Six bonnes raisons de lire Balzac

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Six bonnes raisons de lire Balzac

Daguerréotype de Balzac en 1845
Daguerréotype de Balzac en 1845
© Getty - Louis Auguste Bisson/Apic

Pourquoi faut-il relire Balzac, l’auteur de La Comédie humaine ? Pour Eugène de Rastignac, Lucien de Rubempré, Vautrin, Jean-Joachim Goriot ou encore Eugénie Grandet ces personnages habités par les grandes structures qui gouvernent le monde ?

Et si c'était tout simplement pour Honoré de Balzac, lui-même, un homme de notre époque, obsédé par la célébrité, la reconnaissance et la recherche de l’amour. Balzac, notre frère humain, qui a accumulé les échecs, et qui paradoxalement, a réussi sa vie ?

Tour d’horizon des raisons de se plonger dans l’œuvre balzacienne dans l’émission Grand bien vous fasse d’Ali Rebeihi entouré de Titiou Lecoq (journaliste indépendante), Yves Gagneux (directeur de la Maison de Balzac ), Marie-Laure Zonszain (journaliste à Femme actuelle) et Joris Clerté (auteur de Vivre avec Balzac (ed Warum)) 

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Balzac aide à comprendre le monde dans lequel on vit

Titiou Lecoq : « Il y a un côté très politique et économique dans l’œuvre de Balzac. Il vit dans une société qui donne naissance à la nôtre : la monarchie de Juillet. C'est le moment où l'argent commence à avoir une sorte de valeur quasiment morale, où la notion de mérite apparaît. Mais c’est le mérite en fonction de la fortune familiale. Balzac l'a compris à l'époque. L’écrivain a vu que quelque chose de nouveau émergeait. Il a écrit dessus, et l’a analysé. Ce sont des choses qui ont un écho politique très fort avec aujourd’hui.  

Titiou Lecoq aujoute : « Si on reprend la vie de Rastignac dans La Comédie humaine à part qu’il ne termine pas Président de la République, parce qu’il n'y a pas de président à l'époque, on retrouve tout Emmanuel Macron : atteindre les sommets de la vie politique, le côté "provincial qui monte à Paris", la grande histoire d'amour avec une femme plus âgée et mariée, la petite bourgeoisie de province… Il y a aussi le milieu des affaires, puisque Rastignac y débute avant de passer à la politique. 

Je suis convaincue que Rastignac est une figure tellement importante en France, qu'il y a quelque chose qui a infusé dans l'inconscient collectif. C'est pourquoi, Emmanuel Macron, tout le monde l'a associé à Rastignac. Et il y a quelque chose de balzacien dans son élection. Balzac a encore une actualité immédiate, concrète. »  

Yves Gagneux : « C'est en Chine qu'il y a le plus grand nombre de lecteurs de Balzac. Ils sont des millions de fans d’Eugénie Grandet. Cela me fait rire parce que le père Grandet, ce paysan, ils en ont des millions de leur campagne ! 

Le conservateur de la maison de l’écrivain ajoute : « Balzac a créé un outil pour analyser la société.

Le modèle de Balzac, ce sont moins des écrivains que des naturalistes.

Notamment ceux qui ont proposé les premières classifications animales. Balzac va essayer de proposer une classification des espèces sociales. C'est pour ça d'ailleurs qu'il est tellement lu à l'étranger. Si les étrangers se passionnent pour ses livres ce n'est pas pour la France de la monarchie de Juillet. Mais plutôt parce qu'il y a cet outil qu’ils appliquent à leur propre monde, ils ont les clefs du monde dans lequel ils vivent. »

Ce qui était valable en France au XIXe siècle reste valable en France ou à l’étranger aujourd'hui et demain. 

Joris Clerté  : « Balzac a un rapport à la sociologie structuraliste des années 1960/1970. J'ai beaucoup lu sur Balzac. Ce qui m'intéressait, ce n'était pas tant les personnages que plutôt comment Balzac utilisait le Code civil fraîchement pondu au début du XIXème siècle comme nœud dramatique pour y plonger ses personnages. Par exemple, Eugénie Grandet, est cette jeune fille dont la mère est en train de mourir. Son père qui est un avare, un peu à la Molière, se rend compte que si sa femme meurt, c'est sa fille qui va hériter. Et ça le met dans un état ! Et tout ça parce que Le Code civil donne tous les droits à Eugénie parce qu’elle est majeure. » 

L’un des premiers écrivains à voir la souffrance qui est imposée aux femmes

Titiou Lecoq : « Ses livres La Physiologie du mariage et La femme de 30 ans sont des livres révolutionnaires très importants pour la cause des femmes. 

En littérature, c'est le premier qui parle des femmes telles qu'elles vivent, telles qu'elles sont, et pas des espèces de fantasmes éthérées de jeunes filles de 20 ans imaginées par des messieurs qui en ont 40.

Et lui, est entouré de femmes. Sa meilleure amie est une femme. Il a des très bons rapports avec toutes ses maîtresses, même quand les histoires sont finies. Il voit comment elles vivent. Il voit surtout que les femmes souffrent, notamment de violences sexuelles. 

Et il écrit au début du XIXe siècle : « Ne commencez jamais un mariage par un viol ! »

Écrire ça à une époque où l'idée de devoir conjugal est très prégnante, où il ne peut pas y avoir de viol dans un mariage dans la société française. Lui, va encore plus loin : il dit que de ces mariages naissent des enfants, donc des enfants nés d'un viol. Et s’interroge : « Quels sont les rapports d'une mère avec son enfant qu'elle a eu dans ces circonstances-là ? ». 

Il ne faut pas non plus en faire la Virginie Despentes de La monarchie de Juillet ! Il pense que fondamentalement, hommes et femmes sont différents et doivent être assignés à des tâches différentes. Et c'est un des meilleurs amis de George Sand. Mais il pense que c'est plus vraiment une femme, George Sand, parce qu'elle se met à écrire et que ça, c'est un truc d'hommes. 

Yves Cagneux : « Balzac va loin. Non seulement il explique qu'il ne faut pas commencer le mariage par un viol à une époque où, il faut le rappeler les jeunes femmes de bonnes familles sont enfermées dans des couvents où on leur apprend tout, sauf à réfléchir. Une époque où les hommes célibataires de 40 ou 50 ans font leur marché. On se met d’accord sur la dot, on envoie le notaire et la gamine se retrouve dans le lit d'un vieillard qui la viole.

Balzac avait même préconisé le mariage à l'essai : que la jeune fille puisse tester son futur mari au lit pour voir s'il y a une union des sexes avant le mariage.

A une époque où la virginité est sacro-sainte, c'est impensable ! Évidemment, il le fait sous une forme bouffonne parce qu’il n'y a que comme ça que ça peut passer ! »

Balzac est rassurant et attachant

Joris Clerté : « Balzac est extrêmement rassurant. Selon moi, Balzac est une grosse éponge. Il a tellement écrit, que vous entrez en communion avec lui : quand vous ouvrez un nouveau roman, vous en connaissez déjà des éléments. Vous commencez à connaître ses défauts aussi. Comme les amis, on les aime aussi pour leurs défaillances. J'ai commencé par La comédie humaine. Et plus ça allait, plus je rentrais dedans et plus c'était facile de lire. » 

Titiou Lecoq : « Je l’aime pour ses défauts. Il était menteur. Ça m'a beaucoup amusé lors de mes recherches de comparer les vraies données biographiques et comment il écrivait sa vie, selon ses interlocutrices. Il mentait comme un arracheur de dents, avec une mauvaise foi, une vantardise… Il a un côté tape à l'œil et il prend trop de place. Balzac aurait pu être mon ami, mais il m'aurait exaspéré. Toutes les décisions qu'il prend n'ont aucun sens… 

Après, il y a aussi comment lui se positionne dans cette société. Et cela fait partie de son charme. Dans ses romans, il est critique sur la société dans laquelle il vit, il dénonce le règne de l'argent, du luxe… 

Et dans sa vie personnelle. Il dit vouloir être riche, et nous explique que la vie est mieux quand on a de l'argent. Il a toujours ce paradoxe permanent et fascinant. »

Yves Gagneux : « George Sand tient sur Balzac les mêmes propos, elle ajoute le mot fanfaron, peut-être, mais sinon elle l'adore. » 

Balzac peut redonner confiance et émanciper

Titiou Lecoq : « La question de l'émancipation, que l’on trouve aussi chez Simone de Beauvoir dans Les Mémoires d'une jeune fille rangée existe dans La comédie humaine. Il y a toujours cette question vont-ils s'émanciper de leur classe sociale, de leurs passions ? 

Et en plus, il propose des personnages de femmes comme on n'en avait jamais lu avant. La cousine Bette est un personnage monstrueux parce que c'est vraiment sans doute la personne la plus méchante du monde. Mais d’en faire, l'héroïne d'un roman, c'était fou ! »

Yves Cagneux : « Balzac n'est pas quelqu'un qui se complaît dans sa dépression. Il faut quand même rappeler que le premier échec retentissant de Balzac, c'est l'écriture. Le jeune Balzac s'enferme deux ans dans une mansarde. Il vit près de La Bastille, il est très mal logé et très mal nourri. Il a chaud en été, il crève de froid en hiver. 

A l'issue de ses deux ans, il va sortir une pièce en alexandrins de cinq actes : c'est illisible, monstrueux, et mal écrit. Il fait lire ses écrits à un académicien qui lui dit : Faites ce que vous voulez, mais arrêtez d'écrire, n'y pensez pas ! Il va travailler, travailler, travailler. Et c'est ce travail qui va lui permettre de devenir le grand écrivain que l’on connait aujourd’hui. »

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Balzac, c’est moderne

Joris Clerté : « Pierre Barbéris, qui était un grand spécialiste de Balzac, qui disait que La comédie humaine, ce n'est pas l'histoire de personnages dans un monde. C'est l'histoire d'un monde dans lequel évoluent des personnages. »

Titiou Lecoq : « Tous les personnages de Balzac ont en dehors des traits de caractère, une forme de passion. Ils sont dévorés de l'intérieur par quelque chose. Ça peut être la passion de l'argent. Ça peut être juste l'amour pour ses filles dans le cas du Père Goriot… Le côté caractère crédible ou pas, on s'en fiche un peu. Ce qui est important, c'est la force et l'énergie qu'ils ont chacun derrière. 

Marie-Laure Zonszain : « Il est très contemporain dans sa manière de vivre. Mais aujourd'hui, on pourrait le répliquer à l'infini. C'est un « slasher »,  comme on dit aujourd'hui : il exerce plusieurs métiers en même temps. C'est un « startupeur », il lance plein de choses, il a plein d'idées. Il veut vendre des produits en circuit court. Il imagine même une épicerie tenue par des célébrités…»

Il parle de l’Homme aux hommes

Yves Gagneux : « Il faut relire Balzac parce qu’il parle de l'Homme. Il en parle sous tous les angles. De toutes les façons, on trouve tout chez Balzac. C'est assez hallucinant. Ce sont ses lecteurs qui le disent. Ça vaut en Chine, au Brésil, au Japon. J'ai rencontré des gens dans ces pays-là dont la vie avait été transformée par la lecture de Balzac. Ce n'est pas rien ! » 

🎧 ÉCOUTER | Grand bien vous fasse sur Balzac

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