Libération des camps de concentration : ce que fut la bataille des images entre Soviétiques et Alliés

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Libération des camps de concentration : ce que fut la bataille des images entre Soviétiques et Alliés

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Roman Karmen filme les survivants du camp de Maidaken en aout 1944.
Roman Karmen filme les survivants du camp de Maidaken en aout 1944.
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Voici cinq films, cinq façons de montrer l'horreur nazie durant la Seconde Guerre mondiale. Ce que les armées américaine, soviétique et britannique ont filmé.

Le 27 janvier 1945, les Soviétiques libèrent le camp de concentration d’Auschwitz. Il n’y reste que 7 000 survivants, incapables de marcher, abandonnés là par les nazis. Les lieux sont en grande partie évacués depuis le 18 janvier lorsque les soldats SS contraignent 60 000 détenus à une dernière "marche de la mort".

Mais le processus de libération des camps nazis a commencé en juillet 1944 : l’Armée Rouge découvre alors le camp de Maïdanek en Pologne, puis en novembre l’armée américaine entre dans celui de Natzwiller-Struthof, en Alsace annexée par le IIIe Reich. À l'approche des troupes alliées, les Allemands ferment de nombreux camps, tentant au passage de détruire les traces de leurs crimes : archives, photographies, films, bâtiments.

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Filmer la libération des camps

Les armées libératrices parviennent tout de même à filmer l’enfer des camps de concentration et des camps de la mort : les amoncellements de cadavres, les entassements de mourants. Soviétiques, Américains ou Britanniques font appel pour cela aux compétences de cinéastes professionnels, comme John Ford. Ils forment au sein de leurs troupes des opérateurs, équipés et mandatés pour enregistrer des images documentaires.

Le cinéaste soviétique Roman Karmen a, par exemple, filmé la libération du camp d'extermination de Maïdanek près de Lublin en Pologne.  Mais il a parfois fallu du temps pour que les images circulent largement. Ce fut le premier camp libéré. 

Certaines des images filmées lors des libérations des camps ont parfois porté le soupçon de la propagande soviétique, avant d'être considérées comme un véritable témoignage. Soit parce qu'elles étaient filmées par eux, soit parce qu'elles étaient prises dans des camps libérés par l'armée russe. 

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Images d'archives : témoins aux destins multiples

Quelles images les uns et les autres ont-ils recueilli à la libération des camps nazis ? Comment les cinéastes ont-ils choisi d’évoquer ces atrocités?

Les Américains ne sont arrivés qu’en juin 1944 en Europe de l’ouest (1943 en Italie), ils n’ont pu filmer que des survivants en pyjamas rayés, et des chambres à gaz n’ayant jamais fonctionné. Les Russes, en revanche, possèdent en images le répertoire intégral des horreurs nazies : fusillades de masse dans des fossés anti-char, gazages dans des camions spécialement aménagés, incendies sur des bûchers, etc. Ce sont eux qui ont découvert Maïdanek et Auschwitz ; ce sont eux qui ont utilisé le terme d’”usines de la mort” pour la première fois. Leurs images illustrent donc la Shoah, quand les images américaines illustrent le système concentrationnaire nazi.

Ces images ont été récupérées, sonorisées (souvent il n’y avait pas de son, et en tout cas pas de commentaires ou d’entretiens construits), les pays se les sont réappropriées, les ont commentées, à chaque fois dans des buts différents, à chaque fois pour raconter l’histoire de manière différente et adaptée à leurs enjeux.

Les Russes n’ont pas fait de distinction sur le traitement réservé aux Juifs, et cela a été reproché également au film d’Alain Resnais Nuit et Brouillard. Par ailleurs, Américains et Soviétiques n’ont pas filmé les mêmes choses, car ils n’ont pas découvert les mêmes choses.

la mémoire meurtrie
la mémoire meurtrie
© Radio France

Produit par Sidney Bernstein en 1945 à l'initiative des autorités britanniques, le film Memory of the Camps rassemble des images d'archives des armées libératrices. Le montage, inachevé, est l'oeuvre du réalisateur Alfred Hitchcock. Une version restaurée de ce document longtemps resté inconnu a été diffusée à l'occasion du 70e anniversaire de la fin de la guerre. 

Des images pour un procès

Au procès de Nuremberg, deux films sont projetés, pour faire preuve des atrocités nazies. Comme le dit alors Robert Jackson, procureur en chef pour les États-Unis dans son discours d'ouverture :

"Si je vous rapportais ces horreurs avec mes propres mots, vous trouveriez qu'on ne peut me croire".

En avril 1945, le général Eisenhower, futur président des États-Unis, visite en Allemagne les premiers camps de concentration libérés. Il demande à George Stevens de filmer tout ce qui pourra servir de preuve des crimes nazis devant les tribunaux

Avec son unité spéciale de tournage, Stevens filme la libération du camp de Dachau , les wagons remplis de cadavres mais également les règlements de compte avec les gardes et les soldats allemands.

Ce film d’une heure, Nazi concentration camps, monté par John Ford et Ray Kellog, est projeté dans l’enceinte du Tribunal de Nuremberg, le 29 novembre 1945. Les images de ce documentaire, considérées comme trop dures, ne furent pas montrées au grand public. Avec le plan Marshall et le début de la guerre froide, les priorités avaient changé. Elles sont pourtant les principales archives qui subsistent sur l’horreur concentrationnaire.

►Nazi Concentration Camps (attention, certaines images peuvent choquer) : voir ici le film, sur archive.org

À Nuremberg, les Soviétiques font projeter leur propre film : un document cinématographique sur les exactions germano-fascistes, très différent du document américain. Monté avec des images tournées dès 1941, il répond en fait à la question restée sans réponse dans le film américain : qu’est-ce que le nazisme en oeuvre pendant la guerre ? 

L'après Nuremberg

Après le procès de Nuremberg, où deux documents cinématographiques furent projetés, d’autres films sont venus se construire au fil du temps, la pensée humaine faisant son chemin pour tenter de comprendre : Nuit et Brouillard  d’Alain Resnais en 1955, le film de Samuel Fuller et Emil Weiss en 1987 Falkenau, vision de l'impossible , sans oublier Shoah, de Claude Lanzmann. Cette œuvre, fruit de 10 ans de recherches, figure dans ce dossier par son opposition sur la manière de conserver la mémoire.

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Soldat de la célèbre Big Red One, Samuel Fuller filme la libération du camp de Falkenau en Tchécoslovaquie. Il attendra plus de 40 années avant de commenter ses propres images pour le réalisateur Emil Weiss.

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À rebours de ses prédécesseurs, ce document unique du réalisateur Claude Lanzmann ne montre aucune image d'archives. Les atrocités du système concentrationnaire nazi sont illustrées par les témoignages des acteurs de la Shoah, les victimes, mais aussi leurs bourreaux.

> Pour aller plus loin : liste non exhaustive d'ouvrages et de liens internet.

Merci à la Documentation de Radio France (Maria Contreras, Annelise Signoret, Catherine Barbry, Marianne Jolly), et à Arnaud Racapé.

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