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«Moule à gaufre», «coqueluche»... Ces expressions étonnantes de la médecine

Les Aventures de Tintin: Le Secret de la Licorne, de Steven Spielberg, 2011. Rue des Archives/Rue des Archives/BCA

Le docteur Denis Milliès Lacroix recense les locutions capillotractées du corps médical dans son livre 200 drôles d'expressions qui ont du corps, (Le Robert). Un gai savoir aussi subtil que vital.

Le corps obsède les hommes depuis qu'ils sont en âge de parler. Et pas besoin de remonter aux peintures du Paléolithique pour le constater. Des Anciens jusqu'aux Modernes, la littérature offre un seul et même visage de nos pensées. «Corps sain dans un esprit sain», «tombeau de l'âme», «jardin à cultiver»... Hier comme aujourd'hui, nos expressions exposent notre monomanie. Une marotte dont le docteur Denis Milliès Lacroix a fait sa carotte.

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«Avoir bon dos», «peur bleue», «sang froid»... Le crayon comme scalpel, l'œil comme microscope, le professeur a disséqué ces expressions de notre quotidien dans un savant et savoureux ouvrage intitulé 200 drôles d'expressions qui ont du corps illustré par Aude Picault, (Le Robert). Le Figaro revient sur six d'entre elles.

● Un moule à gaufre

«Pirate!... Doryphore... Moule à gaufre!... Attends que je te déplume, espèce de chouette mal empaillée!» La formule signée le capitaine Haddock a marqué des générations de bédéphiles. Et pourtant cette injure aussi célèbre que son auteur, ne cache pas l'œuvre du dessinateur Hergé mais celle d'une maladie: la variole.

Alban Couturier

«À l'époque où la variole faisait des ravages, les malades qui en réchappaient avaient le corps couvert de cicatrices», raconte Denis Milliès Lacroix. Aussi marqués que creusés, les visages des patients étaient alors associés à des moules à gaufres. Une image confirmée par les Archives wallones de jadis, de naguère et d'à présent (1893): «[...] et l'on dit volontiers d'un grêlé qu'il a passé par le moule à gaufre.» De quoi, ne plus jamais regarder les gâteaux aux trous carrés de la même manière...

● Canuler quelqu'un

Pas question de gaufres ici! La canule caractérise «un petit tube que l'on utilise pour permettre l'injection de liquides ou le passage d'air dans un orifice naturel ou artificiel».... Dans les artères, les veines, le cœur mais aussi, on l'imagine, dans des endroits forts peu agréables. Au XIXe siècle, le mot s'employait d'ailleurs par euphémisme pour désigner un lavement.

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Lorsque la canule était introduite dans le corps du patient, il lui devenait compliqué, voire impossible, de bouger. Il devait donc attendre que celui qui «canulait» termine son travail pour enfin se mouvoir. C'est donc tout naturellement que l'expression «canuler quelqu'un» s'est transposée dans le langage quotidien pour qualifier une personne qui «tient la jambe à quelqu'un» et par extension, un individu qui «importune autrui par le même propos répété».

● Les Anglais ont débarqué

N'allez pas voir dans cette expression une référence au Débarquement. Car la locution, moins populaire que ses voisines: «avoir ses ragnagnas», «avoir ses ours», etc. , signifie «avoir ses règles». Toutefois, si la formule n'a rien à voir avec la Seconde Guerre mondiale, elle possède bien un pied dans l'imaginaire de la guerre.

BERNHARD WINKELMANN/Le Figaro Magazine

L'expression est née en 1815 rapporte Denis Milliès Lacroix, «au lendemain de la défaite des troupes napoléoniennes à Waterloo». Une référence, non pas au flot de sang qui fut versé pour que les Anglais puissent occuper la France jusqu'en 1820, mais à la couleur rouge de l'uniforme rouge de l'armée britannique. C'est ainsi que l'on associa, d'abord dans les parlers parisiens puis dans le reste de la France, le souvenir douloureux de cette invasion à celles des souffrances générées par les règles.

● Avoir les portugaises ensablées

Que viennent faire cette fois-ci les Portugais dans notre corps? Faut-il y voir une référence au cycle de ces dames? Certes non! L'expression nous vient de la «conque». Un nom qui, s'il désigne un coquillage, caractérise surtout le nom anatomique du pavillon de l'oreille. Une origine qui n'est pas sans avoir influencé l'huître, qui désigne l'oreille en argot. Quel rapport nous direz-vous avec notre formule?

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Eh bien! l'expression «avoir les portugaises ensablées» correspond à l'apogée des huîtres dites portugaises en France, dans les années 1950. C'est ainsi que les usages associèrent l'animal à l'oreille de celui qui entend mal. La formule «avoir les portugaises ensablées» signifie ni plus ni moins «être dur de l'oreille».

● Être la coqueluche

La coqueluche est comme le coq dans ses quartiers, celle que tout un chacun admire pour son allure et sa grâce. Aujourd'hui laudative, la coqueluche n'en demeure pas moins, en ses origines, porteuse d'une maladie bien contagieuse. Un mal «caractérisé par des quintes de toux évoquant le chant du coq», note l'auteur.

Si certaines linguistes virent dans la comparaison avec l'animal l'origine du nom de la coqueluche, rappelons que cette racine est sujette à de nombreux débats. Certains voyant davantage dans sa construction une référence au «capuchon» ou à la «coiffe». Un lien qui aurait alors donné «être coiffé de quelqu'un», c'est-à-dire «être amoureux de quelqu'un» puis la formule que l'on connaît désormais «être la coqueluche de quelqu'un».

● Souffler dans les bronches

Nulle question de bouche-à-bouche ici. Car, à défaut de dégager beaucoup d'air, celui qui «souffle dans les bronches» de son interlocuteur cherche surtout à lui couper le souffle. L'expression n'a en effet rien de sympathique. Elle signifie «passer une soufflante» c'est-à-dire, «sermonner» ou plus vulgairement, «engueuler» autrui. On la retrouvera plus volontiers aujourd'hui sous les formes «passer un savon», «chanter pouilles», «enguirlander». Et même, pour les plus coquets: «donner un galop».

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1 commentaire
  • Hérétique

    le

    Il ne serait pas inintéressant à noter que le genre de noms des organes et des parties de corps humaine divers varie d'une langue a l'autre. Par ex., de tels noms comme tête, nez, bouche, etc., sont de genre inversé dans le français, l'allemand et le russe. L'anglais, la langue des paysans Anglo-saxons depuis la Conquête normande, ne se soucie pas de telles fines nuances.

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