Justice : Le roi de la finance offshore derrière les barreaux

Nadav Bensoussan, l'ancien patron de France Offshore mis en examen dans une nouvelle affaire de fraude fiscale, vient d'être incarcéré à la Santé. Par Mélanie Delattre et Lucien Devoir.
Justice  Nadav Bensoussan le roi de la finance offshore derrière les barreaux
GABRIEL BOUYS / AFP

Du paradis fiscal à l’enfer carcéral, il n’y a parfois qu’un pas.

Alors qu’il dort à la Santé, Nadav Bensoussan regrette-t-il son arrivée filmée sous les fleurs et les baisers à Riga, en Lettonie ? Le golden boy de 40 ans qui promettait à ses clients le « paradis fiscal pour tous » avait misé sur la publicité et la télévision pour se faire connaître. Cette médiatisation à outrance aura sans doute précipité sa chute. Car celui qui apparaissait en 2011 dans un reportage télé comme le champion de la « liberté fiscale » avec sa société France Offshore est devenu le symbole d’une fraude fiscale désormais traquée par la justice comme par les lanceurs d'alerte et les médias.

En avril 2016, Nadav Bensoussan est déjà sous le coup d’une enquête des juges parisiens Daieff et Van Ruymbeke, soupçonné d’avoir aidé des contribuables français – commerçants, petits patrons, professions libérale, à exfiltrer leur argent loin des yeux de Bercy. Tandis qu’il attend son procès pour « blanchiment de fraude fiscale » et « escroquerie en bande organisée », le magazine Cash Investigation consacre un documentaire aux Panama Papers. Dans ce numéro intitulé « Paradis fiscaux : le casse du siècle », les équipes d’Elise Lucet testent les services de la société Fidusuisse, qui se vante sur le web de créer des sociétés off-shore avec « nominees » (« prête-noms » en français). Lors d’un rendez-vous à Bruxelles qu’il filme en caméra caché, le journaliste se voit proposer un montage impliquant une société au Delaware et une banque néo-zélandaise inconnue, la Breder Suasso, qui lui permettra par un astucieux système de compensation de blanchir des « dessous de table immobiliers » qu’il dit avoir accumulés.

La diffusion du reportage éveille l’attention de la justice belge, sans doute déjà sensibilisée au cas Fidusuisse par les autorités françaises. Un courrier anonyme a en effet attiré l’attention des juges français sur cette société enregistrée en Suisse sous le nom FCS Consult, qui œuvre commercialement en Belgique sous la marque Fidusuisse. Une enseigne très présente sur le web au travers de laquelle Nadav Bensoussan poursuivrait son activité offshore. Lors des perquisitions effectuées dans les bureaux bruxellois de la société, les policiers belges mettent la main sur un fichier comprenant des noms de résidents fiscaux français. Ils découvrent également que Nadav Bensoussan et son épouse sont chacun titulaires d’une carte de la Breder Suasso, cette banque très exotique, qu’utilise Fidusuisse dans les « packages offshore » vendus à ses clients.

Leurs investigations, menées conjointement avec la France depuis la fin 2017, font apparaître 10 millions d’euros de transactions effectuées par des cartes bancaires estampillées « Breder Suasso ». Et quelques prêts bancaires accordés à des taux usuraires de plus de 10%. Sauf que cette banque n’en est pas une. Il s’agit d’un établissement de paiement, qui ne figure plus dans les registres bancaires néo-zélandais. Quant aux cartes délivrées, ce sont de simples cartes prépayées.

Cette fois, il va être difficile pour Nadav Bensoussan de plaider la bonne foi, comme il l’avait fait lors du procès « France Offshore » de 2017. À la barre, il avait argué que « la création de sociétés off-shore n’est pas illégale » et assuré qu’il « n'avait pas connaissance des agissements illégaux de certains clients », pourtant soupçonnés d’être impliqués dans des arnaques à la TVA et aux quotas de CO2. L’entretien filmé par les caméras de Cash Investigation montre en effet un employé de Fidusuisse absolument pas choqué à l’idée de participer au blanchiment de « dessous de table immobiliers », et proposant un système qui ne relève pas de la simple optimisation fiscale, puisqu’il fait appel à de « la compensation ». À l’époque, le manque de coopération de certains pays et la disparition de documents stockés sur des serveurs canadiens n’avait permis d'évaluer précisément les montants cachés au fisc français, estimées entre 200 et 700 millions d’euros.

Alors que le Parquet avait requis contre lui une condamnation à sept ans de prison, le financier avait finalement écopé d’une peine de cinq ans de prison – dont trois avec sursis – pour « blanchiment de fraude fiscale » assortie du port d’un bracelet électronique et d’une interdiction de gérer. Interdiction dont il a visiblement fait fi. En remontant le fil belge, les policiers de la brigade fiscale de l’OCLCIFF (Office central de lutte contre la corruption et les infractions financières et fiscales) ont retrouvé trace d’une société Zydowska Sztuka I Kultura, « art et culture juive », en Pologne. Et sont retombés sur la Rietumu Banka à Riga, déjà condamnée dans le scandale France Offshore.

Soupçonné d’être le cerveau de ce second système de fraude fiscale et d’abus de confiance à grande échelle – de nombreux clients ont perdu la trace de leurs avoirs déposés auprès de la Breder Sussao – le flamboyant quadragénaire nie tout implication. Contacté, son avocat, Me Serge Kierszenbaum n’était pas joignable. Les dénégations de Nadav Bensoussan n’ont pas empêché la juge Patricia Simon de le mettre en examen pour de multiples chefs d’accusation allant, selon les révélations de France Info, du « blanchiment en bande organisée de fraude fiscale » à «l’association de malfaiteurs » en passant par « l’exercice illégal de la profession de banquier ».

Une autre personne a été mise en examen à ses côtés : il s’agirait de Mickaël B, le salarié « piégé » par les caméras d’Elise Lucet, que certains clients de France Offshore ont identifié en le voyant à la télévision comme un ancien de l’équipe de Nadav Bensoussan. « Mon client conteste avoir été mêlé tant à l’affaire France Offshore qu’à l’affaire Fidusuisse, indique son avocat Me David-Olivier Kaminski. S’il lui est arrivé de croiser Mr Bensoussan, c’est uniquement dans un cadre privé ». Un ami qui aujourd’hui lui envoie de « bons baisers » de la Santé.