Perpignan est enlisée depuis des années dans une pauvreté dont le taux atteint aujourd'hui 32%, l'un des plus élevés en France. Avec un taux de chômage record, un centre-ville délaissé et neuf des dix quartiers prioritaires des Pyrénées-Orientales. Enquête à l'occasion des élections municipales.
À Perpignan, ville de 122 000 habitants, la pauvreté se voit avant tout sur les murs. Dans le centre ancien, derrière les trottoirs en marbre et les rues commerçantes, se cache un dédale de ruelles d'immeubles délabrés. Fissures, fenêtres condamnées, moisissures, déchets... Dans le centre, les quartiers comme Saint-Mathieu et Saint-Jacques sont particulièrement concernés.
Le reportage à Perpignan de Laura Dulieu
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"Perpignan devrait être une ville pilote, elle est abandonnée"
Ségolène Neuville, médecin hospitalier, ancienne secrétaire d'Etat, ancienne députée et actuellement élue (Parti socialiste) au Conseil départemental des Pyrénées-Orientales, connaît bien ces quartiers. Selon elle, le manque de mixité sociale à Perpignan les enlise dans leur précarité.
Jamais vous n'imaginez que des classes moyennes ou supérieures aient envie de venir s'installer ici. Donc vous créez des ghettos de la pauvreté. C'est ce qui s'est passé à Perpignan.
Ségolène Neuville
Selon le politologue et sociologue Dominique Sistach, maître de conférence à l'université Via Domitia de Perpignan et invité du journal de 12h30 sur France Culture, "la ville a atteint _son apogée et le début de son déclin à la naissance de la cinquième République, avec l'élection de Paul Alduy__. La ville a connu de plein choc tous les effets de crise qu'ont connu la France et l'Europe à ce moment-là."_ Le sociologue dresse un constat sévère des pouvoirs nationaux et locaux : "Ce département s'est retrouvé un peu oublié, abandonné, des élus nationaux, de la République et de l'Etat. De manière conjuguée, les élus locaux se sont acharnés dans cette culture du non développement, du paupérisme, qui étaient en même temps pour eux une rente électorale, mais qui a été suffisamment impactante dans la durée et, à répétition, cela a abouti au résultat actuel." Le sociologue parle même de "clientélisme local, argumenté avec une mise en avant des communautés et un communautarisme politique".
Dominique Sistach : "Perpignan devrait être une ville pilote, elle est abandonnée"
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Une pauvreté concentrée en centre-ville
Cette pauvreté se cristallise encore plus dans le quartier Saint-Jacques, connu pour être habité notamment par la communauté gitane. À Saint-Jacques, 40% des logements sont inoccupés : la mairie a lancé un vaste plan de réhabilitation, aujourd'hui au point mort à cause d'un conflit avec les habitants. Parmi eux, Alain Gimenez accuse le maire de vouloir détruire leur quartier et les reloger ailleurs, ce qu'ils refusent catégoriquement. Selon lui, "le quartier pauvre, c'est eux qui le font. Ils nous pressent pour qu'on vende les maisons et qu'on s'en aille. Mais on ne partira pas." Dans le quartier, le taux de chômage atteint 83%, selon les chiffres de l'Insee, contre 23% pour tout Perpignan.
Résultat, le centre de la ville est délaissé, comme l'explique Dominique Sistach : "Perpignan se vide progressivement au profit de l'aire urbaine, de manière beaucoup plus accrue que dans les villes moyennes du grand Sud et Sud-est de la France. On a un abandon du centre ville, à raison de la situation sociale, économique, et du paupérisme visible. De ce que l'on appelle, de manière un peu syncrétique, l'insécurité à Perpignan."
Cette ville, qui devrait être pilote, qui devrait avoir un projet, est en fait abandonnée. De manière spectaculaire, on a une aire vide au centre d'une aire urbaine qui elle est pleine. C'est tout à fait singulier à l'analyse.
Dominique Sistach
Mais toujours selon le spécialiste de la région, "les frontières [entre les quartiers aisés et pauvres] sont des lignes de fracture qui ne sont pas neutres, elles sont entretenues, utilisées. Elles font partie d'un vrai ressort électoral à Perpignan".
L'emploi au cœur de la campagne
L'emploi est donc au cœur de la campagne pour les candidats à la mairie. Parmi eux, le député Rassemblement national Louis Aliot, qui se présente pour la troisième fois, cette année sans étiquette. Arrivé en tête en 2014, il avait perdu au second tour face à un "front républicain". Pour lui, le manque d'emploi est la première cause de pauvreté à Perpignan. "Il n'y a pas d'emploi, pas d'entreprise nouvelle qui s'installe. Il y a un microcosme local qui se trouve assez bien dans la misère. On a l'impression que les pouvoirs publics ont démissionné."
Une attaque non dissimulée envers le maire sortant Jean-Marc Pujol (Les Républicains), qui a annoncé briguer un troisième mandat. Ce dernier se défend d'avoir toutes les responsabilités, arguant que la municipalité n'a pas la main sur les aides sociales : "Aujourd'hui, il y a trop peu de différence entre un emploi salarié au salaire minimum et les aides sociales. Donc il n'y a pas d'incitation à accepter des conditions de travail, il faut dire les choses comme elles sont." Selon lui, les employeurs du secteur ne trouvent pas de candidats. Pourtant, selon l'édile, tout repose sur les entreprises privées : "Comme aujourd'hui les collectivités ont des baisses de dotations considérables, ce ne sont plus les collectivités ou l'Etat qui permettront l'emploi. Le salut viendra des entreprises privées."
Pour Timéa Tampon-Lajariatte, militante associative et membre de la liste L'Alternative Perpignan 2020, soutenue notamment par la France Insoumise et le Parti communiste, cette pauvreté enracinée est due à plusieurs facteurs : "Quand dans une ville, le premier employeur est la mairie, on se pose des questions en termes de développement".
"Quand dans une ville, le premier employeur est la mairie, on se pose des questions en termes de développement" Timéa Tampon-Lajariatte
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Mettre tous les partenaires autour de la table
La municipalité a quand même un rôle crucial à jouer, estime Romain Grau, député LREM qui brigue également la mairie : "La dépense en matière sociale est l'apanage de la Caisse d'allocations familiales, du conseil départemental, de la caisse primaire d'assurance maladie ou de l'Etat. La commune a le devoir de mettre tout le monde autour de la table." Une allusion au fait que municipalité et département sont très souvent en conflit en matière de politiques sociales, de logement ou de tourisme.
Pour autant, les acteurs du terrain sont bel et bien là. Parmi eux, Magali Fernandinho, qui dirige le centre social du Bas-Vernet, un autre quartier prioritaire de la politique de la ville. Elle explique que "malheureusement, il n'y a que la ville dans les quartiers. Parfois, on se sent seul. C'est vrai qu'on aimerait se mettre autour de la table avec d'autres partenaires et d'autres institutions, pour pouvoir vraiment répondre à toutes les problématiques du quartier". Elle ajoute également souffrir de la mauvaise image qui colle à ces quartiers :
Ce qui manque, c'est cette image, et pouvoir désenclaver le quartier sur l'extérieur. On ne peut pas dire qu'un quartier est dangereux juste en lisant les journaux. C'est tellement dommage alors qu'il y a tellement de choses qui s'y passent, avec une telle solidarité, que parfois on pourrait prendre exemple sur les quartiers prioritaires. Magali Fernandinho
D'autant que Perpignan regroupe neuf des dix quartiers prioritaires que comptent les Pyrénées-Orientales, selon l'Insee en juillet 2018, soit plus de 32 000 habitants à convaincre avant le scrutin de 2020. L'Insee qui indique que :
Quatre de ces quartiers font partie des quartiers prioritaires d’Occitanie les plus défavorisés : Quartier Bas-Vernet Ancien Zus, Rois de Majorque, Quartier Champs de Mars et Diagonale du Haut-Moyen-Vernet. Ces quartiers connaissent de fortes difficultés d’insertion sociale et professionnelle. À l’opposé, les quartiers prioritaires Quartier Gare, Bas-Vernet Nouveau QPV et Quartier Saint Assiscle sont plus épargnés avec un taux d’emploi plus élevé et une part d’emplois précaires plus faible. Les Quartier Nouveau Logis et Quartier Centre Ancien sont dans une situation intermédiaire.
L'autre quartier prioritaire du département se situe à Saint-Cyprien, alors que, au total, 7% de la population des Pyrénées-Orientales vit dans un quartier prioritaire.