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"Pour la SNCF, bientôt 700 millions d'euros de perdus"

Pas de trêve des confiseurs pour Jean-Pierre Farandou : devant un RER, gare du Nord, le 27 décembre.
Pas de trêve des confiseurs pour Jean-Pierre Farandou : devant un RER, gare du Nord, le 27 décembre. © cyril marcilhacy / item
Interview Anne-Sophie Lechevallier

A peine nommé, le nouveau président affronte la plus longue grève de l’histoire de la SNCF.

Paris Match. La grève entre dans sa sixième semaine, un record depuis 1968. Quel est son coût pour la SNCF ?
Jean-Pierre Farandou. Il y a d’abord le coût direct de l’activité que nous n’avons pas réalisée, tous les billets que nous n’avons pas vendus, toutes les tonnes de fret que nous n’avons pas transportées. Cela s’élève à environ 20 millions d’euros par jour. Nous allons bientôt dépasser les 700 millions de chiffre d’affaires perdu. Sur les TGV, qui ont toujours circulé dans la période y compris les jours de grands départs, nous avons bon espoir que les voyageurs reviennent massivement. Les clients qui n’ont pu voyager ont été remboursés. En revanche, pour les TER, on risque d’avoir un peu de «perte au feu». Les gens s’organisent autrement pour leurs trajets régionaux, en covoiturant ou en prenant le car. Sauf en Ile-de-France, où le RER est indispensable à la vie quotidienne. Ensuite, nous savons que notre image est abîmée. Malgré tous les efforts des cheminots mobilisés, nous n’avons pas été capables de produire tous les trains attendus par les familles qui voulaient se déplacer pendant les fêtes, par les clients qui veulent aller travailler chaque jour. Nous en sommes vraiment désolés.

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Et pour le transport de marchandises?
Ce sera le dommage principal. Le fret est une question de logistique et de fiabilité. Quand nos clients sont obligés de remettre des camions sur les routes, on peut craindre qu’une part significative de ce tonnage y reste. Nous risquons donc de perdre à nouveau des parts de marché.

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Pour faire face au coût de la grève, le patron de la SNCF envisage des cessions d'actifs

Le retour à l’équilibre financier imposé pour 2022 par le gouvernement est-il encore envisageable?
Même si nous devons encore mesurer plus finement l’impact de la grève, ce n’est pas une bonne nouvelle. Le point de départ de la trajectoire sera dégradé. Serons-nous capables de redresser le cap? Pour la marge opérationnelle, ce sera difficile. Mais nous pourrions retrouver l’équilibre attendu en maîtrisant la dette, y compris en réalisant des cessions d’actifs.

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Jean-Pierre Farandou avec des «gilets rouges», chargés de répondre aux questions des voyageurs lors des périodes de grande affluence, à la gare de Lyon, le 3 janvier.
Jean-Pierre Farandou avec des «gilets rouges», chargés de répondre aux questions des voyageurs lors des périodes de grande affluence, à la gare de Lyon, le 3 janvier. © cyril marcilhacy / item

Lesquelles?
C’est encore prématuré, mais nous pouvons revisiter notre portefeuille et voir ce qu’il est possible de céder dans les mois qui viennent.

Au 1er janvier, la SNCF est devenue une société anonyme. Que cela implique-t-il?
Nous étions auparavant un établissement public industriel et commercial. Nous devenons une société anonyme à capitaux 100% publics, ce qui implique une rigueur financière beaucoup plus stricte, notamment sur l’endettement. C’est la contrepartie de la reprise par l’Etat de 35 milliards d’euros de dette, un effort sans précédent. Pour donner davantage d’agilité à l’entreprise, qui va être confrontée à la concurrence sur l’ensemble de ses activités, les recrutements ne se font plus au statut, mais sous le régime de droit privé.

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Récit : Conducteurs SNCF, la vraie vie du rail

Ce changement rend-il le recrutement plus difficile?
Pas du tout. Les jeunes ne sont pas surpris par ces contrats similaires à ceux proposés dans les autres grandes entreprises. Nous avons déjà 16 000 salariés qui ont un contrat de travail classique.

Sur les retraites, «il n’y a plus rien à négocier pour les cheminots», avez-vous dit. La poursuite de la grève vous amène-t-elle à revoir cette décision?
Dans cette grève, certains syndicats portent des revendications radicales et demandent le retrait de la réforme. C’est le gouvernement qui gère cette opposition forte. D’autres ont accepté de discuter les conditions de transition. Les négociations sur ce sujet sont conclues et elles ont permis des avancées. En ce qui concerne les cheminots au statut, 58% ne sont pas concernés, et trois conducteurs de train sur quatre. En complément de la réforme des retraites, nous avons ouvert au sein de la SNCF des chantiers comme celui sur le compte épargne-temps, sur des cessations progressives d’activité, et sur un système d’épargne d’entreprise.

"Le projet 'transition ferroviaire' sera le bout de ciel bleu après le conflit"

Le régime spécial des cheminots sera-t-il complètement supprimé?
C’est exact. Il est déjà clos puisqu’on ne recrute plus au statut. Pour ce qui concerne les 140 000 cheminots, en 2025, 70 000, compte tenu de leur âge, conserveront le régime spécial et 70 000 passeront progressivement au régime universel.

Retour de vacances à la gare de Lyon dimanche 5 janvier. Deux TGV sur trois ont roulé ce jour-là.
Retour de vacances à la gare de Lyon dimanche 5 janvier. Deux TGV sur trois ont roulé ce jour-là. © cyril marcilhacy / item

Quels sont les premiers chantiers que vous relancerez quand le mouvement sera terminé?
Le projet «transition ferroviaire» sera celui du développement du ferroviaire, le plus durable des grands modes de transport. Il sera le bout de ciel bleu après le conflit. Il est important que tous les cheminots soient alors réembarqués vers un destin commun. J’ai ajouté une dimension humaine à mon projet pour cette entreprise, qui a connu de nombreuses réorganisations, des réformes institutionnelles, et qui va sortir abîmée du conflit.

«Les cheminots ont vu que le gouvernement avait lâché pour l'Opéra de Paris et se disent : "Pourquoi pas nous?"»

Le Premier ministre ne s’est dit, mardi matin sur RTL, «fermé sur aucune modalité» pour équilibrer financièrement le système. Le 31 décembre, Emmanuel Macron avait mis la pression sur Edouard Philippe afin que son gouvernement «trouve la voie d’un compromis rapide». Dans ses vœux, le président de la République n’avait fait mention ni de la SNCF ni des cheminots, et encore moins des régimes spéciaux, supprimés avec cette réforme. Le gouvernement et la direction de la SNCF répètent qu’il n’y a presque plus rien à négocier. «Le dialogue est maintenu pour discuter des modalités de transition qui seront sans doute dans des amendements», explique-t-on au secrétariat d’Etat chargé des Transports. Soit après l’examen du projet de loi, présenté le 24 janvier en Conseil des ministres.

Les gestes consentis avant les fêtes sont présentés comme les ultimes avancées. Les salariés sédentaires et les contrôleurs au statut nés avant 1980 ainsi que les conducteurs nés avant 1985 ne seront pas concernés par le système à points. Les plus jeunes –soit 40 % des cheminots– auront une pension calculée sur les deux régimes, avec la prise en compte du salaire des six derniers mois de la carrière lors de la liquidation de la partie rattachée au régime spécial. Et non des six derniers mois avant 2025, année de la bascule. Quant à l’âge de départ, il devrait être relevé progressivement, selon la date d’entrée dans l’entreprise.

Insuffisant, soulignent les syndicats. La CGT Cheminots et Sud Rail demandent le retrait du projet. Laurent Brun de la CGT Cheminots appelle à une mobilisation «historique» le 9 janvier. Même l’Unsa ferroviaire, qui avait appelé à la trêve pendant les vacances, reprend la grève. «Pendant les fêtes, les cheminots ont bien vu que le gouvernement avait lâché pour l’Opéra de Paris, ils se disent : "Pourquoi pas pour nous?"», note Didier Mathis, le secrétaire général. «Que de temps perdu! ajoute son prédécesseur Roger Dillenseger. Jamais je n’ai connu une telle pause, où on se regarde en chiens de faïence.»

Ce conflit a fait passer à l’arrière-plan une date majeure dans l’histoire de la SNCF. Depuis le 1er janvier, elle est devenue une société anonyme à capitaux publics, qui n’embauche plus personne au statut. Cette transformation, actée en 2018, avait aussi donné lieu à une grève dont les traces dans le climat social sont encore visibles. «Cette réforme des retraites est comme un énorme éléphant au milieu du couloir! Elle empêche Jean-Pierre Farandou d’avancer sur le reste, constate Didier Mathis. L’agenda social est perturbé par des réunions ajournées concernant, par exemple, les accords qui changent avec la mise en place des sociétés anonymes.» Notamment sur le temps de travail.

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