Camus et les mensonges français : un écrivain en quête de vérité

Albert Camus en 1957 ©AFP - STF / AFP
Albert Camus en 1957 ©AFP - STF / AFP
Albert Camus en 1957 ©AFP - STF / AFP
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Aujourd'hui reconnu et célébré, l'écrivain, disparu il y a 60 ans, a pourtant été méprisé, voire haï de son vivant. Albert Camus n’a jamais transigé sur le choix de la liberté et le devoir de vérité, une position morale qui lui valut l’incompréhension de ses contemporains et l’épreuve de la solitude

Avec
  • Vincent Duclert Historien, chercheur titulaire à l'EHESS, inspecteur général de l'Éducation nationale, professeur associé à Sciences Po
  • Agnès Spiquel Professeure émérite de littérature française à l'Université de Valenciennes, spécialiste de l'oeuvre d'Albert Camus et présidente de la Société des études camusiennes.

"N’acceptez jamais que la liberté de l’esprit de la  personne, de la nation, soit mise en cause, même  provisoirement, même une seconde."  Albert Camus

On fête ce mois-ci le 60e anniversaire de la mort d’Albert Camus, et hommages et émissions se multiplient. Comme le fait remarquer Vincent Duclert dans son livre Camus. Des pays de liberté (Stock), l’auteur de L'étranger est aujourd’hui un passage obligé des discours politiques sur l’éthique. 

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Qu’est-ce que Camus a à nous dire aujourd’hui ? Après tout, même si l’on a vite  admis que Camus avait raison sur à peu près tout - et peut-être même justement pour ça - non seulement il n’a pas fait école, mais on l’a longtemps considéré avec une forme de condescendance. Une vie brève, une oeuvre fragile et inachevée, la réputation de n’être qu’un philosophe brouillon, voire un écrivain pour classes de terminales : de son vivant, déjà ce qu’il disait et  écrivait semblait trop simple, les choses devaient forcément être plus  compliquées. Bref, comme dit la phrase célèbre "Mieux valait avoir tort avec le génie Sartre que raison avec"... ce pied-noir d'Algérie venu des basses classes, qui passait pour arriviste, et dont les combats semblaient naïfs ou trop évidents pour mériter une  discussion sérieuse. 

Aujourd’hui cependant, n’est-ce pas la découverte de cette fragilité qui semble le rendre proche du grand public ? "N’acceptez jamais que la liberté de l’esprit de la  personne, de la nation, soit mise en cause, même  provisoirement, même une seconde." écrivait Camus. Et tout se passe  comme si, dans la France d’après Charlie Hebdo et des réseaux sociaux, cette fragilité de Camus faisait miroir de la nôtre, comme si, alors que  les discours politiques n’ont jamais eu si peu de poids, et qu’émergent, à gauche comme à droite, de nouvelles  radicalités prétextes à toutes sortes de nouvelles censures, l’appel de  Camus à la tenue morale résonnait avec une urgence neuve. 

Pour mieux saisir cette actualité d'Albert Camus, Marc Weitzmann s’entretient avec Vincent Duclert, historien, chercheur titulaire à l'EHESS, auteur de Camus. Des pays de liberté qui vient de paraître chez Stock, et avec Agnès Spiquel-Courdille, professeur émérite de l'université de Valenciennes et présidente de la Société des études camusiennes.

Vincent Duclert : En tant qu’écrivain, Camus était très sensible au fait que le nazisme avait perverti la langue. Lui-même était extrêmement soucieux de dénommer, de décrire, et je suis frappé par la qualité de précision dans ses Carnets, on voit bien comment une seule phrase peut faire surgir un monde d’émotions et de réflexions.

Mal nommer un objet c’est ajouter au malheur de ce monde. Albert Camus

Agnès Spiquel : Quand il prend la direction du journal Combat à partir de 1944, Camus consacre de très nombreux éditoriaux à la presse, à la nécessité de refonder un "dictionnaire", parce qu’il pense qu’un pays se définit par son langage, et que, parce que le nazisme et la collaboration ont prostitué les mots, que tout y était mensonge, il faut tout reprendre, réinventer une langue et que cette responsabilité incombe notamment à la presse. Dans son éditorial du 6 octobre 1944, il écrit : "Pour nous il n’y a qu’une guerre, celle de la vérité"

Vincent Duclert : Après l’expérience des camps et celle d’Hiroshima, la question qui taraude Albert Camus, c’est de savoir sur quelles valeurs peut-on fonder la pensée de l’impensable. Il va retenir des valeurs politiques, qui appartiennent à toute l’Europe, comme la liberté. Une deuxième valeur serait celle de la culture partagée, parce qu'il est aussi homme de théâtre. Et enfin, la dernière valeur à laquelle il s'attache est celle de l’expérience collective, qui permet d’écrire des récits. La force de Camus, c’est de réussir à incarner ces valeurs dans des récits comme La Peste et ainsi à les transmettre.

Si tu veux être philosophe, écris des romans. On ne pense que par images. Camus, Carnets, 1935

Agnès Spiquel : En effet, pour Camus, la pensée passe par l’écriture romanesque, par le récit, par la mise en scène de personnages, par le théâtre.

Vincent Duclert : Camus nous rappelle que la capacité de la réflexion à se saisir des grands enjeux contemporains, la pensée politique et son progrès, ne relèvent pas uniquement des philosophes ou des historiens mais qu’il faut également entendre les artistes, les écrivains, les peintres. Cette réflexion sur la part des artistes dans la pensée politique nous renvoie à l'importance de la création. Dans L’homme révolté, Camus défend l’idée que la création aide à comprendre la révolte de la liberté contre les révolutions qui elles basculent dans la tyrannie.

La Grande table
26 min

Musiques diffusées

  • Maxime Le Forestier, Les oiseaux de passage
  • Cookies 'N' beans, First we take Manhattan
  • Jenny Wilson, The Partisan

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