Cela fera quinze jours vendredi. Opposés au projet de réforme des retraites, les salariés portuaires du Havre (Seine-Maritime), à l’instar des dockers, sont sur le pont social depuis le 5 décembre 2019. Une large fenêtre de contestation durant laquelle se produisent des opérations « port mort ». Depuis mercredi 22 janvier 2020, 100 % des activités portuaires de terrain sont ainsi à l’arrêt, tandis que les services administratifs du Grand port maritime (GPMH) sont fortement perturbés, occupation du hall d’accueil à l’appui.
Ni cagnotte, ni caisse de soutien
Des actions annoncées en amont qui induisent une présence tôt le matin, à différents points stratégiques de la ZIP (zone industrialo-portuaire), sans forcément de rotation entre les personnels mobilisés. Pleinement grévistes, ces derniers laissent filer pans de salaires, primes et autres indemnités liées aux particularismes des métiers du port. « Personne n’est rémunéré pendant les heures de grève », rappelle d’emblée Laurent Delaporte, responsable CGT du Grand port maritime du Havre (GPMH).
Financièrement c’est compliqué, on tient sur nos économies personnelles, on adapte notre train de vie, poursuit le syndicaliste.
« Il y a aussi une culture de la lutte en milieu portuaire : le nouveau salarié qui entre dans une entreprise du port le sait à son arrivée. » D’un salarié à un autre – et donc d’un traitement salarial à un autre – les pertes n’ont, en outre, pas les mêmes résonances. Existe-t-il toutefois une écoute, une assistance pour les plus lésés ? « On n’en parle pas entre nous », coupe Laurent Delaporte. Aucune cagnotte, ni même de caisse de solidarité, n’ont été initiées.
Situations familiales parfois tendues
Alors que le mouvement de contestation défile depuis maintenant 50 jours (au 23 janvier), les décomptes de salaires fusent au gré des grèves, a fortiori quand elles sont reconductibles. « J’ai entre 30 et 40 % de revenus en moins, détaille un salarié du port, qui a souhaité conserver l’anonymat. Il estime la perte mensuelle à 1000 €. « C’est le jeu. Et puis ma femme est également gréviste. À deux, nos revenus ont baissé de 50 % (depuis le 5 décembre) » :
On adapte notre alimentation, nos dépenses, les sorties…
D’autres déplorent des cohabitations moins harmonieuses. Dans certaines familles, des divisions sur le sens de la contestation peuvent ainsi opérer. Et donner lieux à des tensions, voire pire, des séparations, « comme en 2010 ou 2016, où des salariés avaient exprimé leurs difficultés de couple ».
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« Les salariés grévistes s’organisent individuellement au sein de leur foyer, ils parlent », retient plutôt Laurent Delaporte. Et d’appuyer, après avoir compté « 400 personnes » (sur 1 000 salariés) à l’assemblée générale du GPMH, mercredi matin : « je n’ai constaté aucune baisse de motivation lors des assemblées générales ».
Outre les pertes de revenus, une image sociale parfois dégradée vient également ternir les relations des grévistes avec la population civile, comme samedi 18, au stade Océane, avant la rencontre de Coupe de France entre Gonfreville et Lille. Des tracteurs de l’UL d’Harfleur avaient notamment été pris à partie. Les transporteurs routiers ont également manifesté leur mécontentement, tandis que le GPMH a déposé plainte après les « coups de force, dégradations de biens et intimidations » dénoncés par son directeur Baptiste Maurand, mercredi 22 janvier.
Dès lors, comment font-ils pour passer outre ? À Laurent Delaporte le mot de la fin. « Par la motivation du mouvement, l’adoption du discours de protection de nos enfants ».