INTERVIEW. Daniel Guichard: "Je doute qu’aujourd’hui Piaf ou Brel aient eu une chance de réussir"

Initialement prévu le 23 novembre dernier, et reporté en raison des intempéries, le concert de Daniel Guichard aura lieu ce samedi 25 janvier au Cannet. L’occasion de débuter 2020 en beauté, avec l’inoxydable interprète de "La Tendresse" et "Le Gitan", entouré de ses musiciens. Il est à la une du magazine Week-End ce vendredi.

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Laurence Lucchesi Publié le 24/01/2020 à 09:00, mis à jour le 24/01/2020 à 09:00
"Je chanterai avec ma fille aînée, Emmanuelle, sur la scène de La Palestre." Photo Didier Pazery

Il le dit lui-même: à soixante et onze ans, dont cinquante-trois ans de carrière à son actif, Daniel Guichard "fait partie de ces chanteurs populaires, dans le bon sens du terme".

Crinière désormais immaculée mais voix inchangée, avec ce timbre grave qui lui a valu d’être estampillé dès ses débuts "viril mais charmeur", il est de ces artistes dont on réécoute les titres emblématiques avec une émotion intacte, des décennies plus tard. Et s’il a désormais dépassé l’âge de Mon vieux, son talent, son tempérament rebelle et son grand cœur, eux, n’ont pas pris une ride.

Que vous inspire le fait de venir chanter au Cannet? Avez-vous des souvenirs particuliers liés à notre région?
Elle est vraiment liée au début de ma carrière. Toutes les tournées importantes que j’ai faites dans les années soixante-dix, quand ça a commencé à marcher, c’était dans le Sud. J’y ai écumé toutes les salles, de Menton à Marseille.

La chanson Le Gitan, sortie en 1983, est née d’une rencontre lors d’une soirée à Monaco?
Exact! J’avais déjà la musique, Cyril Assous l’avait composée. Et puis un jour, je suis allé à Monaco pour une soirée organisée par Régine.

Une amie journaliste, Agathe Godard, m’a présenté le boxeur Pierre-Franck Winterstein, alias "Le Gitan". Beau mec, élégant, champion d’Europe. On a beaucoup parlé, sympathisé. Bref, quelques mois plus tard, je retrouve Cyril Assous qui me dit: "La musique est prête, j’ai les choristes qui sont là, mais je ne sais toujours pas ce que je leur fais chanter."

Dans ma tête, il y avait ces deux mots qui trottaient: "le gitan, le gitan, le gitan". On s’est mis au travail et la chanson est née en vingt minutes. Mais je ne la considérais pas comme un titre-phare, jusqu’à ce que Monique Le Marcy de RTL, m’en persuade. Et elle a eu raison!

Le Paris de mon enfance, il y a longtemps qu’il a disparu.

Allez-vous l’interpréter sur la scène de La Palestre?
Oui, je ne suis pas de ceux qui disent: "J’ai fait un tube, il y a vingt-cinq ans ou trente ans, désormais je n’interprète plus qu’un morceau de cette chanson sur scène".

Je vois bien les émotions que provoquent des titres comme Mon vieux, Le Gitan ou La Tendresse, ce serait prétentieux ou stupide de ne pas les chanter. Il y a des titres qui demeurent dans la mémoire collective des familles.

Si vous avez un grand-père ou une mère touchés par telle ou telle chanson, un jour ou l’autre, vous y avez droit! Alors, tant pis si deux générations après, on a un peu oublié le nom de l’artiste  du moment que ses chansons demeurent.

Votre père était breton et votre mère polonaise, russe et ukrainienne...
Oui, c’était une véritable salade composée, à base de betterave et de chou rouge! Mon père était prisonnier en Allemagne, ma mère était déportée, forcée de travailler dans les usines allemandes. Leur rencontre, en apparence improbable, a eu lieu dans ce contexte.

Cependant, vous avez surtout une identité de "parigot" aux yeux du public...
Quand les gens me questionnent sur mon appartenance, je réponds que je suis russo-polak, car je suis touché par ce qui se passe en Ukraine, en Pologne, en Russie.

De la même manière que je suis sensible à tout ce qui concerne les Bretons. Et bien que je n’ai pas fait ma communion, je ressens que je suis de naissance catholique. Ce sont les restes de culture familiale qui font qu’on est touchés par plein de choses. Mais au-delà de toutes ces considérations, je suis d’abord français, et d’abord parigot, oui.

Pourtant vous ne vivez pas à Paris, mais à Sauvian, dans l’Hérault...
Je ne vis plus à Paris depuis vingt ans. Parce que le Paris de mon enfance, il y a longtemps qu’il a disparu. Et le Paris de mon enfance n’était déjà plus celui de gens comme Francis Lemarque.

Au départ, je me produisais dans des cabarets à Montmartre ou à Saint-Germain-des-Prés.

Vous êtes né et avez vécu dans le quartier des Halles, jusqu’à dix-huit ans. Milieu social modeste, comme vous le décrivez dans la chanson Mon vieux... À quoi ça ressemblait, une enfance dans ce quartier?
Mon père prenait le métro pour aller bosser à l’autre bout de Paris, à Levallois. Ma mère était concierge et s’occupait de nous, on était trois enfants.

Moi, dès que j’ai eu dix ans, j’ai commencé à aller travailler aux Halles pour me faire de l’argent de poche. Je portais les bouquets de fleurs, j’aidais les clients... À quatorze ans, je déchargeais les camions de fruits et légumes, la nuit.

Qu’est-ce qui vous a donné envie de devenir chanteur?
Quand un p’tit gars des Halles comme moi regardait les magazines de l’époque, comme Salut les copains, voir Johnny, Sheila et les autres dans de superbes maisons avec des piscines, ça le faisait forcément rêver!

Les choses n’ont pas tellement changé d’ailleurs, on voit à longueur de clips des chanteurs de rap couverts de bijoux et baignant dans le luxe, mais c’est une grande escroquerie, à la fin du tournage la production récupère tout. Si vous habitez aux Halles aujourd’hui mieux vaut, pour vous mettre à l’abri du besoin, être footballeur si vous êtes vraiment doué.

En ce qui vous concerne, tout a démarré en 1966?
J’ai signé mon premier contrat de disques en 1966. Les premières chansons qui m’ont fait connaître c’était en 1970. Au départ, je me produisais dans des cabarets à Montmartre ou à Saint-Germain-des-Prés. On faisait la manche dans les restaurants avec l’accordéoniste.

Je distribuais mes disques mais aussi d’autres qui étaient un peu hors système.

Dès le début, vous avez été en quête d’indépendance...
Quand j’ai sorti mon deuxième album en 1973, le directeur artistique de l’époque ne voulait pas de la chanson Mon vieux, dont la musique avait pourtant été composée par Jean Ferrat. Il disait que c’était démodé et que ça n’allait jamais marcher. J’ai insisté.

Et Mon vieux a été un carton. Alors quand j’ai signé ensuite chez Eddie Barclay, je lui ai raconté l’histoire, on a conclu que je n’avais pas besoin de direction artistique et je suis devenu producteur chez Barclay.

En 1981, vous avez même distribué vous-même vos disques...
Oui, Barclay a vendu sa maison de disques et ça c’est très mal passé avec les repreneurs. Alors j’ai monté mon propre système de distribution. Je distribuais mes disques mais aussi d’autres qui étaient un peu hors système. J’ai même été le distributeur du groupe La Souris déglinguée, une formation punk-rock!

Il y a eu aussi Radio bocal?
Oui, une radio pirate, qui diffusait de la chanson francophone, à une époque où 70 à 75% des chansons balancées sur les ondes étaient en anglais! Je n’ai jamais eu l’autorisation de faire Radio bocal, bien que j’ai fait toutes les demandes possibles et inimaginables.

C’était d’ailleurs assez rigolo parce que j’avais installé mes antennes et mes amplis sur les tours de la Défense, et à côté il y avait La Loi du lézard qui est devenue Skyrock. Je passais mon temps à m’accrocher avec son patron, parce que le matériel était mal réglé, ça perturbait ma radio!

Quand je regarde mon parcours, ce dont je suis le plus fier, ce sont mes enfants.

Distributeur, auteur, compositeur et interprète, quel regard portez-vous sur l’industrie de la musique aujourd’hui?
Le problème, c’est que pour faire ce métier il faut se ramasser souvent. Alors se ramasser devant 200 ou 300 personnes pas grave, on corrige le tir, mais se ramasser devant trois millions de personnes, ça ne pardonne pas!

Je doute qu’aujourd’hui Piaf ou Brel, avec leurs caractères, aient eu une chance de réussir. Brassens non plus, ne serait jamais rentré dans les cases. Même Johnny ne se serait peut-être pas plié à ce système bidon. C’est pour cela que j’ai toujours refusé de participer à toutes ces émissions télé de sélection.

Vous avez eu sept enfants, comment avez-vous concilié votre carrière avec une famille nombreuse?
Mes trois premiers enfants ont dû dérouiller par rapport à ma notoriété, du fait que j’étais sur les routes.

La dernière année où j’ai accepté de faire un maximum de spectacles, en 1977-1978, j’ai fait 197 dates. Après, j’ai arrêté, ma famille est devenue prioritaire. Et quand je regarde mon parcours, ce dont je suis le plus fier, ce sont mes enfants.


Daniel Guichard, tournée Jusque-là ça va.
Samedi 25 janvier, à 20h30. La Palestre, au Cannet. Tarifs: de 40 e à 55€.
www.lapalestre.eu

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