Municipales 2020 : Anne Hidalgo et Emmanuel Macron, les raisons de la haine

Dans une longue enquête à lire dans le nouveau numéro de « Vanity Fair », la grand reporter Sophie des Déserts a exploré les différents visages d’Anne Hidalgo, dont celui de rivale d'Emmanuel Macron. La maire de Paris est-elle la meilleure ennemie du président de la République ?
Hidalgo Macron Cover
Blondet Eliot/ABACA

Il n'était que ministre de l’Économie, qu’elle l’appelait déjà « le traître » dans tout Paris. Cette inimitié entre la maire et l’ambitieux fondateur d’En Marche ! a commencé par une mauvaise rancune. Quand il était à Bercy, Emmanuel Macron avait promis à Anne Hidalgo « qu’il la laisserait définir les douze zones commerciales ouvertes le jour du Seigneur », dans le cadre de la fameuse loi sur le travail du dimanche. « L’édile humiliée a saisi le conseil constitutionnel, et gagné. C’était pour la forme car sur le fond, des arrêtés seront pris pour autoriser au maximum l’ouver­ture des commerces le dimanche. Elle n’a jamais digéré ce mauvais coup macronien », écrit la journaliste Sophie des Déserts.

Des amis communs, à l’instar de Xavier Niel, essaieront de les rabibocher. Mais Anne Hidalgo n’oublie jamais. Ce caractère rancunier, Myriam El Khomri en a fait les frais dans un autre contexte. Proche parmi les proches de la maire de Paris, elle avait été choisie par François Hollande pour devenir ministre du Travail, alors que Jean-Marc Germain, compagnon d’Hidalgo, avait candidaté à la fonction. « Suprême outrage. La jeune élue a été illico rayée du paysage. Plus un mot, plus un regard… »

Irréconciliables Macron et Hidalgo ? Cette dernière ne se cache même pas pour le critiquer. Comme dans une interview au Monde en janvier 2017 : « Il est l’incarnation de la reproduction sociale des élites. Je n’ai perçu dans son travail quotidien ni une modernité qui m’aurait éblouie ni un rapport à la démocratie qui me donne confiance », déclare-t-elle.

Si elle n’est pas séduite, la maire de Paris voit ses proches collaborateurs de plus en plus charmés par celui qui devient rapidement favori de la présidentielle de 2017. « Anne les voit bien, tous, jeunes et vieux camarades, revenir éblouis d’une rencontre avec Macron. Philippe Grangeon, le communicant qui a fait sa campagne en 2014, plonge et entraîne l’ami Jean-Louis Missika au QG d’En marche ! Panique, la maire de Paris explose. "Anne m’envoie un message pour me dire qu’elle est profondément déçue, se souvient Missika, l’œil bleu taquin, dans la pénombre de son bureau. Moi, je vois en Macron une réin­car­na­tion de Rocard ; elle, de Giscard... Alors, je lui propose naturellement ma démission. Elle la refuse." L’indis­pen­sable reste, sans renoncer à Macron, dont il devient, durant la campagne, l’un des porte-parole, chargé de l’innovation et du développement économique. D’autres le rejoignent, comme Pierre-Olivier Costa, le chef de cabinet d’Hidalgo, et Aurélien Lechevallier, son conseiller diplomatique. L’adjoint aux finances, Emmanuel Grégoire, est retenu in extremis », écrit Sophie des Déserts. Elle ne digère pas non plus la trahison de Bertrand Delanoë, son mentor et prédécesseur à l’Hôtel de Ville. Lui a annoncé, en direct sur France Inter, son ralliement au candidat d’En Marche ! Hidalgo tente de l’appeler pour l’en dissuader. Il ne répondra pas…

Alors, comme pour se venger, l’édile de Paris refuse que le nouveau président de la République fête sa victoire sur le Champ-de-Mars. Il se replie au Louvre, propriété de l’État. Elle refuse également d’assister à son investiture à l’Élysée, prétextant une audition inratable devant le Comité olympique.

Puis il y a ce discours du 17 mai 2017. Anne Hidalgo accueille le nouveau chef de l’État à l’Hôtel de Ville de Paris, dans sa « maison ». Elle compte alors ne pas mâcher ses mots, même si ses proches conseillers ont tenté d’adoucir sa prose. « Hidalgo donne une leçon à Jupiter, 19 minutes interminables, son action au C40 et à Paris, dans les moindres détails, jusqu’aux "ateliers périurbains et aux espaces de co-working". L’assemblée baille, Brigitte Macron hallucine. Enfin, Hidalgo en termine : "Paris n’a peur de rien." Au dernier moment, elle a renoncé à ajouter : " ni de personne ". Derrière les maladresses, perce la peur que tout s’effondre, En marche ! s’apprête à rafler quasiment tous les sièges des députés PS de Paris. Que lui restera-t-il dans ce nouveau monde ? Aujourd’hui, elle confesse du bout des lèvres : "Oui, ce fut un séisme. " À l’époque, elle se crispe en écoutant le discours présidentiel, ces mots brillants inspirés par Missika, avec – comble du supplice – un hommage pour sa gestion des attentats. "J’ai admiré la façon dont vous avez fait front pour incarner une ville debout", insiste Macron. C’est sa leçon à lui, de savoir-vivre. Le chef de l’État fend la foule, tête haute, blessé », écrit Sophie des Déserts. Le soir-même de cette première rencontre, Macron débauche un pilier de l’Hôtel de Ville, Anne de Bayser, pour l'installer à l’Élysée. Le guerre est déclarée.

Parmi les péripéties, il y a la fameuse « affaire des assistants parlementaires du MoDem au Parlement européen », qui affaiblit, dès son entrée au pouvoir, la Macronie. L’enquête aurait été déclenchée par le témoignage de Matthieu Lamarre, conseiller presse d’Hidalgo et ancien communicant du Modem à Bruxelles. La suite de l’histoire, on la connaît : François Bayrou, Sylvie Goulard et Marielle de Sarnez ont été contraints de démissionner du gouvernement. « La maire de Paris nie évidemment toute implication. Mais des proches se souviennent alors l’avoir vue se réjouir. À l’Élysée, personne ne la croit innocente, a minima la maire a poussé à la confession son collaborateur curieusement parti depuis pour un tour du monde. » Depuis la parution de l'article, Matthieu Lamarre nous a précisé du Cambodge qu’il n’a pas déclenché l’affaire des assistants du MoDem, mais qu’il a été contraint de se signaler auprès du procureur de la République, poussé par deux journalistes qui enquêtaient sur le dossier.

Une question se pose alors : Anne Hidalgo aurait-elle aimé être à la place d’Emmanuel Macron ? Elle aussi aurait pu rassembler, jusqu’au centre. Aurait-elle voulu être candidate à la présidentielle, comme certains lui ont soufflé ? « Non, jamais », répond la principale intéressée à Sophie des Déserts.

L’intégralité de l’enquête est à lire dans le nouveau numéro de Vanity Fair, en kiosques dès ce 5 février**