Discriminations à l'embauche : le gouvernement dévoile (prudemment) les noms de 7 entreprises épinglées

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Discriminations à l'embauche : le gouvernement dévoile (prudemment) les noms de 7 entreprises épinglées

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Dans 7 entreprises, les candidats présumés d'origine maghrébine ont 25% de chances en moins de recevoir une réponse.
Dans 7 entreprises, les candidats présumés d'origine maghrébine ont 25% de chances en moins de recevoir une réponse.
© Radio France - Xavier Demagny

France Inter vous révélait il y a un mois les résultats d'une vaste enquête de testing commandée par le gouvernement, mais que l'exécutif conservait jusqu'ici discrètement. Ses conclusions viennent d'être officiellement publiées, avec les noms des entreprises pointées du doigts par les chercheurs.

La liste est désormais publique même si l'exécutif le répète : il ne souhaite pas clouer au pilori ces entreprises. Elles sont 7 sur 40 à être citées comme présentant de fortes "présomptions de discrimination" : Air France, AccorHotels, Altran, Arkéma, Renault, Rexel et Sopra Stéria. 

Ces entreprises sont pointées du doigt pour leurs pratiques de recrutement à l'issue de la plus vaste étude jamais réalisée en France sur les discriminations à l'embauche. Une exigence de transparence voulue par le président de la République lors de son discours de Tourcoing en novembre 2017, dans lequel il promettait la mise en place prochaine de la pratique anglo-saxonne du "name and shame" (qu'on peut traduire en français par "montrer du doigt et couvrir de honte").

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Deux ans plus tard, ce sont donc 40 entreprises qui ont été testées, parmi les plus grandes sociétés françaises (SBF 120). Plus de 5 000 tests effectués pour le compte du gouvernement entre novembre 2018 et janvier 2019. Sous forme d'envois de candidatures et demandes d'informations - fictives - adressées à ces sociétés. A chaque fois, deux paires de CV ont été envoyées : profils identiques mais dans un cas avec un patronyme maghrébin, dans l'autre un patronyme d'origine française.

25% de chances en moins pour Khadija Belkacem que pour Laetitia Lefèvre

Résultat : l'étude, menée par une équipe de chercheurs de l'Université Paris-Est Marne-la-Vallée, "met en évidence au niveau de l'ensemble des entreprises une discrimination significative et robuste selon le critère de l'origine à l'encontre du candidat français présumé d'origine maghrébine". 

Les candidats présumés d'origine maghrébine ont 25% de chances en moins de recevoir une réponse, lors d'une candidature ou d'une demande d'information sur un poste, que les candidats présumés "franco-français". Dans une entreprise sur six ces différences de traitement sont plus importantes : 7 donc au total.

Parmi les entreprises qui apparaissent comme ayant des pratiques potentiellement discriminantes figurent deux entreprises dont l'État français est actionnaire : Air France et Renault. A noter que le groupe AccorHotels figure pour la troisième fois dans une liste de mauvais élèves en matière de discrimination à l'embauche après un premier testing de la Halde en 2008 et celui lancé par la ministre Myriam El Khomri en 2016. 

Une méthodologie fortement contestée par les entreprises citées et une gêne certaine de l'exécutif

Dans un communiqué commun, six des sept entreprises ont immédiatement souligné leur profond désaccord et leur indignation "face aux faiblesses manifestes de la méthodologie utilisée" qui aboutit, selon elles, à des "conclusions erronées". Ces sociétés pointent notamment du doigt l'utilisation de la méthode de testing par candidatures spontanées, alors, disent-elles, que leur processus de recrutement est très centralisé et passe par le service DRH. 

A l'image de Rexel qui "réfute toute accusation". "La seule chose que montre cette étude, affirme l'entreprise_, c'est qu'il y a encore chez nous des candidatures spontanées qui ne reçoivent pas de réponse_". "Les salariés d'Air France choqués", explique de son côté la compagnie aérienne, qui juge aussi la méthologie très contestable et rejette en bloc les résultats du testing.

Les salairés d'Air France sont choqués, en colère, dans l'incompréhension. Nous avons une politique active de lutte contre les inégalités de chances.

Ces critiques sont jugées en partie légitime par l'exécutif qui publie en préambule de l'étude une page d'avertissement, et affirme sa volonté de dresser une constat de l'état des discriminations à l'embauche en France, plutôt qu'une liste de bons points et de mauvais points. Il y a tout de même eu plusieurs mois d'échanges avec ces entreprises, pour voir comment faire évoluer les choses, explique-t-on de source gouvernementale. 

Cette contestation et ces vifs échanges au sujet de la méthodologie pourraient expliquer les neuf mois de retard pris dans la publication de cette étude, avant les informations que nous révélions il y a quelques semaines sur France Inter, confirme-t-on dans l'entourage de la ministre du travail.

Les associations veulent aller plus loin

Pour la Fédération Nationale des Maisons des Potes qui suit de près ce dossier, "le respect, même avec plusieurs mois de retard de l'engagement de transparence pris par le président de la République devant les associations des quartiers populaires il y a 2 ans et demi, est une excellente chose, car cela va mettre la pression sur ces sociétés, pour qu'elles passent à d'autres méthodes de recrutement". "Mais, ajoute son président Samuel Thomas, Emmanuel Macron avait aussi promis de mobiliser l'inspection du travail sur ces dossiers. Il faut maintenant le faire!

Cela va mettre la pression sur les entreprises pointées du doigt. C'est une grande satisfaction de voir que la promesse a été tenue.

L'association SOS Racisme annonce de son côté avoir signalé les faits au parquet de Paris et demande la mise en place d'une véritable politique de lutte contre les discriminations raciales, car explique-t-elle dans un communiqué : "au delà des chiffres ce sont des carrières et des parcours de vie brisés à cause du racisme". 

Quant au cabinet de recrutement Mozaïk RH spécialisé dans la diversité, son fondateur Saïd Hammouche pointe les avancées mais aussi "les résistances et le déni  toujours à l'oeuvre dans les grandes entreprises françaises. 

Ces résultats ne sont pas le fruit du hasard, malgré les critiques qui peuvent être formulées à l'encontre de la méthodologie du testing.

Une nouvelle vague de testing aura lieu en 2020, avec une méthodologie co-construite avec les entreprises, annonce l'éxécutif. 

Aucune nouvelle mesure de lutte contre les discriminations n'a été annoncée à l'occasion de cette publication, qui était attendue par les associations. Même si la secrétaire d'État Marlène Schiappa, en charge de ce dossier aux côtés du ministre de la Ville Julien Denormandie lançait ce jeudi une concertation pour aboutir d'ici quelques mois à une stratégie pour combattre l'ensemble des discriminations.

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