Secouer un bébé peut avoir des effets dramatiques sur sa santé. (Photo d'illustration) 4:22
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Salomé Legrand, édité par Ugo Pascolo , modifié à
Ce sont quelques secondes qui peuvent faire basculer une vie. Pourtant, malgré une certaine prévention médicale et médiatique, d'après les informations d'Europe 1, le nombre de dossiers de bébés secoués déposés au Fonds de Garantie a augmenté de 25% en 2019. Et à chaque fois, ce sont des vies détruites. Et un coût de prise en charge considérable. Pour Europe 1, Anne-Louise a accepté de raconter ce drame, mais aussi tout ce qui a changé dans sa vie depuis. 

C'est une maltraitance qui peut tuer un nourrisson, et qui est en augmentation en France. D'après les informations d'Europe 1, le nombre de dossiers faisant état de "bébés secoués" déposés auprès du Fonds de Garanties (FGTI) qui les indemnise a bondi de 25% en 2019. Le Fonds en gère désormais près de 400. S'il est difficile de savoir si cette hausse est causée par une augmentation des victimes ou par des signalement accrus, à chaque fois, ce sont des vies brisées. Un bébé secoué sur 10 meurt des suites des traumatismes crâniens et plus des trois-quarts gardent des séquelles à vie.

"Une seule fois a suffi pour l’handicaper et faire basculer notre vie"

"Il y a plus de 20 ans, mon fils avait 6 mois quand l’impensable arriva", raconte au micro d'Europe 1 Anne-Louise, dont le fils a été secoué au cours d'un babysitting. "Un acte violent qui a gravement blessé son cerveau de fils. Une seule fois a suffi pour l’handicaper et faire basculer notre vie", confie-t-elle au micro d'Europe 1.

Les séquelles sont dramatiques pour l'enfant : "On perçoit rapidement que la moitié gauche de son corps est paralysée, qu’il a quasiment perdu la vision de l’œil droit et n’a plus de champs visuel gauche. Son comportement a totalement changé, ce n’est plus le même… C’est un autre bébé, toujours aussi beau mais moins présent, moins tonique. Plus l'enfant est jeune, plus les séquelles sont graves. C’est comme si tout son système d’exploitation, mémoire et apprentissage, était endommagé.

"Même avec beaucoup d'amour et d'attention, cela ne suffit pas. On est contraint de développer des ressources et de l’endurance qu’on imaginait même pas"

Chaque étape de la vie devient alors un "combat pour son inclusion dans le monde ordinaire". Sa scolarité doit être organisée sur-mesure : assistante, programmes allégés, établissements spécialisés...La vie d'Anne-Louise et de son mari bascule. "Très rapidement, j’ai quitté mon travail laissant à mon mari la charge de nous tenir à flot économiquement. Nous faisons un saut vers l’inconnu pour un accompagnement qui dure depuis 23 ans!", témoigne-t-elle. "Même avec beaucoup d'amour et d'attention, cela ne suffit pas. On est contraint de développer des ressources et de l’endurance qu’on n'imaginait même pas."

Dans pareil cas, l'accompagnement de tous les instants est également médical : "En plus de 20 ans, les heures de stimulation, de rééducation avec un kiné, psychomotricité, orthophoniste vont se compter en milliers", témoigne encore Anne-Louise. Une prise en charge au coût considérable : d’après le FGTI en moyenne, il faut compter 800.000 euros par bébé secoué. Un chiffre très important qui s'explique par la prise en charge particulièrement longue des victimes. Dans le cas le plus lourd, cela représente une enveloppe de presque 4 millions d'euros. Et c'est sans compter les bébés secoués qui ne sont pas diagnostiqués comme tels et qui ont pourtant des séquelles.

Des critères médicaux qui ne font pas l'unanimité

Les critères médicaux de diagnostic de bébé secoué ne font pas l'unanimité. Établis en 2011 et revus en 2017 par la Haute autorité de la santé avec un collège de spécialistes, ils sont contestés notamment par Me Grégoire Etrillard et l’association Adikia, qui rassemble des parents accusés d’avoir secoué leur enfant. En s'appuyant sur une controverse internationale, ce dernier veut déposer un recours devant le Conseil d’Etat. De son côté, l'avocate Noémie Saidi Cottier qui s’intéresse à la question depuis 4 ans du fait de plusieurs dossiers regrette le fait que les experts sont à la fois juges et partie. "On a l'impression qu'à force de le faire et que ce soit toujours les mêmes médecins  - qui ont mis au point les recommandations de la Haute autorité de la santé - qui vont appliquer leur critères, ils le font très rapidement et parfois peut-être un peu trop vite". Et d’ajouter : "ce sont d’ailleurs les mêmes qui forment les magistrats à l’ENM."

"Si le sujet concernait par exemple la cancérologie imaginerait-on de reprocher à ceux ayant établi les protocoles de traitement de chimiothérapie de les appliquer ?" répond à Europe 1 le docteur Anne Laurent-Vannier, qui a participé à l'élaboration de ces critères. "Concernant la quasi accusation d'être enseignant, reprocherait-on à ceux qui sont au fait de la littérature internationale scientifique, qui ont eux même publié sur le sujet et sont connus au plan international d'être ceux choisis pour enseigner ?", interroge-t-elle. 

Avant d'insister sur le fait que pour ne pas rater d’autres causes possibles des lésions observées, "tout cela présuppose une prise en charge pluridisciplinaire spécialisée avec l’indispensable intervention d’un radiologue pédiatrique pour lire les examens et éliminer les diagnostics différentiels", précise ce même docteur. Et d’ajouter, "il faut aussi prendre en compte le récit fait par les parents dont l’histoire est quasi-toujours changeante". De leurs côtés, plusieurs médecins joints par Europe 1 insistent : les critères de la Haute autorité sont fiables.

Quelle est la vie du fils d'Anne-Louise, 24 ans après le drame ?

"Mon fils vit depuis un an dans un studio en plein centre-ville à deux kilomètres de chez nous, c’est son projet de vie", raconte Anne-Louise au micro d'Europe 1. "Il bénéficie d’aides extérieures pour lui permettre cette autonomie au quotidien (entretien du logement, courses, repas, sport, taxi pour certains trajets). Il ne s’agit pas de faire pour lui mais de l’aider à faire", témoigne-t-elle, fière que  son fils ait "un travail", là aussi sur-mesure : il est aide animateur dans une maison de retraite, avec des horaires aménagés.

Mais cette autonomie est toute relative et Anne-Louise est "en lien constant" avec lui : "du SMS du matin (signe qu’il n’a pas fait de crise d’épilepsie durant la nuit), à ceux de la journée pour exprimer une émotion ou demander un conseil". "Le plus dur c’est qu’il ne puisse pas avoir une vie sociale comme les autres jeunes de son âge", souffle la maman émue.