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Frais de scolarité en école de commerce : où va l’argent ?

Comment les écoles utilisent-elles les frais d'inscriptions ? Cette question qui revient régulièrement ici ou là incarne l’incompréhension de certains (futurs) élèves face des frais de scolarité qui se sont envolés, qui atteignent environ 40.000 euros. Trois écoles nous expliquent la hausse vertigineuse de ces dernières années, alimentée en particulier par la concurrence internationale.

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Enquête sur le fonctionnement des écoles de commerce. (Getty Image)

Par Florent Vairet

Publié le 8 janv. 2020 à 07:00Mis à jour le 13 janv. 2020 à 15:28

“Chère cliente,

Nous soumettons à votre aimable règlement la facture ci-jointe de 14.400 euros qui doit nous être payée sous 21 jours.”

Non, cette cliente n’a pas commandé une cuisine tout équipée ou un séjour all inclusive aux Maldives pour elle et ses 14 amis. Cette jeune femme est étudiante à l’ESCP Europe, une des écoles de commerce françaises les mieux classées. Quelle ne fut pas sa surprise quand elle a lu cet entête d’email. Si cette formulation est - on l’espère - une maladresse de la Chambre de Commerce et d’Industrie de Paris (CCIP) qui est propriétaire de l’école et qui adresse les factures, elle est à l’image des multiples polémiques qui naissent régulièrement et qui en substance se résument ainsi : écoles de commerce = pompes à fric.

Les détracteurs de ces grandes écoles s’appuient sur un chiffre : les frais de scolarité des établissements du top 20 ont augmenté de plus de 40% sur ces dix dernières années. Et c’est un minimum. D’après le site Major Prépa, on observe une augmentation de 71% à HEC par rapport à 2009, 89% à l’Emlyon, 92% à Audencia. Un programme grande école (généralement composé de 3 ans de scolarité + 1 an de stage) coûte selon les écoles entre 32.000 et 48.000 euros.

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Tableau réalisé par Major-Prépa. A noter que l’augmentation opérée par Telecom Ecole de Management est dû au fait qu’elle était en 2009 adossée à une école d’ingénieurs, et donc avec un modèle de financement différent.@Major Prépa

Dans un pays historiquement habitué à la gratuité de l’école et à de très faibles frais d’inscription à l’université, la pilule passe de moins en moins bien. A mesure que les tarifs augmentent, les grandes écoles, toujours aussi convoitées, creusent un peu plus le fossé qui les séparent du reste du système éducatif français. Pourquoi une telle différence entre elles et les universités ?

Certes, toutes les écoles mettent sur pied des programmes d’égalité des chances et des bourses pour les plus modestes. En 13 ans, HEC a réussi à tripler le nombre de boursiers : aujourd’hui 15% des élèves se voient accorder des réductions de frais, selon l’échelon Crous. Il n’empêche que de tels montants restent prohibitifs pour nombre d’étudiants.

Les grandes écoles savent le sujet sensible mais beaucoup ont à coeur de désamorcer ces polémiques. Nous avons contacté HEC, l’ESCP, Audencia et Skema pour comprendre ce qui expliquait de telles augmentations. Toutes ont accepté de nous répondre, à l’exception de l’ESCP qui n’a pas souhaité communiquer sur ce sujet.

La parole est à la défense

Le premier élément avancé est l’importance des frais de fonctionnement de ces écoles, qui ont explosé sur la dernière décennie. “Le niveau de service offert aux étudiants est de plus en plus important”, assure Éric Ponsonnet directeur général adjoint de HEC. “Les services ‘carrière’, l’encadrement de la vie étudiante, les services proposés sur le campus… il y a eu une professionnalisation de l’accompagnement.”

Impossible de rester en marge de la digitalisation selon les directions. Désormais, offrir des cours en ligne n’est plus une option. Chaque école a développé sa plateforme pédagogique qui centralise les interactions des étudiants avec les enseignants, des questions sur les cours aux rendus de devoir, en passant par le suivi d’acquisitions des compétences. Les bâtiments se sont aussi digitalisés. “Audencia a mis en place un accès par badge aux salles de cours pour éviter aux professeurs de faire l’appel”, détaille Christophe Germain, directeur de l’école. “L’ensemble du programme digital est chiffré à cinq millions d’euros”, soit 11% du budget. A titre d’exemple, c’est une équipe de huit personnes qui a été créée à HEC pour piloter le déploiement du digital. “Il y a dix ans, ce sujet était quasi inexistant”, assure son directeur adjoint.

Les écoles se livrent une compétition coûteuse

Audencia vient d’ailleurs d’achever la première phase de rénovation de son campus. Les étudiants ont désormais accès à trois amphithéâtres, un “Knowledge Hub” (ex-médiathèque) et un espace de travail étudiant qui ont été modernisés pour être “en phase avec l’évolution des méthodes pédagogiques et des usages des étudiants”, précise le communiqué de l’école.

A n’en pas douter, les étudiants apprécient cette modernisation mais acceptent-ils d’en payer un tel prix ? “La question ne se pose pas. Nous n’avons pas le choix, toutes les écoles font ces changements”, témoigne un directeur d’école. Mises sous le joug des classements et scrutées par les candidats, les écoles ne peuvent se permettre d’apparaître vieillissantes.

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Objectif : briller grâce à la recherche

La concurrence française est forte, celle à l’international est impitoyable. Pas question de décevoir un étudiant venu de la meilleure université chinoise avec un matériel informatique de piètre facture. Cette internationalisation des écoles pousse aussi les budgets de communication à la hausse. Salons aux quatre coins du monde, panneaux publicitaires dans les plus beaux aéroports, “on doit se battre pour accueillir les meilleurs talents”, explique Éric Ponsonnet dont l’école accueille 40% d’étudiants internationaux.

Autre poste de dépenses importantes pour les écoles : les enseignants chercheurs. Ils sont la renommée des écoles. C’est leurs publications académiques que les classements internationaux comme le Financial Times, QS ou encore Times Higher Education regardent de près.

“L’école de commerce n’a pas pour but de gagner de l’argent”

HEC s’est constitué une armée de 107 enseignants chercheurs, sur un corps professoral de 150 permanents. Le ratio devrait continuer à augmenter à en croire la direction. “C’est absolument majeur de créer du savoir, et ne pas seulement le disséminer. Il en va de notre crédibilité et de notre positionnement au niveau mondial”, affirme le directeur général adjoint d’HEC. Compétition. Toujours compétition.

La masse salariale a elle aussi gonflé sous l’effet de l’augmentation du nombre d’étudiants. Si on ajoute aux salaires des profs ceux du personnel administratif, l’ensemble  représente 59% du budget d’Audencia.

“Plus on fera de la pédagogie autour de notre fonctionnement et plus nous serons transparents, moins les frais de scolarité seront polémiques”, parie Christophe Germain. “On ne gère pas une école de commerce pour gagner de l’argent.” Si son école dégage un bénéfice chaque année, il assure le réinvestir. L’actionnaire majoritaire est la CCI de Nantes et l’association historique qui gère l’école. “Le statut EESC (Établissement d'Enseignement Supérieur Consulaire) permet éventuellement de faire entrer des actionnaires privés mais sans possibilité de versement de dividendes”, tient à préciser le directeur.

Vers une privatisation des écoles de commerce ?

Nombre d’écoles de commerce ont choisi le statut juridique EESC. L’Emlyon fait figure d’exception. L’école a récemment quitté son statut associatif pour devenir une société anonyme (SA). En 2019, Qualium Investissement et Bpifrance, deux investisseurs, sont entrés au capital de la SA. Cette opération inédite prend la forme d’un engagement d’apport en fonds propres d’environ 100 millions d’euros sur les cinq prochaines années. “Le capital de l’école sera ouvert dans les prochains mois aux salariés du groupe emlyon et aux diplômés de l’école”, complète le communiqué de l’école publié en septembre dernier.

Une grande école qui ouvre son capital à des acteurs privés n’est pas banal. Certains crient à la privatisation de l’enseignement supérieur. Et un directeur d’école de s'interroger : “Une école peut-elle apporter la même valeur aux étudiants quand la gouvernance est privée ? Je n’ai pas la réponse…”.

Rééquilibrer le compte de résultat

D’autres y voient un changement naturel étant donné que les subventions publiques n’ont eu de cesse de baisser ces dix dernières années. A HEC, le financement de la CCI Paris Île-de-France et la taxe d’apprentissage représentaient 28% du budget en 2008. Ce n’est plus que 5% dix ans plus tard, et elle devrait être de 2% en 2021 selon Éric Ponsonnet, directeur général adjoint de la plus connue des écoles de commerce françaises.

Même schéma du côté d’Audencia. Entre 2012 et 2019, l’école de Nantes a vu sa subvention des collectivités publiques passer de 14% à 0,5% de son budget. Moins de recettes, donc plus de frais de scolarité. Le schéma comptable est clair.

A noter que dans le même temps, de nouvelles entrées financières sont apparues. Les collectes de fonds auprès des alumni et des entreprises sont en pleine croissance. Elles représentent aujourd’hui 9% du budget de Skema. Le chiffre grimpe à 25% pour Audencia, précise la direction. Dans sa nouvelle campagne, HEC vise 200 millions d’euros levés d’ici 2024.

Cette nouvelle source suffit-elle à compenser la baisse des dotations publiques ? Non répondent les écoles qui craignent pour l’avenir de leurs finances.

Florent Vairet

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