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Dix ans après sa mort : "L'héritage de Philippe Séguin ne se limite pas à la droite"
"Je n’ai toujours pas compris comment la jonction entre lui et Jean-Pierre Chevènement, pourtant évidente idéologiquement, n’avait pas pu se faire politiquement."

Dix ans après sa mort : "L'héritage de Philippe Séguin ne se limite pas à la droite"

Gaullisme-social

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Blogueur politique, spécialiste de l'histoire de la droite et auteur de nombreux romans, David Desgouilles revient pour Marianne sur l'héritage de Philippe Séguin, décédé il y a dix ans ce 7 janvier.

Gaulliste social, partisan emblématique du "Non" au référendum sur le traité de Maastricht, ancien président de l'Assemblée nationale (1993-1997) et ancien président du Rassemblement pour la République (RPR), Philippe Séguin s'est éteint le 7 janvier 2010. Dix ans après sa mort, que reste-t-il de ses combats politiques ?

Marianne : Philippe Séguin est décédé il y a dix ans. Que retenez-vous de son engagement politique ?

David Desgouilles : Philippe Séguin a tenté, en vain, d’empêcher qu’une exception française soit éradiquée : l’existence d’un mouvement gaulliste, transcendant le clivage droite-gauche. En quelque sorte, Jacques Chirac, Edouard Balladur et Alain Juppé souhaitaient mettre la droite française aux normes internationales dès 1989 en rapprochant le RPR de l’UDF, sachant que c’est globalement sur les idées de cette dernière que devait se faire ledit rapprochement. Aidé par Charles Pasqua, Séguin s’est battu corps et âme, parvenant même à devenir président du RPR en 1997. Il a échoué, le RPR fusionnant avec l’UDF en 2002 dans l’UMP. La question européenne était l’une des clefs de ce rapprochement. Un RPR gaulliste avait évidemment tout pour s’opposer au traité de Maastricht. Séguin et Pasqua furent à deux doigts d’empêcher sa ratification en 1992, emmenant avec eux les plus gros bataillons des adhérents et de l’électorat du RPR. Pendant que Chirac, Balladur et Juppé se prononçaient pour le "Oui". Du moment que le mouvement gaulliste avait disparu en 2002, Séguin a quitté la politique, expliquant clairement dans ses mémoires que cette disparition en était la cause.

De plus en plus de personnalités de se réclament de lui. Qu’en pensez-vous ?

La bataille de Maastricht a été la première étape d’un processus qui a façonné la nouvelle géographie politique et idéologique que nous connaissons depuis 2017. Pour une bonne part, la carte du "Oui" de 1992 se superpose avec celle du "Oui" du référendum de 2005 et celle du macronisme aujourd’hui. Pareil pour la carte du "Non" de 1992 et 2005 et celle de ce que Jérôme Sainte-Marie nomme le "bloc populaire" (versus le "bloc élitaire") depuis 2017. Il n’est donc pas étonnant que parmi ceux qui refusent l’Union européenne telle qu’elle a été construite depuis trente ans, beaucoup se retrouvent dans un personnage qui, pour l’essentiel, a fait figure de visionnaire.

La bataille de Maastricht a été la première étape d’un processus qui a façonné la nouvelle géographie politique et idéologique

Il suffit de réécouter son discours du 5 mai 1992 à l’Assemblée nationale pour se rendre compte à quel point il l’a été. L’héritage de Séguin ne se limite pas à la droite, loin s’en faut. Je n’ai toujours pas compris comment la jonction entre lui et Jean-Pierre Chevènement, pourtant évidente idéologiquement, n’avait pas pu se faire politiquement. C’est sans doute mon plus grand regret. C’est ça qui a offert sur un plateau le "bloc populaire" au marinisme.

La droite est-elle restée fidèle aux idées de Séguin ?

Les raisons de son départ de la politique expliquées plus haut montrent à l’évidence que tel ne fut pas le cas. Il n’a pas été écouté. Toutefois, des hommes se réclamant de lui et dont il avait été proches ont été à la manœuvre notamment dans le quinquennat Sarkozy. Alors que François Fillon était Premier ministre et souhaitait un plan de rigueur drastique, c’est Henri Guaino, conseiller spécial du Président (et qui avait mis la main à la pâte pour le fameux discours du 5 mai 1992), qui a influencé Nicolas Sarkozy dans un sens tout à fait différent, symbolisé par le discours de Toulon. Fillon et Guaino avaient, tous les deux, été proches de Séguin et pourtant ils préconisaient des solutions aux antipodes. Philippe Séguin ne s’est pas exprimé à l’époque. Personnellement, je pense qu’il était davantage d’accord avec Henri Guaino.

Aujourd’hui, les séguinistes d'alors se sont essaimés. A l’intérieur de LR, il me semble que la tentative de Julien Aubert de refaire de ce parti un mouvement populaire se différenciant clairement de LREM procédait de la même volonté que celle de Séguin et Pasqua au début des années 90. Mais c’est le chiraquien Christian Jacob qui l’a emporté, ce qui devrait aider au rapprochement, cette fois beaucoup moins assumé, mais qui se dessine néanmoins, entre LREM et LR à l’intérieur du fameux bloc élitaire.

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Natacha Polony, directrice de la rédaction de Marianne