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Malgré les efforts, les start-up restent un terrain de jeu éminemment masculin

ANALYSE. En 2019, huit jeunes pousses sur dix étaient fondées par un homme. Et le taux de capitaux levés par les femmes demeure dérisoire. Seul un véritable changement d’état d’esprit permettra d’inverser la tendance

A la tête de la société Cutiss, Daniela Marino fait partie des cent femmes qui dirigaient une start-up en Suisse en 2019, selon le site Startupticker.ch  — © Dominic Buettner pour Le Temps
A la tête de la société Cutiss, Daniela Marino fait partie des cent femmes qui dirigaient une start-up en Suisse en 2019, selon le site Startupticker.ch  — © Dominic Buettner pour Le Temps

Faut-il une nouvelle fois enfoncer le clou? Le monde des start-up demeure un milieu résolument masculin. Plus précisément masculin, jeune et monocolore. Et sans surprise, le portrait-robot du créateur type de start-up a peu varié en 2019. Selon la société américaine Crunchbase, qui recense les investissements réalisés dans ce type d’entreprise, seules deux sociétés fondées sur dix l’ont été par une femme. La bonne nouvelle, c’est que ce nombre a doublé en dix ans; la mauvaise, c’est qu’il reste très bas.

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92 dollars sur 100 levés par des hommes

Bien plus préoccupante encore, la difficulté que rencontrent les femmes à convaincre les investisseurs. Basé à Londres, le fonds de capital-risque Atomico a ainsi réalisé l’an dernier un sondage auprès de 1200 start-up européennes pour son rapport annuel sur la situation technologique du Vieux-Continent. Son constat est implacable: en 2019, 92 dollars levés sur 100 l’ont été par des hommes. Pendant le même temps, les représentantes du sexe que l’on doit se résoudre – uniquement dans ce contexte – à désigner comme faible réussissaient à lever 40 centimes, le reste allant à des équipes mixtes.

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Selon le même rapport, entre 2015 et 2019, seules 2% des levées de fonds ont été réalisées par des équipes complètement féminines, contre 86% par le sexe opposé. Signalons au passage que, contrairement à une idée reçue, les pays du sud de l’Europe, Espagne, Italie et Portugal, se montrent légèrement meilleurs élèves dans le domaine que le reste du continent.

Déjà peu nombreuses au départ, les femmes se trouvent ensuite donc largement discriminées dans leur lutte pour décrocher un financement. Parmi les arguments brandis pour expliquer une telle disparité, on cite des réseaux moins développés et une aisance moindre dans les négociations – cruciales – visant à lever des fonds. Une manière détournée de signifier que le monde des start-up est un univers fait par des hommes pour des hommes.

Les femmes plus rentables

Pourtant, la pertinence d’inclure plus largement les femmes dans le monde de l’entrepreneuriat suscite un consensus assez large. En 2018, le cabinet américain Boston Consulting a par exemple analysé les performances financières de 350 entreprises, dont 92 fondées par des femmes. Résultat: tandis que ces dernières généraient 78 centimes par dollar investi, les sociétés qui se trouvaient en mains masculines n’en rapportaient que 31. Parmi les facteurs explicatifs évoqués, une plus grande aptitude féminine à la remise en question et une moins grande avidité financière lors des recherches de financement.

La prise de conscience ne date pas d’hier et des femmes ont pris leur destin en main. Parti de la Silicon Valley, un mouvement de création de fonds de capital-risque féminins a vu le jour. Melinda Gates a par exemple alloué il y a deux ans 300 millions de dollars à un tel véhicule d’investissement. L’épouse du fondateur de Microsoft vient de remettre ça. Elle a annoncé libérer 50 millions de dollars pour stimuler le même modèle dans d’autres régions américaines que San Francisco et New York.

En Europe, des initiatives similaires fleurissent aussi, même s’il est plus difficile d’obtenir une image homogène de ce paysage. Le site spécialisé Crunchbase recense une centaine de fonds lancés par des femmes, tous ne s’adressant pas exclusivement à ce public.

A la recherche des modèles féminins

Depuis quelques années, beaucoup de femmes entrepreneurs – un mot qui ne se décline toujours qu’au masculin – expérimentées montent aussi au créneau pour inspirer leurs pairs, les inciter à crever le fameux plafond de verre. Evénements spécifiques, réseaux exclusivement féminins, prix réservés à ce secteur… tout est entrepris pour stimuler la fibre entrepreneuriale de celles qui forment une bonne moitié de la population sur terre.

Malheureusement, l’émulation reste bien trop lente. Peut-être parce qu’il manque encore des modèles forts dans lesquels une grande partie des femmes pourraient se reconnaître. Aux Etats-Unis, Sheryl Sandberg, directrice des opérations du réseau social Facebook, a endossé ce rôle avec un certain succès. Mais l’Europe cherche encore ses icônes.

Il faut pourtant qu’après la prise de conscience vienne le temps de la prise en compte des femmes dans un monde qui aime à se qualifier de progressiste. Les milieux de l’innovation ont su créer des accélérateurs d’innovation. Aujourd’hui, l’économie a urgemment besoin d’accélérateurs de diversification.