Emploi : près de deux salariés sur trois dans le monde travaillent au noir
Pour l'OIT, l'offre d'emploi dans le monde est insuffisante au regard de l'évolution naturelle de la population. Un écart grandissant qui suscite une montée quasi générale des mécontentements au niveau international.
Par Richard Hiault
L'offre de travail dans le monde n'est pas d'ampleur suffisante pour permettre à chacun de vivre décemment. En publiant, lundi soir, son rapport « Emploi et questions sociales dans le monde » 2020, l'Organisation internationale du travail (OIT) évalue à près d'un demi-milliard le nombre de personnes effectuant moins d'heures de travail rémunérées qu'elles ne le souhaiteraient ou n'ayant pas suffisamment accès à un travail rémunéré.
120 millions hors du marché
Aussi, pour l'OIT, l'inadéquation entre l'offre et la demande de main-d'oeuvre va bien au-delà des 188 millions de chômeurs dans le monde en 2019. Ce qui lui fait dire que la mesure d'un taux de chômage officiel ne rend compte qu'imparfaitement de la réalité globale de l'emploi. A ces chômeurs, il faut ajouter 165 millions de personnes ayant un emploi mais désirant travailler plus et 120 millions d'autres qui sont en marge du marché. Ces dernières qui pourraient potentiellement obtenir un emploi échappent aux statistiques du chômage.
La situation n'est guère appelée à s'améliorer. Certes, le chômage mondial est resté relativement stable au cours des neuf dernières années. Mais le ralentissement de la croissance économique va se heurter à l'augmentation naturelle de la main-d'oeuvre. Les emplois créés ne seront pas suffisants pour absorber les nouveaux entrants sur le marché du travail. Dans ces conditions, il sera extrêmement difficile à la communauté internationale de parvenir à atteindre l'un des Objectifs de développement durable (ODD). A savoir éradiquer l'extrême pauvreté partout dans le monde d'ici à 2030.
Le travail informel pèse lourd
Cet état de fait se double d'une autre problématique. Le fait d'avoir un emploi rémunéré ne garantit pas des conditions de travail décentes ni un revenu suffisant. Aussi, une grande partie des salariés se voit contrainte d'occuper des emplois informels, mal payés et n'offrant que peu ou pas d'accès à la protection sociale et aux droits du travail. Environ 2 milliards de travailleurs dans le monde (61 % de la population employée estimée à 3,3 milliards de personnes) relèvent du travail au noir, indique l'OIT. Et en 2019, plus de 630 millions de personnes au travail dans le monde, soit près de 20 % de la population employée, ne gagnaient pas assez pour se sortir eux-mêmes et leur famille de la pauvreté. Ils gagnaient mois de 3,20 dollars par jour (en parité de pouvoir d'achat).
Le mécontentement progresse
Dans ce contexte, le déficit de travail ne conduit pas seulement à l'inefficacité économique. Il peut aussi saper la cohésion sociale au sein d'un pays. L'OIT relève ainsi que 7 des 11 sous-régions du monde ont connu une augmentation des manifestations l'an passé. A l'instar du mouvement des « gilets jaunes » en France , ces troubles sociaux montrent que le mécontentement à l'égard de la situation sociale, économique ou politique est en hausse. « Pour des millions de gens ordinaires, il est de plus en plus difficile de vivre mieux grâce au travail, juge le directeur général de l'OIT, Guy Ryder. C'est un constat extrêmement préoccupant qui a des répercussions lourdes et inquiétantes sur la cohésion sociale. »
Richard Hiault