Viol à distance : toute sollicitation sera punie par la loi

Après la première condamnation d’un Français pour agression sexuelle dans une affaire de live-streaming, Nicole Belloubet, la ministre de la Justice, nous confie en exclusivité qu’elle souhaite la création d’une nouvelle infraction.

 Le premier Français reconnu coupable pour des complicités d’agressions sexuelles réalisées à distance avait été signalé à la France par Europol, après une enquête du FBI.
Le premier Français reconnu coupable pour des complicités d’agressions sexuelles réalisées à distance avait été signalé à la France par Europol, après une enquête du FBI. AFP/Jan HENNOP

    Une décision majeure qui en appelle d'autres. Le 13 janvier, Stéphan Lamberth, pilote de ligne de 50 ans, a été condamné à 5 ans de prison et est devenu le premier Français reconnu coupable pour des complicités d'agressions sexuelles réalisées à distance. Le quinquagénaire s'adonnait au live-streaming, ou comment des pédophiles commandent sur Internet des viols réalisés sur des enfants dans des pays étrangers et diffusés en direct.

    Le phénomène fait l'objet d'une attention pointue de la justice. Depuis le 15 octobre, une circulaire de la Chancellerie incite ainsi les juridictions locales à se dessaisir au profit du parquet de Paris dans ces affaires. Le but est de profiter des liens entre les magistrats parisiens — deux sont dédiés au live-streaming au parquet — et leurs homologues étrangers. Depuis, plusieurs dossiers ont rejoint Paris, qui supervise actuellement 11 procédures. « Parmi elles, deux informations judiciaires sont en cours pour complicité de viols, souligne le parquet de Paris. Les deux mis en cause sont incarcérés. » Trois autres dossiers sont en cours de transfert vers la capitale.

    L'objectif de cette circulaire est aussi de confier les dossiers à des magistrats qui ont une bonne connaissance du live-streaming. Car prouver une complicité d'agression sexuelle ou de viol est souvent compliqué pour la justice. À Grenoble, faute de preuves solides, un sexagénaire mis en examen pour des agressions sexuelles à distance a finalement été condamné pour la seule détention d'images pédopornographiques. « Les faits sont souvent difficiles à prouver, confie le parquet de Paris. Dans ce genre de dossiers, nous n'avons pas les vidéos des viols et des agressions, qui sont uniquement diffusés en direct sur Internet. Mais notre ambition reste de collecter des preuves et de renvoyer les complices des violeurs devant une cour d'assises. »

    Un vœu parfois pieux qui incite la justice à évoluer. Un amendement à la loi sur les violences faites aux femmes, déposé le 15 janvier par le député Guillaume Gouffier-Cha (LREM), prévoit ainsi de poursuivre le simple fait de solliciter, depuis son ordinateur, un viol ou une agression sexuelle en live-streaming. Nicole Belloubet, la ministre de la Justice, détaille le contenu et les raisons de cette évolution législative.

    « Nous sommes en recherche d’effectivité dans la lutte contre les pédo-criminels », déclare Nicole Belloubet, garde des Sceaux./LP/Olivier Corsan
    « Nous sommes en recherche d’effectivité dans la lutte contre les pédo-criminels », déclare Nicole Belloubet, garde des Sceaux./LP/Olivier Corsan AFP/Jan HENNOP

    Nicole Belloubet, quel est le but de ce texte proposé afin de lutter contre le live-streaming ?

    NICOLE BELLOUBET. La pédocriminalité, comme toutes les formes de criminalité, évolue. Le ministère de la Justice a été alerté en 2019 sur la multiplication de procédures relatives au live-streaming. L'amendement adopté le 15 janvier dernier en commission, lors de l'examen de la proposition de loi visant à protéger les victimes de violences conjugales, crée une nouvelle infraction autonome : le fait de solliciter la commission d'un viol contre rémunération devient répréhensible en soi, que le crime soit commis ou non.

    Vise-t-il à combler un vide juridique alors que certains commanditaires ont seulement été condamnés pour détention d'images pédopornographiques ?

    Ni les juridictions ni les services de police ne sont restés inactifs, ainsi que l'illustre une affaire jugée le 15 janvier à Paris. L'amendement déposé est pour autant indispensable pour stopper ce phénomène émergent : l'Office central de répression des atteintes violentes aux personnes (OCRVP) répertoriait 300 donneurs d'ordre en France fin 2019. L'amendement permettra aussi de faciliter la poursuite et la condamnation des commanditaires agissant depuis le territoire national. S'agissant de faits commis à l'étranger, il clarifie que la loi française est applicable au commanditaire agissant depuis le territoire français.

    Quels défis posent les nouveaux délits commis sur Internet à la justice ?

    S'agissant de la lutte contre la pédocriminalité, nous en avons identifié deux. Le premier est l'émergence de nouveaux phénomènes de criminalité, notamment sur le darknet. Le second découle de la facilité avec laquelle les images pédopornographiques peuvent être consultées. Nous ne devons pas craindre d'adapter notre arsenal législatif. C'est la raison pour laquelle le gouvernement souhaite porter de 2 à 5 ans d'emprisonnement la répression du délit de consultation habituelle d'images pédopornographiques, dans le cadre du plan de lutte contre les violences faites aux enfants porté par Adrien Taquet, secrétaire d'Etat à la protection de l'enfance. Cette disposition permettra une inscription automatique au fichier judiciaire des auteurs d'infractions sexuelles des personnes condamnées.

    Ces dossiers de live-streaming se heurtent souvent à la faible collaboration des autorités locales…

    Nous sommes en recherche d'effectivité dans la lutte contre les pédo-criminels, dans le respect des règles de souveraineté nationale. Nous faisons part d'un réel volontarisme au plan de la coopération internationale : nous allons ainsi continuer à mobiliser notre réseau de magistrats de liaison – je rappelle que nous disposons de magistrats de liaison dans les principaux pays de l'UE, dont la Roumanie – ainsi qu'Eurojust, afin que les demandes ou informations adressées par les autorités françaises soient dûment traitées et que nous puissions débusquer ces criminels au-delà de nos frontières. La coopération demeure complexe, mais nous sommes déterminés.