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Ute Ströher, la discrète scientifique qui a découvert l’antidote contre Ebola

La chercheuse allemande, discrète mais très pointue, travaille à l’OMS. Elle est l'une des scientifiques qui ont contribué à la mise au point d’un vaccin pour combattre le fameux virus. Une petite révolution dans la lutte contre la maladie

Ute Ströher: «Au moins je n’ai pas perdu mon temps depuis mon doctorat. Il valait la peine de se pencher sur Ebola.» — © Mark Henley/Panos Pictures pour Le Temps
Ute Ströher: «Au moins je n’ai pas perdu mon temps depuis mon doctorat. Il valait la peine de se pencher sur Ebola.» — © Mark Henley/Panos Pictures pour Le Temps

Sur internet, son empreinte digitale ne livre aucun détail personnel. Tout ce qui se rapporte à elle est lié à ses recherches scientifiques. On y trouve une seule image d’elle, à peine visible. Lunettes rondes, vêtue de noir, cheveux gris, Ute Ströher n’est pas du genre exubérant. Cette Allemande de 52 ans qui a grandi dans la région viticole du Bade-Wurtemberg, resterait sans doute dans l’ombre de la Genève internationale si on ne la sollicitait pas.

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Docteure en virologie, biologie moléculaire et immunologie de l’Université Philipps de Marburg, elle a pourtant de quoi revendiquer une part de lumière. Elle figure parmi les scientifiques qui ont contribué à l’invention du vaccin contre Ebola, tout juste homologué par l’Administration américaine des denrées alimentaires et des médicaments et par la Commission européenne. Un tournant dans la lutte contre l’agent pathogène. Son nom figure en toutes lettres sur le brevet du vaccin Ervebo, qui sera commercialisé par l’entreprise pharmaceutique Merck.

Des virus artificiels

Quand Ute Ströher nous reçoit à l’Organisation mondiale de la santé, où elle officie depuis 2018 en qualité de spécialiste du diagnostic in vitro pour le VIH, l’hépatite B et le paludisme, elle paraît surprise qu’on s’intéresse à elle. Elle n’a presque jamais donné d’interviews. Son curriculum vitae de 28 pages a de quoi faire pâlir les scientifiques les plus aguerris. Si on la rencontre aujourd’hui, ce n’est pas parce qu’elle se serait intéressée à la dernière minute, par opportunisme, à l’invention d’un vaccin Ebola.

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En 1995 déjà, dans le cadre de ses études, elle intègre une nouvelle équipe au sein de l’Université Philipps, dont l’objet des recherches est focalisé sur les virus Marburg et Ebola. Son premier projet de recherche porte sur le séquençage de différentes souches du Marburg. Elle génère aussi des virus artificiels. «A l’époque, nous ne pensions jamais pouvoir développer un vaccin», se souvient Ute Ströher.

Pendant des semaines, j’ai dû rapporter un grand nombre de tests positifs. C’était très douloureux. Apposer ma signature sur ces documents, c’était comme signer leur certificat de décès

Ute Ströher

En 2001, elle quitte l’Allemagne pour le Canada. Pendant dix ans, elle mène des travaux pointus avec le gotha des virologues et immunologues au sein du Laboratoire national de microbiologie de l’Agence de la santé publique du Canada, à Winnipeg. Cette même année, Ute Ströher et ses collègues effectuent la première expérimentation animale en utilisant le virus recombiné avec des souris 100% sensibles à une exposition à l’agent pathogène.

A la surprise de la chercheuse, toutes les souris vaccinées survivent. «C’était un moment très fort.» Il est ensuite nécessaire de monter dans la chaîne alimentaire et de démontrer ces mêmes propriétés avec des singes, plus proches de l’homme. Elle entreprend ces tests avec des collègues de l’Institut de recherche médicale des maladies infectieuses de l’armée américaine dans le Maryland. Créer un vaccin Ebola devient une perspective réaliste.

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En 2005, avec d’autres scientifiques canadiens, elle peut attester que le vaccin Ebola est efficace sur des animaux. La chercheuse allemande le confie: «En 2005, j’ai été déployée en Angola pour gérer un laboratoire sur le terrain.» Le pays était affecté par le virus Marburg dont le taux de mortalité est d’environ 90%. «Pendant des semaines, j’ai dû rapporter un grand nombre de tests positifs. C’était très douloureux. Apposer ma signature sur ces documents, c’était comme signer leur certificat de décès. C’était frustrant; je savais qu’au Canada nous avions les vaccins en cours de développement dans nos congélateurs, mais nous n’avions pas le financement nécessaire.»

Les fonds finiront par arriver. Après les attentats du 11 septembre 2001 aux Etats-Unis et les attaques à l’anthrax, les ministères de la défense investissent d’importantes sommes dans la recherche sur le bioterrorisme.

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En 2011, elle rallie les Centres pour le contrôle et la prévention des maladies à Atlanta, où elle est responsable de l’équipe des diagnostics immunologiques et moléculaires. Mais elle n’est pas une scientifique cantonnée dans son laboratoire. Dès le début de 2014, elle est déployée en Guinée puis en Sierra Leone au cœur de l’épidémie d’Ebola qui a infecté plus de 28 000 personnes et en a tué plus de 11 000. Elle constate avec une certaine frustration les intérêts concurrents des différents protagonistes actifs pour combattre l’épidémie.

En terrain connu

Ute Ströher le lâche avec humour: «Au moins, je n’ai pas perdu mon temps depuis mon doctorat. Il valait la peine de se pencher sur Ebola.» La discrète scientifique, qui se réjouit d’être revenue sur le Vieux Continent, met néanmoins en garde. Il y a plusieurs espèces de virus Ebola qui peuvent affecter les humains. Le vaccin Merck concerne le virus Zaïre. Il ne protège pas contre les virus Ebola de type Soudan et Bundibugyo.

A Genève, la chercheuse est en terrain connu, car elle continue de travailler sur la certification de nouveaux diagnostics à l’OMS. Intéressée par l’histoire de l’art et la cuisine française, elle promet d’apprendre la langue de Rousseau. Mais sa passion pour la science lui reste chevillée au corps. Elle va continuer de se battre pour convaincre politiciens et pharmas qu’il y a un intérêt public supérieur à financer la recherche sur les vaccins.

Profil

1968 Naissance dans le Bade-Wurtemberg.

1990 Entame des études de biologie à l’Université de Marburg.

2001 Achève son doctorat en virologie et devient chercheuse occupant différentes fonctions au Laboratoire national de microbiologie à Winnipeg.

2008 Professeure adjointe de microbiologie médicale à l’Université du Manitoba puis, trois ans plus tard, responsable de l’équipe des diagnostics immunologiques et moléculaires (CDC) à Atlanta.

2018 Travaille sur la certification de nouveaux diagnostics à l’OMS.