Troisième d’une lignée de filles aux pères absents, il m’a été difficile de me débarrasser de cet héritage familial. Mais j’ai aussi découvert que j’avais eu l’immense privilège de vivre avec des femmes fortes et combatives.

Je suis la fille d’un de ces “papas cadeaux”, comme les appelait ma grand-mère, ces pères défaillants qui font une brève apparition à Noël pour repartir aussitôt. Une tradition familiale qui dure chez nous depuis trois générations.

Au moment de l’adolescence, alors que l’absence de mon père me faisait horriblement souffrir, mon grand-père essayait de se racheter une conduite. Lui qui n’avait pratiquement pas connu sa deuxième femme a commencé à venir chaque semaine chez nous, près du bayou où nous vivions toutes les trois avec ma mère et ma grand-mère. En bon jardinier, il enfouissait ses remords en plantant des arbres fruitiers : d’abord un citronnier, puis un figuier, un prunier, un oranger, un pêcher et un pommier, toute une haie colorée qui s’étalait derrière notre garage.

“Ils finissent toujours par revenir, disait ma mère en regardant son père bêcher. Ils se rendent compte qu’ils ont eu tort.”

L’incarnation du cool

Mais ce qui m’inquiétait surtout à l’époque, c’était d’être condamnée à reproduire cette tendance familiale, et apparemment inévitable, qui consistait à sortir avec des types pas fiables.

“Tu crois qu’on est maudites ? demandai-je à ma grand-mère. Que je suis la prochaine ?

– Arrête avec tes histoires de malédiction, ça n’existe pas”, me rétorqua-t-elle.

En fait, je n’étais pas sous le coup d’une malédiction mystérieuse mais bien d’un conditionnement hérité de mon enfance. “Papa t’aime très fort”, me disait-il tout en se moquant de ma façon de parler “trop blanche”. “Papa t’aime très fort” même s’il refuse de payer tes études et préfère te donner 100 dollars pour une manucure. “Papa t’aime très fort”, disait-il en partant après être resté cinq minutes, ne me laissant pour toute consolation que son parfum entêtant.

C’était exactement le problème de ces pères-là. Ils étaient épouvantables mais diablement séduisants. Quand ils daignaient vous accorder cinq minutes, c’était le paradis. Mon père, qui a pratiquement dix ans de moins que ma mère, était pour moi l’incarnation du cool. Je courais vers lui dès que j’entendais sa voix dans l’entrée, et son sourire ravageur me faisait complètement craquer. Quand il m’emmenait me balader en voiture, il me faisait écouter des morceaux que ma mère aurait désapprouvés, et la musique était si forte qu’il nous était impossible de nous entendre. Mais même si la balade était de courte durée, j’étais persuadée qu’il m’aimait puisqu’il consentait à baisser le volume quand je voulais lui parler.

Le syndrome du père absent

Chaque mois de décembre, avant sa visite, je me lissais soigneusement les cheve