« War causes climate change and climate changes causes war » (le guerre cause le changement climatique et le changement climatique cause la guerre) pouvait-on lire sur une banderole affichée à Madrid, où se tenait la COP25 en décembre 2019. Le message est d’autant plus percutant que le sujet de l’impact environnemental de la guerre n’a tout simplement jamais été abordé lors de la conférence. Les pertes humaines considérables et les flux migratoires importants qui découlent des conflits armés dans le monde ne sont pourtant pas ses seules conséquences. À l’heure de la résurgence des tensions au Moyen-Orient, il semble pertinent de se pencher sur les conséquences dévastatrices des activités militaires sur l’environnement.

Alors que la Syrie entre dans sa neuvième année de guerre et que le conflit israélo-palestinien n’a jamais été aussi loin de sa résolution, les troubles au Moyen-Orient continuent d’être entretenus par les récentes passes d’armes entre l’Iran et les Etats-Unis. La résurgence des tensions dans une zone instable depuis des décennies est inquiétante à bien des égards. Si certains s’inquiètent surtout de la sécurisation de l’approvisionnement en pétrole, la situation est bien plus préoccupante pour la paix mondiale, pour les populations locales qui sont toujours les premières victimes des conflits armés, mais aussi, et c’est nettement moins connu, pour l’environnement. Les activités militaires sont en effet à l’origine de dégradations considérables et diverses tant à l’échelle planétaire que locale : émissions de CO2, érosion des sols, déforestation, radiations liées au nucléaire militaire, etc. À l’échelle mondiale, les Scientists for Global Responsibility estiment ainsi que l’activité militaire est à l’origine à lui seul de 6% des émissions globales de gaz à effets de serres ! De quoi rivaliser de près avec l’industrie du transport, la production de viande ou encore le textile.

Le calcul a pris en compte de nombreux facteurs, à commencer par la production des armes et du matériel militaire. L’entretien quotidien des bases a aussi été comptabilisée, englobant la consommation énergétique, l’approvisionnement en nourriture et le traitement des déchets. L’utilisation des véhicules, marins, aériens et terrestres – très gourmands en énergies fossiles – est également entrée dans la balance, tout comme les dégâts causés a posteriori par la guerre : déforestation, incendies, soins de santé aux civils et militaires mais aussi reconstruction post-conflit. Il apparaît clairement que les activités liées aux armées ont un impact considérable sur l’environnement à toutes ces étapes, entraînant des dommages parfois irréversibles pour les écosystèmes.

L’armée américaine, premier contributeur

Sans surprise, il apparaît que l’armée des États-Unis est celle qui a plus l’empreinte carbone la plus importante. Avec son réseau tentaculaire de navires, d’avions et de camions pour soutenir ses opérations à travers le monde, l’activité militaire américaine est à l’origine d’émissions de CO2 considérables. Selon diverses études récentes (du Watson Institute de l’Université Brown et du British Geographers Institute), si l’armée des Etats-Unis était un pays, elle serait le 47e plus gros émetteur de gaz à effets de serre au monde, polluant davantage que 140 pays. L’armée américaine est si étendue qu’elle pollue autant qu’un pays Européen de taille moyenne comme la Finlande ou l’Autriche.

Et ces chiffres ne prennent même pas en compte les impacts postérieurs aux différents conflits dans lesquels les militaires américains sont impliqués. Ces études demeurent néanmoins une source importante, dans la mesure où les Etats-Unis sont particulièrement avares en communication sur ces données. Une rétention d’informations qui permet de garder le sujet sous silence, au point où il n’est que rarement abordé dans les hautes instances, à l’exception de la COP21. Car l’accord de Paris avait – légèrement – contribué à améliorer la transparence du pays sur ses émissions militaires, mais le retrait de l’accord par l’administration Trump nous a soudainement privés de ces précieuses informations.

Le recours à l’agent orange, un véritable écocide

En 2001, l’Assemblée générale des Nations Unies, consciente du problème, avait créé la « Journée internationale de la prévention de l’exploitation de l’environnement en temps de guerre et de conflits armés », qui se tient le 6 novembre. Son but est de rendre public les dommages causés à l’environnement en temps de guerre partout dans le monde. À l’occasion du 17ème anniversaire de la création de cette journée, le programme pour l’environnement de l’ONU rappelait d’ailleurs, à travers de nombreux exemples historiques et contemporains, « la nécessité de protéger la biodiversité des effets directs et indirects des guerres et des conflits armés ».

L’aviation américaine déverse un défoliant chimique sur le forêts vietnamiennes.

Après l’unique usage de bombes nucléaires sur des populations civiles à Hiroshima et Nagasaki, l’épisode historique le plus connu est certainement l’utilisation de l’agent orange pendant la guerre du Vietnam. Entre 1961 et 1971, l’aviation américaine a déversé des millions de litres de cet herbicide toxique – produit par Monsanto et six autres industriels – sur des vastes étendues forestières du Vietnam du sud, afin de priver les guérillas du couvert des arbres. La catastrophe écologique et sanitaire qui s’en est suivie est encore visible aujourd’hui, près d’un demi-siècle plus tard.

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Au-delà de la déforestation et de l’extinction de la biodiversité locale, l’agent orange est à l’origine de malformations importantes ainsi que d’une quinzaine de pathologies, dont des cancers et autres maladies mortelles. Encore aujourd’hui, il suffit de déambuler dans les rues d’Ho-Chi-Minh-Ville pour réaliser l’impact désastreux de l’agent chimique, qui continue à faire des dégâts chez les populations locales après trois générations. En réaction à ce véritable écocide, le Vietnam a d’ailleurs intenté plusieurs actions en justice contre Monsanto notamment.

Les ressources naturelles, moteur de la violence

L’accès aux ressources naturelles est l’une des causes principales des conflits armés à travers le monde et risque fortement de le rester à l’avenir. Les guerres civiles congolaises, qui font rage en RDC depuis le milieu des années 90, sont ainsi en partie motivées et alimentées par la lutte pour le contrôle des minéraux précieux des sols : or, diamants, coltan, etc. Ces conflits armés, au bilan humain très lourd, ont aussi des effets ravageurs sur la faune et la flore locales. Les animaux sauvages, utilisés comme viande de brousse par les combattants et les civils qui luttent pour survivre, se réfugiant parfois dans des zones protégées, sont ainsi les principales victimes de la guerre. Le désordre résultant des conflits permet également aux nombreux trafiquants de poursuivre la déforestation et l’extraction nuisible des ressources.

Pour en revenir au Moyen-Orient, l’incendie des puits de pétrole, manœuvre à laquelle certains groupes armés se livrent pour affaiblir l’adversaire, est particulièrement dévastatrice. En 2017, la ville de Mossoul avait été attaquée par l’Etat Islamique, et la destruction de ses puits de pétrole avait libéré un cocktail toxique de produits chimiques dans l’air, l’eau et la terre. Un autre groupe armé rebelle s’est livré à des pratiques néfastes pour l’environnement, les Forces armées révolutionnaires de Colombie (FARC). L’exploitation illégale des ressources minières et forestières du pays, principale source de financement pour les rebelles, a entraîné une pollution considérable des rivières et des terres par le mercure.

Des effets encore mesurables un siècle plus tard

D’autres zones ont été durablement affectées par les conflits qui y font rage. C’est le cas de l’Afghanistan, où les décennies de guerre ont détruit plus de la moitié des forêts du pays. Cette déforestation à grande échelle a entraîné une dégradation considérable des paysages et des terres agricoles, sans parler des conséquences sociales et économiques pour des millions d’Afghans qui sont à la merci des diverses catastrophes naturelles qui en découlent.

En Europe aussi, si les guerres sont moins récentes, elles continuent à nuire à l’environnement. Plus de cent ans plus tard, les obus et munitions enfouis dans le sol suite à la Première Guerre Mondiale, qui contiennent de nombreuses substances toxiques comme de l’arsenic, du mercure et des sels de perchlorates, dégradent encore la terre. La médiathèque Terra-Ifore a ainsi consacré un film à la question, montrant les impacts sur les zones agricoles, les eaux souterraines, les paysages, les forêts et la biodiversité même des décennies plus tard. Pendant les deux guerres mondiales, les Alliés ont volontairement coulé de très nombreux navires transportant près de trois milliards de tonnes d’armes chimiques et conventionnelles. Produits qui se trouvent aujourd’hui au fond de la mer du Nord et de la mer Baltique. Sans action de dépollution, plusieurs scientifiques ont prédit un désastre environnemental à moyen-terme, les fuselages métalliques qui confinent les substances chimiques se dégradant peu à peu en ce moment. À savoir qu’un baril met entre 80 et 100 ans à rouiller complètement.

Les dégradations environnementales comme sources de conflits

Si l’activité militaire conduit donc à aggraver le dérèglement climatique et la destruction des écosystèmes, la réciproque est vraie aussi. En 2018, le Conseil de sécurité des Nations Unies avait ainsi indiqué avoir conscience « des effets néfastes des changements climatiques et écologiques, entre autres facteurs, sur la stabilité de l’Afrique de l’Ouest et de la région [du Sahel], et notamment de la sécheresse, la désertification, la dégradation des sols et l’insécurité alimentaire ». L’Indice des États fragiles du Fonds pour la paix s’inquiétait pour sa part de la vulnérabilité des Etats de la Corne de l’Afrique (Somalie, Éthiopie, Érythrée, Kenya, Soudan et Soudan du Sud). D’après l’organisation, le lien entre changement climatique et conflits y est flagrant. Des affrontements entre communautés agricoles et pastorales y sont en effet provoqués par les sécheresses et la variabilité des ressources en eau, elles-mêmes exacerbées par la situation climatique actuelle.

Au Sahel, la pression du dérèglement climatique sur les ressources engendre des tensions entre communautés locales – Photo AFP

Les pressions induites par le dérèglement du climat sur la raréfaction des moyens de subsistance peuvent par ailleurs aggraver la malnutrition, les épidémies et l’insécurité alimentaire. Mais ces problèmes d’accès à l’eau et aux ressources alimentaires peuvent aussi provoquer des mouvements de population qui risquent à leur tour d’accentuer les tensions entre communautés locales sur les pays voisins. En résumé, comme le souligne l’Unesco, « le changement climatique ne constitue pas la cause directe des conflits, mais il multiplie les tensions autour des ressources naturelles, faisant augmenter les risques de conflit. » L’organisme alerte ainsi sur la possibilité que ces scénarios se développent de plus en plus dans le futur. De manière générale, selon un rapport publié par le cabinet d’études Allemand Adelphi et Climate Diplomacy en 2016, le changement climatique est l’un des facteurs pouvant expliquer la montée du terrorisme dans le monde.

Les ravages des guerres sur l’environnement sont donc particulièrement alarmants, d’autant plus que ces dégradations ont tendance à alimenter les conflits en question. Il est par ailleurs inquiétant de constater que ces dernières décennies, plus de deux tiers des conflits sont survenus dans les « hot spots » de la biodiversité (bassin du Congo, Amazonie et Asie du Sud-Est). La gouvernance environnementale est souvent la dernière des priorités pendant ces périodes troublées, ce qui met fortement en péril les efforts de conservation de la biodiversité locale. En ce qui concerne les émissions de gaz à effet de serre, hormis les quelques études citées, les chiffres sont relativement peu connus, et pas suffisamment pris en compte dans la majorité des études et des discussions internationales sur le dérèglement climatique.

Il faut l’admettre, certains gouvernements – en particulier ceux dont la population ne souffre pas directement des dommages catastrophiques de la guerre – tirent d’importants profits de ces conflits, notamment par les revenus de la vente d’armes et l’accès à certaines ressources. La France et la Belgique en font partie. Ces mêmes gouvernements peuvent ainsi avoir tendance à ne pas vouloir s’attaquer au problème. Là où l’argent passe, la vérité se tait. L’ampleur et l’urgence de la situation mérite pourtant qu’une attention accrue y soit consacrée, d’autant plus que le dérèglement climatique, la raréfaction des ressources naturelles et la dégradation de l’environnement, en partie induites par les guerres actuelles, sont autant de sources potentielles de conflits à venir.

Raphaël D.

Sources : Scientists for Global Responsibility, Watson Institute de l’Université Brown, British Geographers Institute

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