« Je ne peux que me réjouir de la mort de Soleimani »

Entre révolution politique et sexuelle, l'exilé Omar Youssef Souleimane raconte comme la jeunesse syrienne s'est retrouvée otage du régime comme des islamistes.

Propos recueillis par et

L'écrivain syrien Omar Youssef Souleimane, auteur du

L'écrivain syrien Omar Youssef Souleimane, auteur du "Petit Terroriste" et du "Dernier Syrien" (Flammarion).

© Sébastien leban pour Le Point.

Temps de lecture : 7 min

« Tout ce que nous voulions, c'était vivre comme des êtres humains. Mais nous avons réclamé la liberté à un pays qui n'était pas prêt. » Dans le Le Dernier Syrien (Flammarion), Omar Youssef Souleimane narre les espoirs déçus d'une jeunesse syrienne au moment du Printemps arabe. Ce jeune écrivain et poète sait de quoi il parle. Traqué par les services de renseignements de Bachar el-Assad, il a dû fuir son pays en 2012 et a trouvé refuge en France. Le roman raconte sa génération qui espérait renverser l'ordre social d'un régime dictatorial mais s'est retrouvée broyée dans les prisons d'el-Assad comme par les islamistes de Daech. Entre libération sexuelle et confessions personnelles, Omar Youssef Souleimane signe une autofiction bouleversante sur la liberté et le courage. Interview.

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Le Point : Pourquoi avoir voulu raconter la jeunesse syrienne au début du Printemps arabe ?

Omar Youssef Souleimane : Quelques mois après ma sortie de Syrie, un ami proche, correspondant pour plusieurs chaînes étrangères, était tué dans sa maison, à Damas. C'est lui qui m'avait montré comment faire des reportages vidéo sur les manifestations et sur les cadavres laissés par le régime. Je n'ai même pas pu voir de vidéo de ses funérailles. L'image de sa mort est restée en moi, et j'ai eu besoin d'écrire sur toute cette génération qui a donné sa vie pour la liberté.

Plusieurs de vos personnages sont gay. L'homosexualité, pour laquelle plusieurs hadiths prescrivent la peine de mort, est-elle taboue en Syrie ?

C'est un sujet plein de paradoxes. L'homosexualité existe en Syrie comme partout ailleurs dans le monde, il y avait même du tourisme sexuel avant la guerre. Mais elle doit rester cachée et interdite. Dans la loi, si deux homosexuels sont arrêtés, ils peuvent être punis de trois mois de prison. Pourtant, dans l'histoire du Moyen-Orient, l'homosexualité est très bien représentée. Le calife abbasside Haroun Al-Rachid avait eu beaucoup d'amants des deux sexes. Son fils Al-Amin était homosexuel, avec un favori, Kaouthar, pour qui il écrivait même des poèmes : « Kaouthar est ma religion, mon monde, ma maladie et mon médecin. » Cela n'était nullement un problème. Ce qui est choquant, c'est que l'homosexualité soit devenue un tabou avec l'essor de l'islam politique dans le Moyen-Orient du XXe siècle. Comme c'est interdit, cela augmente d'ailleurs les désirs. Une relation homosexuelle est ainsi beaucoup plus facile en Syrie qu'en France ! La frustration et la transgression de l'interdit jouent un rôle important. Les gens font encore plus l'amour pendant les guerres, car c'est le seul moyen de se sentir exister face au danger… On ne sait pas si on sera encore vivant demain, alors on fait l'amour.

C'était une révolution politique, mais aussi une révolution sexuelle contre la religion. 

« Je crois que, si on était libre sexuellement, si chaque homme et chaque femme pouvaient vivre leurs passions, la guerre prendrait fin », dit l'un de vos personnages…

Je le pense aussi ! Quand j'étais à Homs, il y avait, d'un côté, des islamistes qui entraient dans la ville et qui voulaient appliquer la charia et, de l'autre, des défenseurs du régime. Mais si alaouites et sunnites avaient couché ensemble, tout aurait été plus simple (rires). Boire de l'alcool et faire l'amour abolit toutes les raisons de faire la guerre. En 2011, la jeune génération a essayé de faire une révolution contre tous les tabous, mais elle s'est retrouvée seule face au régime et face aux islamistes. Ces jeunes ne voulaient pas seulement renverser le régime, ils voulaient aussi renverser l'ordre social. C'était une révolution politique, mais aussi une révolution sexuelle contre la religion. Cela a duré un an. La violence du régime d'el-Assad et celle des islamistes ont littéralement égorgé ces mouvements pacifiques. Et ces jeunes qui voulaient une démocratie n'ont pas été aidés à l'extérieur. Nous étions face à un régime qui contrôle la Syrie depuis cinquante ans, mais qui bénéficie aussi de nombreux soutiens à l'étranger.

La vie quotidienne des Syriens est aujourd'hui un enfer.

« Nous avons réclamé la liberté à un pays qui n'était pas prêt », écrivez-vous. Aujourd'hui, gardez-vous un espoir pour votre pays ?

J'aime cette phrase de Mark Twain : « Ils ne savaient pas que c'était impossible, alors ils l'ont fait. » Même si c'était le Printemps arabe, la Syrie n'était pas prête à accueillir ces changements. La plupart de ces jeunes ont été tués, emprisonnés, ou sont exilés partout dans le monde entier. Aujourd'hui, il n'y a aucun mouvement efficace qui organise ces luttes en Syrie. Nous sommes un peuple et une génération dispersés. Mais une nouvelle génération va reprendre le flambeau de la liberté, j'en suis certain. Le régime est aujourd'hui en train de récupérer tout le territoire syrien, en collaboration avec les Iraniens, les Russes, les Turcs, mais d'une certaine manière aussi grâce aux Américains et aux Européens. Ce régime ne pourra pas garder éternellement le pouvoir, parce que la vie quotidienne des Syriens est aujourd'hui un enfer. Si on regarde la situation globale au Moyen-Orient, on observe d'ailleurs des progrès. Au niveau des croyances, on a réalisé qu'il y a des milliers d'athées dans le monde musulman. Les jeunes divorcent avec la religion et c'est une bonne nouvelle. Au Liban, les mouvements de contestation ont aussi illustré la montée d'un sentiment national. Avant, il y avait cette blague qui disait que celui qui comprenait la guerre civile au Liban, c'était parce qu'on lui avait mal expliqué. C'était un conflit basé sur les ethnies et les religions. Aujourd'hui, il y a l'affirmation d'une identité libanaise commune, avant le fait d'être druze ou chiite.

« Si on était en Tunisie où tout le monde est sunnite, cette guerre n'aurait pas lieu », affirme d'ailleurs l'un de vos personnages…

En Syrie, on a des sunnites, des alaouites, des chrétiens, des Druzes ou des chiites. Côté ethnique, il y a des Arabes, des Kurdes, des Arméniens… Le problème, c'est que le régime a profité de cette situation pour diviser le peuple syrien. À Homs, il a sciemment coupé la ville en deux parties, avec d'un côté les alaouites qui ont bénéficié du régime alors qu'ils avaient un statut de second rang sous l'Empire ottoman et de l'autre les sunnites. Cela a créé une haine entre les deux. Si la Syrie n'avait pas été si divisée, ça aurait été bien moins difficile de renverser Bachar el-Assad comme la Tunisie a renversé Ben Ali.

Comment avez-vous vécu l'élimination du général Soleimani ?

J'aurais préféré qu'il soit emprisonné à vie, parce qu'il aurait bien plus souffert ainsi. Cet homme a tué des milliers de personnes en Irak, en Syrie ou au Yémen. C'est un criminel de guerre. Soleimani a ravagé la ville historique d'Alep, a jeté des centaines de milliers de personnes sur les routes, il a créé des centaines de milliers de réfugiés. Je ne peux donc que me réjouir de sa mort. Le problème, c'est que c'est Trump qui a pris la décision et qu'il se fout de la Syrie comme de l'Irak. Il veut simplement se présenter comme un héros américain pour sa réélection. On n'a ainsi même pas eu la chance d'avoir une vraie joie avec la mort de Soleimani.

L'islam n'est ni une race ni une identité, c'est une religion, qui doit accepter qu'on l'observe et qu'on la critique. 

Vous êtes réfugié en France depuis mars 2012. Avez-vous trouvé ici cette liberté pour laquelle vous vous êtes battu en Syrie ?

Cela fait déjà bientôt huit ans que je suis ici. J'ai de la chance, j'ai rencontré des gens formidables. J'ai simplement été surpris de la manière dont se déroulent les débats politiques en France. Quand j'ai publié Le Petit Terroriste, dans lequel je racontais ma jeunesse dans une famille salafiste, et que j'ai signé des chroniques pour Le Point, certains m'ont accusé de faire le jeu du Rassemblement national… En France, on se retrouve ainsi parfois accusé d'être raciste parce qu'on critique l'islam, mais l'islam n'est ni une race ni une identité, c'est une religion, qui doit accepter qu'on l'observe et qu'on la critique. La gauche décoloniale aimerait qu'un « écrivain migrant » comme moi n'écrive que sur certains sujets, des sujets de migrants… Je suis heureux ici. J'écris en français, je pense en français, je rêve en français, mais je pleure en arabe.

Avez-vous encore des amis en Syrie ?

Malheureusement, la plupart sont morts dans les prisons du régime. Et les autres sont partis, en Turquie, en Allemagne ou en France. Depuis le début de la guerre civile syrienne, il y a eu 12 millions de déplacés et réfugiés, dont 8 millions de personnes qui ont quitté la Syrie. Et encore, ces chiffres datent de 2017. 3 millions de maisons ont été détruites, 200 000 civils ont été tués, dont 17 000 enfants. 45 000 Syriens ont été torturés à mort dans les prisons d'el-Assad.

Le quartier où j'ai grandi n'existe plus.

Espérez-vous revoir un jour votre pays ?

Je ne connaîtrais plus la Syrie, même géographiquement, car le quartier où j'ai grandi n'existe plus. Ce qui a survécu en moi de la Syrie, c'est ce rêve d'un pays sans violence et sans torture. Mon père est mort il y a deux ans et ma vie est désormais ici en France. Même si je rentrais, ce qui m'est aujourd'hui impossible, je serais toujours un exilé. Pour l'instant, je ne peux voyager que dans l'espace Schengen. J'ai demandé la nationalité française. Si j'obtiens un jour le passeport français, j'irai en Jordanie ou au Liban pour revoir ma mère.

Le Dernier Syrien d'Omar Youssef Souleimane (Flammarion, 258 p., 18 euros).

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Commentaires (15)

  • hurlevon

    Quel qu'il soit ne présage rien de bon de l'être de celui qui l'exprime.
    Trump est entré dans la catégorie des meurtriers.
    Hollande qui s'est vanté dans son livre d'avoir quatre fois commandité des assassinats ciblé en est un autre.

  • Farfadet du Céou

    Il faudrait l'effondrement de cette théocratie et des monarchies du Golfe pour amorcer un changement. Et ça ne marcherait pas car il reste un facteur énorme d'instabilité : une croyance.

  • oafrique

    Lorsque je parle des massacres dûs à l Iran depuis Komeiny on me censure pour propos ne correspondant pas à la charte de soutien du point à l IRAN sans aucun doute, mais là le général NEUTRALISÉ par les USA qui a utilisé les différentes milices dont le HEZBOLLAH pour massacrer des MUSULMANS, au moins sa mort, d'après l'article a été trop rapide et ne permet pas de se réjouir.
    là il est difficile de le censurer car il est musulman et non chrétien comme moi de plus d'origine juive. D'ailleurs je vais me désabonner car il faut parler de personnes déséquilibrées, qui utilisent des couteaux contre des passants par folie passagère, usage de stupéfiant mais en aucun cas parce qu'ils fréquentent des salafistes. Je suis à l'hôpital pour ma chimiothérapie et sincèrement je n'ai pas peur de mourir, j'ai plus peur de rester en vie en France où la censure existe dès que l'on touche une certaine religion qui se développe depuis les accord d EVIAN