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Les responsables israéliens de la sécurité et les dirigeants arabes sont d’accord : le plan de Trump est un désastre

Le Shin Bet, l’armée israélienne et pratiquement tous les gouvernements arabes estiment que le plan de Trump pour le Moyen-Orient pourrait enflammer la région
Un portrait du roi jordanien Abdallah et de son père, le défunt roi Hussein, à côté d’une petite fille qui visite l’« île de la paix » du côté jordanien de la frontière avec Israël (Reuters)
Par Yossi Melman à TEL AVIV, Israël

D’un point de vue strictement sécuritaire, Israël, l’Autorité palestinienne (AP) et pratiquement tous les gouvernements arabes estiment que le plan de Trump pour le Moyen-Orient est mauvais et tellement dangereux qu’il pourrait enflammer la région.

Tout au long de la semaine, les responsables israéliens de la sécurité ont exprimé leur inquiétude croissante vis-à-vis du fait que, si le gouvernement de droite de Benyamin Netanyahou tenait sa promesse – soutenue par Donald Trump – d’annexer la vallée du Jourdain et les colonies juives, la Cisjordanie et la bande de Gaza pourraient exploser.

Au cours de réunions secrètes, des responsables du Shin Bet (l’agence de sécurité intérieure) et de l’armée israélienne ont tenté d’apaiser leurs homologues palestiniens, les exhortant à attendre et à ne pas prendre de décisions unilatérales précipitées.

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La plus grande inquiétude de la sécurité israélienne est que la direction de l’AP décide de cesser sa coopération en matière de sécurité avec les forces d’occupation israéliennes.

Les deux côtés bénéficient de cette coopération.

Les agences de sécurité israéliennes sont assistées par l’appareil de sécurité de l’AP pour surveiller, réduire et prévenir les attaques planifiées par le Hamas, tandis que le Shin Bet et l’armée israélienne s’efforcent de stopper les tentatives des responsables du Hamas de déstabiliser la Cisjordanie et de nuire à l’AP depuis Gaza.

Durant ces réunions, les responsables de la sécurité israélienne ont laissé entendre aux Palestiniens que même si le gouvernement de Netanyahou adoptait un projet de loi d’annexion, il y aurait tant d’obstacles juridiques, politiques et internationaux qu’il serait pratiquement impossible de mettre en œuvre cette décision avant les élections israéliennes, qui doivent être tenues dans un mois.  

En d’autres termes, les responsables de la sécurité israélienne, au cours de réunions secrètes et confidentielles, expriment des opinions venant contredire les déclarations publiques de leur propre gouvernement.

Mais parce qu’ils ne peuvent pas s’exprimer publiquement, le président de l’AP Mahmoud Abbas doit adhérer à la ligne du parti et exprimer sa colère et sa frustration vis-à-vis de l’annexion qui semble se profiler, répétant ses menaces de cesser la coopération en matière de sécurité.

Double discours

Le double discours des responsables israéliens et palestiniens fait écho aux positions des gouvernements arabes.

À travers le monde arabe, de Rabat au Caire et d’Oman à Bagdad, les dirigeants arabes partagent le même point de vue concernant l’occupation par Israël des territoires palestiniens : « Ne pas faire de vagues ! ». 

Tous, y compris Abbas, connaissent parfaitement la réalité sur le terrain. L’occupation israélienne, qui s’accompagne de confiscations de terres, de violations des droits de l’homme, d’arrestations et de la construction de colonies illégales, est une réalité.

Au fond d’eux, ils savent qu’après 53 ans, il est probablement impossible de faire marche arrière sur l’occupation. Par conséquent, ils se demandent pourquoi les Israéliens et Trump font des histoires ? Pourquoi ont-ils besoin d’une annexion de jure ? Pourquoi ne peuvent-ils se contenter d’une annexion de facto ?

Les dirigeants et gouvernements arabes tergiversent. Ils ne commentent pas, et lorsqu’ils le font, ils optent pour un discours faible qui ne les engage pas. Les ministres des Affaires étrangères de l’ensemble du monde arabe ont refusé l’invitation de Trump d’assister à la cérémonie de mardi à la Maison-Blanche. Seuls les ambassadeurs d’Oman, Bahreïn et des Émirats arabes unis étaient présents.

De Rabat au Caire et d’Oman à Bagdad, les dirigeants arabes partagent le même point de vue concernant l’occupation par Israël des territoires palestiniens : « Ne pas faire de vagues ! »

Depuis au moins vingt ans, la plupart des dirigeants arabes ont montré peu d’intérêt pour le conflit israélo-palestinien. Ils sont fatigués des rejets palestiniens, du manque d’intérêt d’Israël pour une paix sérieuse, et des cycles de violence.

Les gouvernements arabes ont d’autres problèmes plus graves à gérer : ils sont face à une agitation nationale au Liban et en Irak, à une guerre civile en Syrie et au Yémen, en plus d’un affrontement constant entre les États du Golfe et l’Iran.

Les pays du Golfe ont besoin d’Israël comme d’un bâton contre l’Iran. Leurs chefs des renseignements rencontrent fréquemment les chefs du Mossad. Ils font des affaires avec les sociétés israéliennes de haute technologie et d’informatique pour améliorer leurs capacités militaires et de défense contre Téhéran et ses intermédiaires. Les gadgets des renseignements israéliens sont également bien commodes pour espionner leurs propres citoyens.

Tant que les manifestations dans les rues contre le projet israélo-américain d’annexer de larges pans de la Cisjordanie n’échappent pas à tout contrôle, les gouvernements arabes apporteront un soutien de façade à la cause palestinienne.

Mais s’il survenait une escalade majeure et violente en conséquence des plans et actes israéliens, alors les dirigeants arabes, craignant leurs propres populations résolument pro-palestiniennes, n’auraient d’autre choix que de prendre des mesures plus dures contre Israël.

La Jordanie piégée

Les relations les plus sensibles sont avec le Royaume hachémite de Jordanie. Le trône du roi Abdallah est déjà très précaire. La plupart de ses citoyens sont des Palestiniens, la crise économique s’aggrave et les difficultés liées à l’absorption et au traitement de tant de réfugiés syriens augmentent de jour en jour.

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Si maintenant, venant s’ajouter à tout cela, Israël annexe la vallée du Jourdain, qui est la frontière entre Israël, la Cisjordanie et le royaume, les répercussions pour le roi pourraient être insoutenables.

Le roi Abdallah et les responsables de l’armée et du renseignement jordaniens savent qu’Israël est leur allié stratégique le plus important. Les deux pays ont passé des décennies à partager des informations, à mener des exercices militaires conjoints et à s’entraider pour maintenir le Hamas, le Hezbollah et l’État islamique à distance.

La Jordanie pourrait se retrouver piégée. Elle ne peut pas se permettre de ne pas avoir Israël comme allié, mais d’un autre côté, l’annexion israélienne ne peut rester impunie.

Dans l’ensemble, la moitié des Israéliens, y compris les chefs de la sécurité, ainsi que l’AP et les dirigeants arabes, espèrent que Netanyahou sera d’une façon ou d’une autre empêché pour quelque raison que ce soit d’annexer les terres, laissant en place le statu quo et l’annexion de facto – au moins jusqu’aux élections du 2 mars.

Ensuite, peut-être, Netanyahou, qui est inculpé pour corruption, pourrait perdre les élections, et même Trump aussi peut-être en novembre.

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

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