L’agriculture urbaine productive : un modèle économique encore incertain

Maraîchage sur les toits de l'Opéra Bastille à Paris, le 12 septembre 2018. ©Maxppp - Delphine Goldsztejn / Le Parisien
Maraîchage sur les toits de l'Opéra Bastille à Paris, le 12 septembre 2018. ©Maxppp - Delphine Goldsztejn / Le Parisien
Maraîchage sur les toits de l'Opéra Bastille à Paris, le 12 septembre 2018. ©Maxppp - Delphine Goldsztejn / Le Parisien
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Depuis 2014, les projets de micro-fermes urbaines font florès à Paris et dans sa proche banlieue. Surfant sur la vague du "consommer local", elles tentent de concilier durabilité et rentabilité, sans y parvenir pour l’instant. Reportage sur les toits de Paris.

Avec 2 500 m² de maraîchage, entre deux points de vue sur la Tour Eiffel et Montmartre, les toits de l’Opéra Bastille accueillent des rangées de laitues, radis, fraisiers et autres comestibles. Cette ferme urbaine existe depuis juillet 2018, née de l’appel à projets « Parisculteurs »  remporté par l’ entreprise Topager

Celle-ci a fait le choix de cultiver des fruits et légumes de saison, selon les principes de l’agro-écologie, à partir d’un substrat nutritif agrémenté de compost. Les eaux de pluie sont drainées et contribuent à irriguer les cultures. Coût de l’installation : 50 000 euros pour Topager et 300 000 euros de la part de l’Opéra Bastille, afin de refaire l’étanchéité du toit. Marie Carcenac, cheffe maraîchère à Topager, explique l'autre différence par rapport à du maraîchage en pleine terre :

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Tout le travail est exclusivement manuel. On ne doit surtout pas endommager l’étanchéité du toit. Physiquement, il y a beaucoup de marches, d’allées et venues et donc de manutention, parce qu’on n’a pas une seule parcelle mais quatre sites différents. Donc pour valoriser ces efforts, on a une grille de prix équivalente à une grille de prix bio. 

Une rentabilité à terme qui pose question

Commercialisés sous forme de paniers, les fruits et légumes sont achetés par les salariés de l’Opéra et par un restaurateur local. "Un espace test pour essayer de trouver le bon modèle économique".

Pour Topager, cette micro-ferme doit permettre d’expérimenter un modèle productif rentable. Or, la première année d’exploitation, avec une production de près de 2 tonnes de fruits et légumes, n’a pas permis à l’entreprise d’être bénéficiaire. Marie Carcenac envisage donc d’autres solutions : 

Sur le plan des productions, on envisage de cultiver des aromatiques vivaces, qui demandent moins de travail, de mieux anticiper les maladies ou les oiseaux qui viennent picorer les récoltes. Si on arrive à augmenter la production, on pourrait peut-être vendre chez un deuxième restaurateur. 

Mais son entreprise songe également à diversifier les activités de la micro-ferme : 

On pourrait organiser des visites, surtout avec la vue qu’on a depuis le toit, mais aussi des formations. On veut aussi proposer aux consommateurs de donner un peu de leur temps, bénévolement, pour venir jardiner à nos côtés. 

Dans un avis, paru en juin 2019, le Conseil économique, social et environnemental, note cette évolution mais s’inquiète de la rentabilité à long terme de tels modèles : 

Ces activités sont porteuses dans un marché en pleine expansion, c’est-à-dire avec un afflux de candidats à l’installation, mais qu’en sera-t-il lorsque celui-ci sera parvenu à maturité voire à saturation ? 

Dans ses recommandations, le CESE appelle à un meilleur accompagnement des projets, tant en terme de formation que de conseils à leurs initiateurs.

La micro-ferme urbaine sur les toits de l’Opéra Bastille aujourd'hui
La micro-ferme urbaine sur les toits de l’Opéra Bastille aujourd'hui
© Radio France - Céline Autin

Comment accompagner les fermes urbaines ?

La Ville de Paris se targue d’un bon bilan en la matière : elle forme des agriculteurs urbains au sein de l’ Ecole du Breuil et elle assure dans le cadre des "Parisculteurs" un accompagnement logistique important. "Il faut souvent déposer des permis de construire, régler des problèmes techniques, des problèmes de garde-corps et d’ascenseurs," précise Pénélope Komitès, adjointe chargée aux espaces verts et à l’agriculture urbaine pour la mairie de Paris. "Or, cela, la préfecture de Police n’en a pas l’habitude, ni les architectes des bâtiments de France ! Avec notre assistant à la maîtrise d’ouvrage, on règle ces problèmes pour que chacun, après, puisse faire tout seul ". 23 projets « Parisculteurs » ont vu le jour depuis 2016, 20 autres devraient les rejoindre d’ici mars 2020, pour une surface qui couvre plus de 30 hectares sur les toits et terrasses de la ville.

Pour autant, le CESE met en garde les collectivités et porteurs de projet : 

Les contraintes urbaines impliquent de mettre en œuvre des techniques culturales innovantes et parfois des équipements très sophistiqués. […] Face à ces chiffres démesurés, la rentabilité apparaît hypothétique. 

Et de prendre l’exemple de l’ entreprise UrbanFarmers, installée aux Pays-Bas, qui a mis la clé sous la porte après six années d’existence.

Ce pessimisme prudent est partagé par Antoine Lagneau. Il pilote l’Observatoire régional de l’agriculture urbaine pour l'Ile-de-France, et selon lui, "On sait très bien qu'aujourd'hui, il n'y a pas véritablement de modèle économique qui tourne en agriculture urbaine. Soit parce que vous n'avez pas les surfaces suffisantes pour produire en grande quantité et vous assurer une pérennité financière, soit en raison des investissements de départ importants de l'agriculture urbaine dus aux infrastructures techniques qu'il faut réussir à rentabiliser avec de la production" :

Tout est précaire en agriculture urbaine marchande. Depuis 2014, elle se professionnalise à cause des municipalités qui lui assignent un rôle productif.

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Et d'ajouter qu'"il existe un engouement naturel autour de cette activité. Mais l'agriculture urbaine ne contribuera qu'à la marge à l'alimentation des villes et elle ne sera que ce qu'elle est aujourd'hui : un marché de niche, où peu d’acteurs arrivent à se maintenir en général."

L’autre forme d’agriculture urbaine qui reste majoritaire est, elle, non marchande : il s’agit des jardins familiaux encore très nombreux autour de Paris. 

Le Reportage de la rédaction
5 min

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