Média indépendant à but non lucratif, en accès libre, sans pub, financé par les dons de ses lecteurs

Pesticides

Contre les pesticides SDHI, des associations écolos saisissent la justice

Trois associations environnementales ont décidé d’attaquer en justice des produits contenant des pesticides SDHI. Une action lancée alors que l’alerte sur la dangerosité de cette classe de pesticides est relayée par de plus en plus de scientifiques.

« Nous ne voulons plus compter les morts, nous voulons les éviter » : c’est avec ces mots que Fabrice Nicolino lance et relance l’alerte sur une nouvelle classe de pesticides, les SDHI. Le journaliste et président de l’association Nous voulons des coquelicots avait réuni, hier mardi 21 janvier, scientifiques, associations et politiques pour annoncer une nouvelle étape dans son combat, via le lancement d’une action en justice contre trois pesticides SDHI.

Les associations Générations futures, France Nature Environnement et Nous voulons des coquelicots demandent donc le retrait des autorisations de mise sur le marché de deux produits Bayer — le Keynote et l’Aviator Pro — et d’un produit de BASF — le Librax. Les députés Delphine Batho (Génération écologie) et Loïc Prud’homme (France insoumise), ainsi que le sénateur Joël Labbé (Europe Écologie-Les Verts, EELV) et le député européen Benoît Biteau (EELV également) étaient présents afin de soutenir cette action juridique.

Les SDHI sont vendues en tant que fongicides — des pesticides s’attaquant aux champignons. Ils inhibent l’enzyme SDH, essentielle à la fonction respiratoire des champignons… mais aussi de l’ensemble des êtres vivants. « Contrairement à la façon dont elles sont présentées, ce ne sont pas des fongicides, mais des molécules non spécifiques, a rappelé Pierre Rustin, directeur de recherche au Centre national de la recherche scientifique (CNRS) spécialiste de la respiration des cellules, et lanceur d’alerte sur les SDHI. Quand on met des SDHI sur un champ, on tue tout. Les champignons, mais aussi les vers de terre, les bactéries. Ce sont en plus des molécules extrêmement difficiles à détruire. » Le scientifique souligne également les effets chez l’homme, avec le risque de maladies neurologiques telles que la maladie de Parkinson. Avec son équipe de recherche, Pierre Rustin a récemment publié en novembre 2019, dans la revue Plus One, une étude montrant la toxicité des SDHI à faible dose sur les cellules humaines. 152 produits contenant des pesticides SDHI sont vendus en France, indique Pierre Rustin. Ils « sont épandus sur 80 % des surfaces de blé, les tomates, les pommes de terre, les arbres fruitiers, la vigne, les terrains de foot et de sport », indiquent les associations dans leur dossier de presse.

Pierre Rustin : « Quand on met des SDHI sur un champ, on tue tout. Les champignons, mais aussi les vers de terre, les bactéries. Ce sont en plus des molécules extrêmement difficiles à détruire. »

La première étape de la procédure juridique a été lancée hier, avec l’envoi d’une lettre à l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses), lui demandant de retirer les autorisations de mise sur le marché des trois pesticides. D’ici deux mois, en l’absence de réponse ou si la réponse ne satisfait pas les associations, un recours sera déposé devant le tribunal administratif de Lyon. « Si nous obtenons gain de cause, ces produits ne pourront plus être commercialisés en France », a indiqué maître François Lafforgue, avocat des associations avec sa collègue Hermine Baron.

Les trois pesticides visés ont été choisis car ce sont des pesticides SDHI de nouvelle génération récemment mis sur le marché. « Ils sont en devenir, a expliqué Pierre Rustin. Ce qu’il faut comprendre est que les SDHI entraînent des résistances chez les champignons. » De nouveaux produits sont donc régulièrement mis sur le marché afin de contourner ces résistances. « Sur une maladie de l’orge, on a vu apparaître 70 % de résistance aux SDHI, indique Thibault Leroux, chargé de mission agriculture à France Nature Environnement. Donc, on utilise des produits encore plus puissants, associant plusieurs substances actives ayant un effet cocktail. » « En ce moment dans l’Union européenne, sur huit fongicides qui sont dans le processus d’autorisation, quatre sont des SDHI », a ajouté le député Loïc Prud’homme. « C’est un tapis roulant qui apporte sans cesse de nouvelles substances et dont il faut couper l’élan. »

« Des données accessibles depuis 44 ans disent que les SDHI sont dangereux pour les mammifères »

Cette procédure est la dernière d’une série d’alertes sur le danger des pesticides SDHI lancées par Pierre Rustin et ses soutiens. Le scientifique, « de renommée mondiale dans son domaine » a souligné Fabrice Nicolino, a d’abord tenté d’avertir l’Anses. « Quand on s’est rendu compte, avec mon équipe, que l’on mettait dans la nature des poisons pour la chaîne respiratoire des cellules, j’ai tout de suite appelé l’Anses. J’ai cru qu’ils régleraient le problème dans la journée ! » a-t-il raconté. L’agence n’a en fait réagi qu’après la publication, en avril 2018, d’une tribune de scientifiques dans Libération. Pierre Rustin et les scientifiques auteurs de la tribune ont ainsi été reçus à l’Anses et ont pu présenter leur alerte. « À la suite de cela, ils ont réuni un comité d’expertise. C’est déjà problématique, quand on sait que des données accessibles depuis 44 ans disent que les SDHI sont dangereux pour les mammifères », a noté Pierre Rustin. Le comité d’experts a estimé que les pesticides SDHI pouvaient continuer d’être utilisés en France. Désormais, « l’Anses a passé la patate chaude à l’Inserm [Institut national de la santé et de la recherche médicale], qui devait rendre un rapport fin décembre 2019, a poursuivi le chercheur. On vient d’apprendre que ce rapport ne serait finalement accessible que dans plusieurs mois. Alors qu’un scientifique qui connaît son métier ne mettrait qu’une semaine à réunir la bibliographie nécessaire ! »

Forme de soutien à cette initiative juridique, une tribune signée par 450 scientifiques a également été publiée hier mardi 21 janvier sur le site payant du Monde. Dénonçant « un déni des données scientifiques déjà existantes », le texte appelle « élus, maires, députés, sénateurs, et toute institution concernée, pour mettre en œuvre au plus vite l’arrêt de l’usage des SDHI en milieu ouvert. » « Il y a une évidence scientifique, la question est de savoir si les politiques vont l’entendre », a espéré Fabrice Nicolino.

L’Union des industries pour la protection des plantes — association regroupant les fabricants de pesticides -, à l’annonce de cette action en justice, a estimé dans un communiqué qu’il s’agissait « d’une action fondée sur une lecture résolument excessive du principe de précaution visant l’interdiction de ces produits sans respecter les dispositions réglementaires existantes ». Elle ajoute qu’« alors que certains de ces produits sont commercialisés depuis plusieurs dizaines d’années dans le monde, aucun signal sanitaire (données d’évaluation, de suivi des effets indésirables après autorisation…) n’a été identifié, à ce jour, ni au niveau national ni au niveau européen qui justifierait le retrait des autorisations de mise sur le marché des produits concernés ».

Maître Lafforgue est cependant confiant. Il a récemment réussi à obtenir l’annulation de l’autorisation de mise sur le marché du sulfoxaflor, un pesticide appartenant à une autre famille fortement décriée et désormais bannie dans les champs français, les néonicotinoïdes. « Si on obtient gain de cause sur ces trois produits contenant des SDHI, la conclusion qui s’appliquera à l’Anses, c’est qu’il faut d’interdire tous les produits qui ont le même mécanisme », a-t-il indiqué.

Fermer Précedent Suivant

legende