La sortie de Benoît XVI en faveur du célibat des prêtres interroge profondément l’Église

Il n’a pas fallu quelques heures ce dimanche pour que les débats s’enflamment après l’annonce - par Le Figaro - de la sortie d’un ouvrage coécrit par Benoît XVI et intitulé Des profondeurs de nos cœurs. Présenté comme un "cri d’alarme", le pape émérite, en compagnie du cardinal Robert Sarah, y défend le célibat des prêtres.

Le contexte est en effet sensible. La question du célibat est revenue en force ces derniers mois. Alors que la crise des vocations s’aggrave, plusieurs conférences épiscopales, dont la belge, ont en effet souhaité que la possibilité d’ordonner des hommes mariés soit envisagée. Ce débat fut aussi au cœur des échanges engagés en octobre dernier, lors du synode sur l’Amazonie. À cette occasion, une majorité d’évêques ont prudemment conseillé au Pape de réfléchir à l’ordination, dans "les régions les plus reculées" de l’Amazonie, de diacres permanents. Le Pape François (qui a toujours dit son attachement au célibat) devra publier dans quelques semaines une exhortation apostolique pour acquiescer ou non à cette idée.

À Rome, donc, le débat n’est pas à la remise en question du célibat, plutôt à la définition d’exceptions ; il n’en reste pas moins polémique. Si certains considèrent en effet qu’il puisse y avoir de justes exceptions à la discipline du célibat, d’autres redoutent d’y voir des brèches qui abîmeraient profondément ce qu’est le sacerdoce.

C’est dans ce contexte que Benoît XVI a pris la plume pour s’opposer à la possibilité d’ordonner des hommes mariés. Cette démarche, historique de la part d’un pape émérite, a créé une grande stupéfaction, d’autant que Benoît XVI déroge de ce fait au silence auquel il souhaitait se tenir.

Une guerre ouverte ?

Faut-il dès lors y lire une déclaration de guerre entre les deux papes ? Rien ne permet, au sein de l’ouvrage, de légitimer une telle lecture. Les auteurs affirment l’avoir écrit "dans un esprit de filiale obéissance". De plus, si le pape François et ses propos sont cités à plusieurs reprises dans le livre, c’est toujours en exemple. Benoît XVI ne déroge donc pas à sa promesse faite en 2013 "d’obéissance et déférence inconditionnelles envers le nouveau pape".

"Au cœur de la crise du sacerdoce, il y a l’oubli de Dieu, résume de son côté le cardinal Sarah au Figaro, pour mieux expliquer que le cœur du livre ne vise pas François. Si on regarde les prêtres autrement que comme des hommes entièrement donnés et consacrés à Dieu, alors on les condamne à n’être que des fonctionnaires sociaux, des petits prestataires de services. Le prêtre catholique offre toute sa vie pour être l’instrument de Dieu. Pas pour se livrer à l’animation sociospirituelle de la société de consommation mondialisée. Être prêtre n’est pas un métier qui laisserait du temps pour une ‘vie privée’. Être prêtre, c’est suivre le Christ sur la croix par amour, vingt-quatre heures sur vingt-quatre. C’est un état de vie."

Pour autant, si l’ouvrage ne vise donc pas directement François, ce débat divise les catholiques, et certains camps n’ont pas attendu d’avoir lu le livre pour l’instrumentaliser dans un sens ou dans l’autre. Par ricochet, cette publication pourrait donc attiser des divisions, affaiblir le pape François et l’unité de l’Église.

Par ailleurs, cette sortie questionne inévitablement le statut du pape émérite. "S’il a gardé les symboles de la papauté, ne doit-il pas demeurer silencieux pour ne pas jeter le trouble au sein de l’Église, ou mettre une pression sur son successeur ?" interroge un prêtre belge.

Plus profondément, cet ouvrage éclaire à sa manière les importantes questions devant lesquelles se situe l’Église. Le contexte actuel la pousse à interroger ses structures et ses disciplines ; mais, tout étant intrinsèquement lié dans l’Église, il est faux de croire que la moindre exception s’instaure facilement. S’interroger sur le célibat des prêtres oblige à replonger dans les profondes raisons bibliques, théologiques ou anthropologiques qui l’ont imposé dans l’Église latine. C’est ce que cherchent à faire Benoît XVI et le cardinal Sarah qui considèrent leur ouvrage comme étant une contribution à la recherche commune de la vérité, dans la tradition ancienne de la disputatio théologique.

Les réactions et les risques que comprend cette sortie témoignent cependant des doutes et de la crise qui secouent l’Église.