Du blé en hiver, comment l’URSS a rêvé une agriculture révolutionnaire

De gauche à droite : Nikolaï Vavilov et Trofim Lyssenko - ARTE
De gauche à droite : Nikolaï Vavilov et Trofim Lyssenko - ARTE
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Aujourd’hui dans le Journal de l’Histoire, quand la politique tente de défier les saisons.

Un des grands défis pour la Russie communiste après la révolution de 1917 c’est d’abolir la faim. Nourrir le peuple devient un enjeu majeur, une promesse d’égalité calorique, le plus bel exemple de réussite à atteindre contre l’ordre tsariste. C’est le sujet du documentaire de Gulya Mirzoeva : Le savant, l’imposteur et Staline, comment nourrir le peuple, disponible dès aujourd’hui sur la plateforme d’Arte. 

Une guerre contre la faim, entre science et idéologie

Cette quête pour l’abolition de la faim est dominée par deux figures marquantes : Trofim Lyssenko, le Raspoutine agricole, et Nikolaï Vavilov, célèbre botaniste qui s’apprêtent tous deux à se livrer une bataille feutrée, suivie d’une guerre à mort, entre science et idéologie. 

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Polyglotte, botaniste de renommée internationale, Nikolaï Vavilov fait disparaître temporairement les soupçons qui pèsent sur ses origines bourgeoises en mettant, avec une ferveur sincère, sa science au service du nouveau régime. Il met au point un ambitieux programme - digne du prestige socialiste - d'une banque mondiale des semences pour en comprendre la génétique et trouver la solution aux pénuries alimentaires de l’immense territoire russe. Vavilov est chercheur, et la recherche prend du temps, un temps long dont le pouvoir ne dispose pas vraiment. Lénine l’envoie aux Etats-Unis pour acheter du blé et visiter quelques laboratoires pour profiter des avancées de la génétique des plantes, une révolution émergente très prometteuse. 

En 1932, une nouvelle famine fait 6 à 8 millions de morts, une famine largement redevable de l’échec de la collectivisation forcée imposée par Staline, désormais au pouvoir. Les scientifiques sont incriminés et jugés en tant qu’ennemis du peuple. Vavilov est épargné, protégé par sa célébrité qui agace pourtant prodigieusement Staline. Car Staline a trouvé une nouvelle figure de proue prometteuse pour son combat contre la faim : Trofim Lyssenko, un paysan formé à l’agronomie dans les écoles du régime.

Un échec arboricole cuisant

Lyssenko est le champion du boniment agricole, il promet de transformer immédiatement la Sibérie en Beauce, de faire pousser du blé en toute saison.  S'il ne parvient jamais à démontrer ses promesses révolutionnaires, il adopte un discours conforme à l’idéologie du régime en accusant tous les ennemis de classes de provoquer ces famines trop régulières. Le débat scientifique épouse le discours politique et pendant que Vavilov meurt de faim et d’épuisement dans une prison des confins, Lyssenko atteint l’apogée de sa théorie agricole socialiste : tout comme l’homme, les plantes sont influencées par le milieu dans lequel elles poussent, et ses discours constituent le meilleur engrais pour des récoltes qu’on ne verra jamais. 

Toute expérience génétique est désormais condamnée en tant que science bourgeoise (quel est ce gène que l’on n’a jamais vu ?). Et sur sa lancée, Staline élabore un grand « plan de modification de la nature » aux résultats catastrophiques : les millions d’arbres plantés pour combattre la sécheresse des steppes meurent systématiquement, le plan est un échec arboricole cuisant. Après la mort de Staline, Lyssenko tombe lentement mais sûrement en disgrâce... mais trop tard pour sauver l’agriculture soviétique.

par Anaïs Kien 

Pour plus d'informations : Le Savant, l'imposteur et Staline : comment nourrir le peuple, de Gulya Mirzoeva, 2017, disponible sur Arte.tv

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