Réforme des retraites : 12 milliards de mesures de redressement à trouver
Un document fourni par le gouvernement aux partenaires sociaux vendredi précise les besoins de financement du système de retraites à moyen terme. L'âge pivot à 64 ans en 2027 permettrait de les combler, mais d'autres pistes vont être débattues dans le cadre de la conférence financière qui va s'ouvrir fin janvier.
Par Solveig Godeluck, Étienne Lefebvre
L'instauration d'un âge pivot dès 2022 va être retirée du projet de loi soumis en Conseil des ministres. C'était la condition pour que les syndicats réformistes s'engagent dans la conférence financière visant à garantir l'équilibre des retraites.
Mais cette mesure n'a pas fini d'animer les débats. Selon le document distribué vendredi à Matignon aux partenaires sociaux, l'instauration progressive d'un « âge d'équilibre » à 64 ans, assorti d'une décote de 5 % par an, permettrait de faire rentrer 12 milliards d'euros dans les caisses en 2027, date butoir fixée par le projet de loi retraite pour retrouver l'équilibre. Or 12 milliards, c'est justement le besoin de financement estimé par le gouvernement dans ce même document.
Le Conseil d'orientation des retraites avait montré en novembre dans un rapport qu'il faudrait trouver entre 10 et 21 milliards d'euros pour financer le système en 2027. Pour le seul régime général, le déficit devrait atteindre 8 milliards à cette date, fonds de solidarité vieillesse inclus. Au final, pour l'exécutif, c'est donc 12 milliards de mesures de redressement qu'il faudra trouver dans le cadre de la conférence financière. On est loin de l'épaisseur du trait évoquée par les syndicats jusque-là.
Doucher les espoirs inconsidérés
Pour revenir à l'équilibre, sans âge pivot, il faudrait ainsi augmenter la durée de cotisation à 44,5 ans en 2025, souligne l'exécutif. A ce stade, la réforme Touraine de 2014 a prévu de passer de 41,5 ans aujourd'hui à 43 ans en 2032. Ce levier, s'il est retenu, ne pourra donc suffire (le rythme de hausse serait bien trop brutal).
Les réserves pourront par ailleurs être utilisées. Mais selon le document de Matignon, le montant des actifs du Fonds de réserve des retraites est retombé à 32,7 milliards mi-2019. Et du fait du versement annuel de 2,1 milliards d'euros à la Cades, et des 4,9 milliards d'euros à rendre à terme au régime des industries électriques et gazières, moins de 17 milliards d'euros seulement étaient mobilisables en juin.
Reste donc les hausses de cotisations - mais sans augmentation du coût du travail - et éventuellement une revalorisation des pensions plus faible que l'inflation - mais ce levier est très peu populaire. Sur le volet recettes, plusieurs pistes seront explorées. D'abord, le transfert de recettes existantes vers les régimes de retraite, comme la contribution des entreprises au Fonds national d'aide au logement . Cette cotisation qui vient d'être réformée via la loi Pacte est attendue à 2,6 milliards d'euros en 2020. Le FNAL finance les allocations logement.
Autre piste : augmenter la cotisation de 2,81 % qui va être mise en place en 2025 dès le premier euro de salaire, et dont la caractéristique est qu'elle n'ouvre pas de droits. C'est une cotisation solidaire qui vient équilibrer le régime. L'Unsa voudrait ne l'augmenter que pour les salaires de plus de 10.000 euros par mois (son rendement serait néanmoins bien plus important en touchant l'ensemble des salaires).
Les syndicats revendiquent par ailleurs le maintien de tout ou partie de la Contribution au remboursement de la dette sociale (CRDS) après l'extinction de la dette sociale. Néanmoins, la Sécurité sociale recrée de la dette en ce moment (à cause des retraites !), si bien que l'échéance de 2024 est de moins en moins sûre.
L'exécutif juge prématuré de préempter des recettes incertaines. Dans le « cocktail de mesures », il privilégiera de toute façon clairement les mesures d'âge : augmentation de la durée de cotisation ou plus probablement âge pivot remanié (calendrier, modalités de la décote, exceptions)n afin que celui-ci n'ait pas le caractère « aveugle » dénoncé par la CFDT.
L'âge pivot retiré en 2022, mais consacré dans le régime universel
Si l'instauration d'un âge pivot dès 2022, est retirée à ce stade, cet âge pivot ou « âge d'équilibre » est consacré dans le futur régime universel établi par le projet de loi, qui concernera les départs en retraite à compter de 2037 (génération 1975).
La note de Matignon défend d'ailleurs son bien-fondé, avec une projection sur la génération née en 1965, qui aura 64 ans en 2029. En cas d'instauration d'un âge pivot d'ici-là, 37 % des assurés bénéficieraient d'un âge d'équilibre dérogatoire (pénibilité, carrières longues) voire seraient exemptés, parce qu'ils sont invalides. Quant aux assurés qui ne bénéficient pas d'une dérogation, seuls 32 % perdraient au change parce qu'ils auraient pu partir plus tôt en conservant le système actuel. Une proportion équivalente (31 %) y gagnerait au contraire, parce qu'ils doivent attendre l'âge d'annulation de la décote (67 ans), qui disparaîtrait par étapes avec l'âge pivot. Et dans cette population gagnante, les moins aisés sont plus représentés : le premier quartile de revenus (les 25 % qui gagnent le moins bien leur vie) comptent pour 39 % des départs à 67 ans aujourd'hui, contre 21 % à 62 ans.
Solveig Godeluck et Etienne Lefebvre