Australie : combien de temps faudra-t-il à la végétation pour repousser ?

par Charlotte ANGLADE
Publié le 17 janvier 2020 à 11h20, mis à jour le 17 janvier 2020 à 11h29

Source : JT 13h Semaine

RÉGÉNÉRATION - En Australie, les incendies ont déjà ravagé la surface d'un pays comme la Corée du Sud. Abritant plus de 500 parcs nationaux, le pays a déjà perdu une large partie de la richesse de sa faune, mais aussi de sa flore. Nous avons demandé à un chercheur de l'Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (Inrae) combien de temps il faudrait à la végétation pour repousser à l'identique.

Au moins 1,2 milliard d'animaux morts et 10 millions d'hectares brûlés. Les incendies qui sévissent depuis le mois de septembre en Australie ont des conséquences désastreuses sur sa faune, mais aussi sa flore. Les arbres chatoyants des  516 parcs nationaux du pays ? Brûlés. Les paysages majestueux de ce pays aux multiples reliefs ? Calcinés. De cette nature luxuriante ne reste que cendres et troncs noircis. Une carte postale désolante que locaux comme touristes aimeraient voir passer du noir et blanc à la couleur au plus vite. Mais combien de temps faudra-t-il à la nature pour reprendre vie ? Nous avons posé la question à Eric Rigolot, directeur de l’unité de recherche "écologie des forêts méditerranéennes" à l'Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (Inrae).

De vastes zones hors d'atteinte des pollens et graines subsistants ?

"Plusieurs facteurs vont agir sur la repousse de la végétation", nous explique le chercheur. "Il y a tout d'abord la superficie brûlée". Plus la zone est étendue, moins bonne sera la régénération. Car si le pollen peut être transporté sur des centaines, voire des milliers de kilomètres, par le vent, la dispersion des graines se fait sur des distances beaucoup plus courtes, de l'ordre de quelques dizaines ou centaines de mètres par le vent et un plus plus loin par les animaux. "Selon que l'on se trouve au cœur de la zone brûlée ou en lisière, la capacité de régénération grâce à la végétation non brûlée sera différente", résume Eric Rigolot. Etant donné l'étendue des incendies en Australie, il est facilement imaginable qu'une grande partie des zones brûlées soit difficilement atteignable par les graines déplacés naturellement. Et si les pollens peuvent éventuellement s'y déposer, encore faut-il q'une flore soit susceptible de les recevoir. Le 10 janvier, deux gigantesques incendies ont, sous l'effet des vents, fusionné dans le sud-est de l'Australie. Ce "megafire" a détruit à lui seul une surface équivalente à 55 fois celle de Paris.

La viabilité des stocks de graines compromise ?

La puissance du feu joue également un rôle clé dans la repousse, ou non, de la végétation. Des feux de sous-bois, peu intenses, n'empêchent pas sa régénération. Ils peuvent même être bénéfiques à la biodiversité, remettant à plat la domination de certaines espèces végétales pour favoriser la pousse d'autres espèces. Dans l'ouest de l'Australie, le département de la conservation de l'environnement procède d'ailleurs à des brûlages contrôlés tous les trois à cinq ans dans ce but.

Mais dans le cas d'incendies puissants, la régénération de la flore est beaucoup plus difficile. L'intensité de la chaleur dégagée par les flammes est en effet susceptible de tuer dans l’œuf toute source de vie. "Certaines espèces d'arbre ont par exemple développé une capacité d'adaptation au feu en enfouissant dans le sol, à quelques centimètres de profondeur, des stocks de graines, expose le chercheur. Dans un régime de feux normal, la température atteinte par le sol va permettre leur germination et conduire à une vague de régénération quasi-systématique de ces espèces. Mais étant donné l'intensité des incendies que connaît à l'heure actuelle l'Australie, il est à craindre que les couches superficielles du sol aient été stérilisées par une trop grande chaleur, et les graines tuées."

Certaines terres trop régulièrement brûlées ?

La fréquence de ces incendies représente, enfin, un dernier facteur dont dépend la repousse. Au plus le précédent incendie est récent, au moins la reprise de la végétation est évidente. Il y a dix ans, le "Black Saturday", un épisode d'incendie réduisait déjà en cendres, en quelques semaines, 450.000 hectares de terres australiennes. "Chez certaines espèces, ce laps de temps n'est pas suffisant pour permettre le développement de bonnes capacités de régénération après le feu", indique Éric Rigolot.

Le chercheur cite l'exemple du pin d'Alep, présent en région méditerranéenne. Au lieu de constituer des stocks de graines dans le sol, l'arbre les conserve à sa cime, dans ses cônes, ou pommes de pin. "Cachetés" par de la résine, ils ne peuvent s'ouvrir que lors d'un incendie, la chaleur du feu faisant fondre cette colle naturelle. Les pins libèrent alors leurs graines juste après le passage de l'incendie. "Beaucoup d’espèces ont cette capacité d’adaptation, y compris en Australie. Si le précédent incendie est trop récent, l’arbre n’aura pas le temps d’atteindre cette maturité sexuelle qui lui permet d’avoir des cônes mûrs." 

La capacité d'adaptation des espèces végétales surpassée ?

Ces différentes caractéristiques, à savoir la puissance, l'intensité et la fréquence, forment ce qui est appelé un régime de feux. Un modèle, en quelque sorte. Habituée à un régime historique, la flore australienne pourrait cette fois voir, selon Eric Rigolot, ses capacités d'adaptation surpassées. "Nous entrons dans un nouveau monde où l’on ne connaît pas la réponse des espèces. Nous savons qu’elles sont adaptées au feu, mais jusqu’à un certain point. Et on peut imaginer que ce point est franchi par endroit, ce qui va créer une mosaïque entre des zones qui vont se régénérer comme d’habitude et d'autres où l'on pourrait aller vers une forte régression biologique avec un changement de végétation." Certaines régions habituellement couvertes de forêts pourraient ainsi se transformer durablement en bush. Une végétation dont les caractéristiques favorisent par ailleurs l'accélération des incendies.

Une forêt d'eucalyptus se régénère par exemple sur 30 à 60 ans.
Éric Rigolot, directeur de l’unité de recherche "écologie des forêts méditerranéennes" à l’Inrae

Dans les zones où la régénération est encore possible, la repousse prendra quand bien même beaucoup de temps. "Une forêt d'eucalyptus se régénère par exemple sur 30 à 60 ans", souligne l'ingénieur de recherche à l'Inrae. Et cela à condition que la sécheresse et les températures extrêmes que connaît actuellement l'Australie ne se répètent pas les années qui suivent les incendies.


Charlotte ANGLADE

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