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Pourquoi la France suspend la taxe GAFA

La France s'en remet désormais à l'avancée des négociations internationales pour répondre à la problématique de la taxation des géants numériques. Ici, le ministre de l'Économie Bruno Le Maire, à Davos (Suisse), fin janvier. Fabrice Coffrini / AFP

La taxe GAFA (Google, Amazon, Facebook, Apple) a du plomb dans l’aile… Fin janvier, en marge du sommet économique de Davos (Suisse), la France, a proposé de suspendre pour 2020 le paiement des acomptes dus au titre de la « taxe sur les revenus numériques » adoptée le 11 juillet 2019 dernier par le parlement.

À en croire le ministre de l’Économie et des Finances Bruno Le Maire, cette taxe n’est pas définitivement enterrée : son application n’est que différée à décembre 2020. C’est en effet à cette échéance-là que les 137 pays qui négocient actuellement sous l’égide de l’OCDE en matière de fiscalité internationale espèrent trouver un « terrain d’entente ».

Comment analyser ce qui s’apparente à une reculade de la France ? Cette mesure aurait en effet permis de récupérer environ 500 millions d’euros de recettes pour le fisc français tous les ans ? D’autant plus que les services de Bercy en avaient déjà collecté environ 280 à la fin novembre 2019 !

La première explication réside sans doute dans les pressions américaines. La taxe GAFA a encore dernièrement fait l’objet de nombreuses attaques frontales, notamment du président des États-Unis Donald Trump, lors du dernier Forum économique mondial de Davos.

Pouvoir de nuisance

Ce dernier, très remonté contre cette taxe, a formulé des menaces explicites de représailles commerciales sur les vins français, mais aussi sur les voitures en Allemagne ou le parmesan en Italie, deux pays qui envisageaient d’adopter une taxe similaire.

Face à ces intimidations, les alliés européens de la France ne montrent pas beaucoup d’enthousiasme pour affronter le président Trump… Ses partenaires ne montrent pas non plus une grande motivation pour affronter les entreprises concernées qui menacent de délocaliser leurs activités, de répercuter le montant de la taxe sur leur prix (comme Amazon), voire de contre-attaquer avec leur propre cryptomonnaie (à l’image du projet libra de Facebook, Booking et Uber réunis au sein de la Libra Association).

Le président des États-Unis Donald Trump s’est une nouvelle fois montré très remonté contre la taxe GAFA lors de sa venue à Davos, fin janvier. Jim Watson/AFP

En conséquence, la France se retrouve dans une position de plus en plus isolée. En outre, des voix s’élèvent également dans le pays contre le non-sens ou contre l’imperfection de cette taxe. La Cour des comptes regrette ainsi que la France avance « à l aveugle », et certains économistes pensent qu’elle coûtera beaucoup d’argent en futures déductions fiscales ! De plus, d’après certains fiscalistes, il peut être compliqué à la fois de la calculer et de la recouvrer. Autrement dit, il devient urgent d’attendre !

L’isolement de la France face aux GAFA montre également qu’il ne s’agit pas là de cibler des entreprises lambda, mais plutôt des géants dont les alliés, la force de frappe et le pouvoir de nuisance ne sont surtout pas à sous-estimer.

L’idée de la mesure française, qui part du constat que les géants du numérique sont, en Europe et en moyenne, deux fois moins imposés que les entreprises de type traditionnel, est de taxer à hauteur de 3 % du chiffre d’affaires les prestations de services numériques (mise en relation, ciblage publicitaire, etc.) qui seraient effectuées depuis la France. Elle devait concerner les entreprises dont l’activité consiste soit à vendre de la publicité ciblée en ligne, soit à vendre des données personnelles à des fins publicitaires, soit à proposer des plates-formes d’intermédiation.

Un rapport de force défavorable aux États

Ces trois activités sont justement au cœur des modèles d’affaire des Google, Amazon, Facebook et autre Apple qui en devenaient donc la cible principale. C’est pourquoi cette taxe fut d’ailleurs joliment nommée taxe GAFA. Nous soulignons que le « M » de Microsoft aurait également pu être concerné par cette taxe qui serait ainsi devenue GAFAM, même si l’ex-entreprise de Bill Gates est encore trop connectée aux pratiques de l’« ancien monde » pour être assimilée aux quatre autres !

Au regard des menaces formulées par ces entreprises concernées, comme la répercussion de la taxe sur les prix, on comprend donc que ces entreprises ne craignent pas le rapport de force avec l’État français seul.

Nous attendrons donc la fin de l’année 2020 pour voir si les négociations menées au niveau mondial via l’OCDE, avec les Européens et les Américains – auront pu prendre le relais d’une France bien trop isolée. Bruno Le Maire a déjà salué la tenue de ces discussions. « Tous les efforts doivent être faits pour parvenir à un accord ambitieux sur la fiscalité numérique et la fiscalité minimale d’ici la fin de l’année 2020 », a-t-il déclaré dans un communiqué le 31 janvier dernier.

La France peut certes se targuer d’avoir été à l’initiative de ces négociations globalisées en déployant – et en votant – sa taxe GAFA. Néanmoins, la France doit reconnaître à présent à la fois son isolement et sa vulnérabilité.

Face à la prédation des GAFA, Paris semble donc aujourd’hui se résoudre à une réponse internationale, comme un symbole de la toute-puissance acquise par ces acteurs face aux États.

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