Comment vivre parmi les autres ?

Moineau ©Getty - Adria  Photography
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Comment réapprendre à voir que le monde autour de nous est peuplé de vivant ? On en parle avec Baptiste Morizot, maître de conférences en philosophie à l'université d'Aix-Marseille et auteur de "Manières d'être vivant" (Actes Sud, 2020).

Avec
  • Baptiste Morizot Écrivain, philosophe et pisteur, maître de conférences à l’Université Aix-Marseille.

A l’annonce de la mort de David Kessler, directeur de France Culture de 2005 à 2008, une émission qui s’ouvre sur un hommage de Sandrine Treiner, actuelle directrice de France Culture, Blandine Masson, directrice de la fiction, et Marc Voinchet, ancien matinalier à France Culture, actuel directeur de France Musique, tous deux collaborateurs et amis de David Kessler.

Puis retour au vivant  qui nous entoure et à l'émerveillement : Baptiste Morizot, notre invité, est écrivain et maître de conférence en philosophie à l' université d'Aix-Marseille. Il consacre ses travaux aux relations entre l'humain et le vivant et valorise particulièrement la pratique de terrain, à commencer par le pistage : il s’est notamment beaucoup intéressé au loup, auquel il a fait la part belle dans son dernier essai, Pister les créatures fabuleuses (Bayard, 2019). 

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Le mot "émerveillement" a été repoussé dans un champ esthétique désengagé des problématiques faisant un monde commun. [...] Il s’agit d’accéder au prodige des autres formes de vie.              
(Baptiste Morizot)

Il revient désormais avec Manières d'être vivant (Actes Sud, 2020), où il montre que, désormais incapables de considérer le vivant autour de nous autrement que comme un décor à notre usage, il faut transformer nos manières de vivre et d’habiter en commun pour réapprendre, comme société, à voir que le monde est peuplé d’entités prodigieuses, des oiseaux aux espèces végétales ou bactériennes.

Notre tradition culturelle interprète un soir d’été à la campagne comme une situation bucolique, alors que c’est le lieu politique le plus riche qu’on puisse connaître, avec les oiseaux qui négocient, qui font des parades amoureuses... On entend cela comme le silence, alors que c’est un ensemble bruyant et bariolé.              
(Baptiste Morizot)

Cette crise de nos relations au vivant est aussi une crise de notre sensibilité, laquelle se caractérise par un appauvrissement de ce que nous pouvons sentir, percevoir, comprendre comme relations à l’égard du vivant. La tendance est aujourd’hui à l’infantilisation du rapport à l’animal - s’y intéresser reviendrait  à faire preuve de sensiblerie - et, de surcroît, la tradition anthropologique occidentale baigne dans un dualisme pour lequel l’Homme devrait dompter ses passions, associées à l’animalité, ou trouver en elle une sauvagerie authentique qui l’éloigne des conventions sociales.

"Manières d’être vivant" est une formule qui a vocation à faire sentir ce paradoxe fondateur qui est que nous partageons une ascendance commune. Nous le savons, mais nous ne le ressentons pas. […] Une fleur est littéralement un parent, et simultanément, c’est un Alien. Le grand enjeu est de pouvoir penser cette ascendance commune, ce partage, et cette différence prodigieuse.              
(Baptiste Morizot)

« Ce livre est un parcours qui essaie par mille voies de restituer l’épreuve de cette ascendance commune. (…) Les cultures animistes le savent et l’activent dans leur pratique. Nous, nous le savons mais nous n’en faisons rien.

En outre, la crise écologique serait une crise de l’attention politique : tenant compte du fait qu’habiter, c’est toujours cohabiter, il faudrait, pour changer la politique, transformer le champ de l’attention à ce qui importe. Cela impliquerai notamment d’en passer par la diplomatie des interdépendances, interdépendances étant à comprendre ici comme les tissages qui rendent possibles des formes de vie plus prospères et plus riches d’égards pour le monde vivant. Ne serait-ce que parce qu’il y a des significations partout dans le vivant, et la nécessité de les traduire, contre la croyance d’un l’humanisme tardif qui voudrait que nous soyons les seuls sujets libres dans un monde d’objets inertes. 

Il faut donc des interprètes pour traduire les comportements et relations qui tissent le vivant, et il y a toujours eu communication entre les espèces, nimbée de mystère, mais pas moins riche de sens.

La Grande table
28 min

Extraits sonores : 

  • Boris Presseq, botaniste au Muséum de Toulouse (BRUT, 17/11/2019)
  • Peter Wohlleben, "Le monde secret des arbres" ("Envoyé spécial", 07/03/2019)
  • Extrait de  "Man Vs Wild" (saison 2, épisode 5, l'Equateur)

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