages pour l’évolution de cette loi est l’église catholique qui refuse toute avancée, soulignant que la vie est sacrée. Par ailleurs, la loi est mal connue et mal appliquée. Il n’y a pas de mesures pour la mettre en application, pas de suivis.

Cela pose problème puisque avec l’exploitation illégale des ressources, il y a de nombreux trafics dans la région et notamment des réseaux de prostitution. Les filles qui se prostituent ont 13 à 17 ans et avortent très souvent. La loi autorise ces filles à avorter : si tu n’es pas majeure, c’est du viol et l’avortement est permis en cas de viol. Il faut les accompagner. Or, la loi étant mal appliquée et respectée, ces filles se retrouvent souvent à avorter dans des conditions déplorables.

Quelle action menez-vous envers ces jeunes filles, prises dans des réseaux de prostitution ?

Ce que nous faisons, c’est de la sensibilisation. Nous renseignons ces jeunes femmes sur les droits humains nationaux, régionaux et internationaux, pour qu’elles connaissent leurs droits, car elles ne les connaissent pas.

Ensuite, pour celles qui veulent étudier, la Synergie paye leurs frais scolaires. Enfin, nous essayons de leur apprendre un métier. Ce que nous voulons c’est qu’elles puissent travailler, connaître leurs droits et être conscientes que ce qu’elles sont en train de faire est une violation grave de leurs droits.

Qu’allez-vous faire en rentrant dans votre pays ? 

Je rentre dans ma région du Nord Kivu pour poursuivre mon travail avec les femmes. J’ai été menacée, donc je vais essayer de faire profil bas tout en poursuivant mon action pour les femmes.

Marion Pivert 50-50 Magazine 

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