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EXCLUSIF : le directeur d’HEC répond aux critiques des diplômés sur le sexisme en école

INTERVIEW EXCLUSIVE // Peter Todd, directeur général de HEC Paris, réagit à la vague de protestations qui dénoncent le manque d’actions de l’administration face aux actes sexistes et racistes perpétrés par les étudiants.

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Peter Todd a pris la direction générale de HEC en août 2015. (D.R.)

Par Florent Vairet

Publié le 20 janv. 2020 à 16:05Mis à jour le 21 janv. 2020 à 10:26

Le monde des grandes écoles françaises est à son tour frappé par le mouvement #metoo. Plusieurs enquêtes se sont multipliées ces dernières semaines. En octobre dernier, nous vous racontions le combat de Marion, étudiante à l’ESCP reconnue victime de viol par un autre étudiant qu’elle continue de croiser tous les jours.

L’enquête de Mediapart publiée ce mois-ci mettait en lumière des traditions ancrées dans la culture de certaines écoles, pointant par exemple du doigt l’élection de la “pute du mois” dans un journal étudiant et satirique, longtemps toléré à l’Edhec.

A l’issue de cet article qui pointait des environnements masculinistes et des actes non seulement sexistes mais homophobes et racistes dans plusieurs grandes écoles dont HEC, Peter Todd, le directeur de cette dernière, a envoyé un mail aux actuels et anciens étudiants dans lequel il dénonçait un article à charge, “qui fait croire que l’école couvre sciemment des actes de sexisme, d'homophobie et de harcèlement ou qu'elle reste passive devant des faits qui lui auraient été remonté à plusieurs reprises, sur plusieurs années.”

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La semaine passée, plus de 500 diplômés et étudiants, dont un certain nombre de HEC, confirmaient l'existence de ces pratiques et se disent “choqués” par le mail. Ils exigent un changement radical de la part des administrations et invitent les directions d’écoles à mettre en place une culture de la transparence, et un environnement propice à la diversité. Nous avons interrogé, Peter Todd, directeur de HEC Paris, pour le faire réagir à la tribune "Nous aussi" dans laquelle il a été nommément cité.

Comprenez-vous la réaction des signataires de la tribune en réponse à votre mail ?

Je la comprends très bien et je répète ici que je condamne fermement de tels actes. Je trouve par ailleurs que cette prise de parole est très bénéfique. Il est fondamental que la parole des personnes qui ont vécu ces situations intolérables se fasse entendre. Je peux assurer les signataires que nous sommes à leur côté dans la lutte.

Ils vous demandent entre autres de reconnaître que des violences et agissements sexistes, homophobes ou racistes ont existé à HEC. Vous confirmez que c’est en effet le cas ?

Oui, et à chaque fois, nous réagissons fortement. Malheureusement, je peux aussi dire que nous aurons sûrement encore à faire face à ce type d’actes… HEC ne fonctionne pas différemment du reste de la société. Notre rôle en tant que direction de l’école est de sensibiliser nos étudiants dans le cadre de notre plan de prévention global pour empêcher que de tels agissements se produisent. Notre rôle est également de faire en sorte que les victimes disposent d’un dispositif d’écoute, de soutien et de prise en charge. Notre rôle enfin est de mener enquête et, à chaque fois que nous avons les éléments nécessaires, de prendre les mesures disciplinaires et les sanctions qui s’imposent.

Quand un acte de la sorte se produit, comment votre administration réagit-elle ?

Les circonstances sont à chaque fois différentes, il n’y a pas une réaction type. Nous écoutons les victimes. Une procédure d’écoute est d’ailleurs en place dans le cadre de notre dispositif de signalement, suivi par trois référents formés pour lutter contre les discriminations et les agressions sexistes ou sexuelles. Nous essayons de prendre en main les faits, nous menons des enquêtes et nous prononçons des sanctions comme l’exclusion de l’école, dans le cadre de notre règlement intérieur, qui a été renforcé en 2018. Nous faisons aussi appel à la police si nécessaire, en accompagnant les victimes qui souhaitent déposer plainte si elles ont besoin d’assistance.

Il y a eu des rumeurs de viols qui se seraient produits le campus l'an dernier et cette année. Confirmez-vous que ça s'est produit ? Si tel est le cas, comment avez-vous réagi à ces rumeurs ? Les victimes présumées sont-elles venues rencontrer l'administration ?

A chaque fois que des faits nous sont remontés, nous lançons une enquête, avec pour priorité la protection des victimes et toute la confidentialité nécessaire au bon déroulement de cette enquête. Quand ces faits sont graves, nous facilitons le travail de la justice en étroite collaboration avec les services de police, et proposons un accompagnement aux victimes dans le cadre de leurs démarches.

Les signataires reprochent pourtant aux administrations d’avoir tendance à régler les affaires en interne, en refermant le couvercle sur ces violences pour préserver la réputation de l’école. Reconnaissez-vous que vous avez pu commettre des erreurs à cet égard ?

Oui, je reconnais qu’il y a pu avoir des erreurs, ce sont des sujets complexes et difficiles. Mais je peux leur assurer que depuis mon arrivée en août 2015, je fais en sorte que la réputation de l’école repose avant tout sur le bien-être des étudiants. J’essaie de développer une culture inclusive et un environnement respectueux de chacun et je mets la lumière sur tous ces sujets. Non, nous n’essayons pas de cacher ces choses.

Nous pourrons toujours aller plus loin dans la lutte contre les discriminations. Mais des erreurs, il y en aura encore sûrement. En tout cas, pour moi, cette lutte est une question prioritaire.

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Comme vous l’expliquez, prendre la parole sur ces sujets complexes est difficile. Les étudiants peuvent pointer des maladresses en dépit de bonnes intentions. Comment vous faites-vous accompagner sur ces sujets ? Avez-vous recours à des experts pour vous aider ?

Des experts interviennent en effet sur les axes que nous développons pour combattre ces phénomènes. Dans le cadre de notre plan de prévention global, des médecins psychiatres spécialistes des jeunes adultes ainsi que des associations référentes participent à la conception des sessions plénières obligatoires qui se déroulent à chaque rentrée. Ces sessions traitent des sujets complexes du consentement, de l’addiction, du racisme et de la discrimination, de la santé mentale. Elles sont suivies dans l’année par des événements coconstruits avec les associations étudiantes, comme la semaine du bien-être, la Gender Equality Week ou les Diversitalks. Nous coopérons également activement avec le ministère de l’Enseignement supérieur et la Conférence des Grandes Ecoles, pour échanger de bonnes pratiques entre référents, conseil et accompagnement. Dans les cas les plus graves, nous sommes en lien étroit avec les forces de police et avons mis en place un dispositif d’accompagnement des victimes qui souhaitent porter plainte.

Parmi les erreurs, parfois avez-vous le sentiment que vous auriez dû arrêter des traditions souvent sexistes en place depuis des années ?

Dans les grandes écoles en France comme aux Etats-Unis, nous évoluons sur ce sujet. Ici comme ailleurs, nous n’avions sans doute pas pris conscience de l’ampleur du phénomène. Aujourd’hui, certaines traditions n’ont plus leur place dans notre environnement. C’est le cas notamment du site internet sortievauhallan, qui présentait une image dégradante de nos étudiants, et qui a interrompu toute activité en 2016.

A vous entendre, on peut croire que les agissements dénoncés par nombre d’étudiants n’existent plus... est-ce le cas ?

Il y a eu beaucoup de changements dans notre école et nous sommes sur le bon chemin, tout en étant conscient qu’on n’est pas encore au bout.

On sait que l’ambiance “festive” des écoles de commerce peut être un argument d’attractivité pour certains étudiants. Est-ce qu’il y avait un risque pour les écoles à encadrer plus strictement les événements étudiants ?

Non, c’est tout l’inverse. Nos actions de prévention et de contrôle menées sur le campus ces dernières années rencontrent d’ailleurs un fort soutien de la part des étudiants qui élaborent avec nous les nouvelles règles.

Pourriez-vous nous citer quelques-unes des actions entreprises par HEC pour lutter contre les discriminations ? Et nous préciser les moyens humains et financiers investis ?

Depuis deux ans, nous avons monté une nouvelle structure “Student Affairs”, composée d’une équipe de plus de 20 salariés. Son but est de créer un campus inclusif où l’expérience étudiante répond aux critères des meilleures business schools. Cette direction qui m’est directement rattachée accorde une importance spécifique à l’intégration, au respect de la diversité et de l’inclusion de l’ensemble des communautés étudiantes sur et en dehors du campus d’HEC Paris. Elle est notamment en charge d’organiser le plan de prévention global qui inclut des sessions de formation plénières obligatoires organisées autour des problématiques de santé mentale, de diversité ou de harcèlement sexuel. Nous avons beaucoup de demandes pour ces sujets.

Nous avons ainsi renforcé notre dispositif d’accueil et d’écoute en cas de besoin. Des médecins, des psychologues et notre psychiatre David Gourion, spécialiste des jeunes adultes, sont consultables, et trois référents sur les questions de discriminations ont été formés et sont à disposition de toute personne, témoin ou victime. Nous avons également beaucoup travaillé avec les étudiants sur le tissu associatif et nous avons atteint la parité parmi les présidents d’associations étudiantes de l’école.

Les alumni vous demandent de mettre en œuvre un certain nombre de mesures pour lutter contre une atmosphère dominée “par les plus bruyants, à la tête de petites meutes”. Ils vous demandent d’accompagner systématiquement un étudiant dans ses démarches juridiques, d’organiser des conférences obligatoires sur les questions de sexualité, de sexisme et d’homophobie, ou de favoriser la présence de conférenciers femmes, LGBTQ+, et issus de la diversité lors des événements officiels comme associatifs. Allez-vous répondre à ces demandes?

Nous allons examiner avec attention ces propositions. En fonction des mesures qui ont déjà été mises en place sur notre campus, nous déterminerons ce sur quoi nous pouvons faire plus et mieux.

Florent Vairet

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